L’Institut du Monde Arabe (IMA) propose le tome 5 des Arabofolies

Soulèvements


Les printemps arabes, s’en souvient-on ?, avaient provoqué d’énormes espoirs de par le monde. Enfin les dictateurs étaient tirés de leur lit, obligés de partir ou de rendre des comptes. Enfin, les libertés démocratiques à commencer par les droits des femmes faisaient des pas importants, l’émancipation semblait la donnée principale de tous ces soulèvements.
Les soulèvements depuis n’ont pas cessé. Les femmes se sont mobilisées dans tous les pays du monde pour faire respecter leurs droits et les élargir manière de lutter contre toutes les répressions. El Assad a montré jusqu’à quelles extrémités un dictateur était prêt à aller pour se maintenir au pouvoir. Depuis 2010, les populations syriennes ont subi les assassinats de masse.

Soulèvements ? Ils sont devenus nécessaires à notre vie de tous les jours. Se soulever contre toutes les oppressions, toutes les dictatures et contre la corruption qui gangrène notre société. Refuser tous les enfermements.
La musique, les rencontres culturelles sont vitales pour tisser des liens entre tous les peuples, pour faire surgir d’autres possibles et construire un autre monde. Le dialogue permet à la fois de se comprendre et de se transcender pour élaborer d’autres chemins, d’autres voies et pour s’ouvrir à soi et au monde.
Du 16 octobre, une ouverture en fanfare avec de la musique techno – sans danser et sans bar, COVID19 oblige – pour créer l’ambiance allant de pair avec les tables rondes, un peu moins fournies que d’habitudes, certain.ne.s participant.es n’ont pas pu se déplacer,
Rendre hommage et vie au grand poète palestinien Mahmoud Darwich, qui nous a quitté en août 2008, est une manière de revendiquer les droits des Palestiniens. Son poème, « Le lanceur de dés » sera mis en musique par le chanteur et slameur Walid Ben Selim pour une interrogation sur le sens de la vie d’un être humain. Sur cette lancée, il faut lire et relire Darwich.
Le jazz sera aussi de cette fête avec Omar Harb, producteur et bassiste libanais pour aussi construire des solidarités avec les populations libanaises victimes des corruptions et le saxophoniste, déjà très connu en France, Toufic Farroukh et son groupe.
Rencontres littéraires, cinéma comme à l’accoutumée parsèmeront le parcours comme, pour cette édition, les présentations d’albums. Un voyage une fois encore fleuri, pas seulement au jasmin, pour découvrir les cultures qui restent populaires tout en étant savantes. Elles savent des secrets qu’il faut savoir partager pour créer d’autres portes et entrer dans des univers différents.
La cinquième nuit de la poésie, le samedi 14 novembre verra la fin, le dimanche 15 au matin de cette édition. Le sixième tome se profile déjà…
Nicolas Béniès
Consulter le site internet www.imarabe.org pour connaître les conditions d’entrée. La COVID est encore passée par là…

Un témoignage sur le Liban, dans le cadre de cette cinquième édition :

Texte de Wael Koudaih « Inutile »

Le 4 août 2020 j’étais à Beyrouth, à quelques mètres de la grande explosion. Quelques instants avant la déflagration, un sifflement a retenti. J’ai couru me cacher au fond de l’appartement loin des fenêtres. Le souffle a emporté mes lunettes, ce qui m’a plongé dans le flou. Mais à part cela, je n’avais aucune égratignure. Je me suis retrouvé dans le chaos entouré de personnes blessées. J’ai réalisé que je n’avais aucune notion de secourisme. Je ne savais ni réanimer un être humain ni recoudre une blessure profonde. Or je faisais partie des rares personnes qui, physiquement, pouvaient venir en aide. Mais la connaissance et le savoir faire me manquaient cruellement. Mes diplômes en art et mon bagage musical n’étaient d’aucune utilité. En d’autres mots : je ne servais à rien.

Je me suis souvenu de l’expression que j’ai entendue au début de la crise sanitaire : les métiers utiles. Pendant 20 ans j’aurais donc pratiqué un métier inutile. En temps de crise on remet en question nos fondements. J’ai choisi de devenir musicien et aujourd’hui, dans une société en détresse ou lors d’une situation extrême, cette décision n’est plus valide.

Mais pour qui mon métier est-il soudainement devenu inutile ?

Un jour un être humain a empilé deux pierres. Il les a longuement contemplées. C’était le premier acte inutile de l’histoire de l’humanité. Sans aucun intérêt. A part peut-être celui d’attiser la curiosité de son congénère. Depuis, ces successions d’actes inutiles ont forgé notre monde.

En quoi la culture dans le monde actuel est-elle utile? Le malaise de la société moderne est tel que des métiers comme le mien sont devenussuperflus. Être artiste est un luxe que seuls les pays développés peuvent se permettre. Et encore… Dans le paradigme consumériste, lorsque je génère de l’argent le Grand Capital me considère utile. Mais lorsqu’il n’y a plus personne pour acheter des places de concert, je ne vaux plus rien? Est-ce donc cela la notion d’utilité? Ma valeur marchande?

Mon savoir et mon savoir-faire sont donc devenus caducs. Et cerise sur le gâteau, je suis incapable de sauver une personne blessée, de planter des tomates ou même de réparer un évier. Ma seule et unique fonction aurait donc été de divertir. D’amuser la classe moyenne de l’ancien monde qui autrefois avait les moyens de payer 15 euros.

J’ai noué mon t-shirt autour de la blessure de mon amie pour ne pas qu’elle se vide de son sang. Je l’ai aidée à marcher jusqu’à l’hôpital car la voiture était éventrée. J’ai su garder mon sang-froid en ce moment apocalyptique. Est-ce grâce à mon métier ?

Quelques semaines après l’explosion je suis en mesure de proclamer : mon inutilité est nécessaire. Contrairement à la science, qui se veut rationnelle et constructive, l’art et la musique en particulier est émotionnelle et désordonnée. Un pseudo-désordre qui nous permet d’outrepasser le corps et la matière. Des émotions qui, sans être nécessairement spirituelles, nous transcendent, élèvent le musicien et l’auditeur loin des structures rigides et monolithiques du tissu social moderne. La musique permet aux uns et aux autres de s’émanciper. Elle court-circuite nos neurones afin de nous accorder une nouvelle perspective. Elle panse les âmes blessées comme aucun médecin n’est capable de le faire, propose un voyage dans le temps qu’aucun scientifique ne peut reproduire. Comme le dit si bien Nietzsche : « Nous avons l’art afin de ne pas périr de la vérité ».

De plus, chercher à me reconvertir en médecin ou autre métier utile que je respecte et j’admire ne servirait à rien. Sans musique, je serai probablement un marginal, un homme dénudé de toute fonction, un être sans vie qui erre sans but précis, à part celui de survivre machinalement : un être réellement inutile.