Le jazz, fil conducteur d’une histoire noire des Etats-Unis.
Ray Celestin, linguiste et scénariste britannique, s’est lancé dans une grande aventure. Raconter l’histoire des Etats-Unis du côté de leur face cachée, noire dans tous les sens de ce terme. Point de départ, la Nouvelle-Orléans en 1919, ses quartiers, ses activités économiques, son racisme et ses transformations dues à l’arrivée, après la guerre de Sécession (1861-1865), des « Yankee » transportant une nouvelle façon de vivre. Deux éléments dominent ce premier opus, « Carnaval », d’abord le déclassement des « Créoles » issus des familles officieuses des colons français. Ces « métis » avaient une place sociale singulière entre les colons blancs et les Noirs des bas quartiers. La « race » aux Etats-Unis structure la société. Les « Yankee » supprimeront le statut particulier des Créoles pour les considérer comme des Noirs. L’arrivée des nouveaux migrants, Siciliens pour la plupart, renforcera cette perte de reconnaissance.
Le second élément, le jazz, occupe une place centrale. Via un personnage, Louis Armstrong, génie tutélaire de cette musique sans nom. Pour des raisons indéterminées, il est appelé ici Lewis mais c’est bien lui, né le 4 août 1901 dans les quartiers défavorisés de la Cité du Croissant, appelée ainsi à cause de sa forme sur la carte. Le jazz se nourrit de la mémoire de l’esclavage pour se situer comme une musique de lutte pour le respect, contre le racisme.
Louis se retrouve dans le deuxième volet : « Mascarade », sous on prénom. Le changement n’est pas expliqué. Peu importe. Cette fois nous sommes à Chicago en 1928 pour faire la connaissance de Al Capone qui aimait le jazz et détestait le commerce de la drogue. Atteint de syphilis, la folie commençait à le gagner. Chicago, la grande ville américaine, siège de l’architecture moderne, vivait – vit ? – au rythme des règlements de comptes entre les gangs. Cette année là, la pègre de New York voulait prendre le pas sur Capone pour se lancer dans le trafic de drogue plus rentable que le Moonshine, le whisky de mauvaise qualité vendu dans les « speakeasy » où se produisait les groupes de jazz. Surtout, Chicago possédait à l’inverse de la Nouvelle Orléans des studios d’enregistrement. A partir de 1925, louis allait les fréquenter avec ses « Hot Five » et « Hot Seven » pour, le 28 juin 1928, enregistrer ce chef d’œuvre, d’entre les chefs d’œuvre « West End Blues » avec une introduction de 11 secondes a capella. Pourquoi ce rappel ? La construction – il le dit dans la postface – de son roman s’inspire de celle de « West End Blues ».
Comme il s’agit de romans policiers, le couple de détectives est constitué de Ida, employé de l’agence Pinkerton d’abord comme secrétaire pouvant passer pour Blanche et de Michael Talbot d’abord inspecteur de police à la Nouvelle Orléans et enquêteur de Pinkerton ensuite, marié à une infirmière noire. Pour les intrigues, Ray Celestin a été fouillé dans les archives pour inscrire ses romans dans l’Histoire.
Le troisième se passera à New York, bien évidemment…
Nicolas Béniès
« Carnaval », « Mascarade », Ray Celestin, traduit par Jean Szlamowicz, 10/18. A écouter les enregistrements de Joe « King » Oliver de 1923 pour les premier et ceux de Louis Armstrong de 1925 à 1928 pour le deuxième.
Suppléments
Les titres originaux font référence directement au jazz. « The Axelman’s jazz » est celui du premier et « Dead Man’s Blues » pour le deuxième, titre, un peu changé, d’une composition de Jelly Roll Morton. Pour plus de renseignements sur le rôle des polices, « Polices américaines » de Didier Combeau, Gallimard. Voir aussi les « compléments aux « Souffle de la révolte ».