Une évocation du Paris des années 1920

Robert McAlmon comme figure clé et oubliée.

« La nuit pour adresse », un titre que l’auteure Maud Simonnot a emprunté à un poème de Louis Aragon, est aussi une sorte de devise pour tous ces Américains installés à Paris en ce début des années 20. Ces jeunes gens, filles et garçons, baignent dans un océan d’alcool tout créant, comme autant de bouteilles à la mer, des œuvres dans tous les domaines. Tout ce monde vit la nuit, fréquente les boîtes à la mode, se retrouvent chez Bricktop qui tient un club de jazz et s’enivre de cette musique qui fait ses premiers pas.

Ernest Hemingway est en devenir. Il publie à Paris son premier ouvrage, son premier roman. Il écrira plus tard « Paris est une fête », titre qui restera et sera utilisé récemment après les attentats meurtriers du Bataclan. Une fête ? Dans le sens où Paris est le lieu de rencontre de tous les possesseurs d’une once de génie. Peintres, musiciens, poètes, littérateurs, sculpteurs se précipitent dans la Capitale française. Paris est la ville-lumière capable d’attirer toutes ces lucioles qui lui donnent un petit air étrange et étranger.
Quelle est la place de Robert McAlmon dans ce spectacle ? Centrale. Il a épousé une lesbienne, fille de l’homme le plus riche d’Angleterre, pour dissimuler ses amours interdits. Il a donc beaucoup d’argent qu’il dépense sans compter dans tous les bars, claques dont Paris ne manque pas. Il soutient les Américains de passage. Surtout, il se fera éditeur pour faire connaître les livres qu’il aime. Son choix est subjectif mais il faut reconnaître qu’il sait déceler comme chose comme le génie derrière le talent. Il sera ainsi l’éditeur du premier Hemingway, de Gertrude Stein entre autre. Il sera le soutien essentiel de James Joyce pour permettre la parution de « Ulysses » – titre original anglais –, en 1921, à Paris, dans la langue originale de l’auteur, alcoolique invétéré lui aussi. Il faudra attendre la fin des années 20 pour la traduction en français de « Ulysse ».
McAlmon était né le 9 mars 1895, dans une petite ville du Kansas. Il a donc 25 ans au début de ces années 20 dans ce Paris marqué aussi par la guerre et la grippe espagnole. Les gueules cassées envahissent les jours alors que la nuit est réservée à toute cette faune qui cherche à tuer le monde d’avant, celui qui a permis la guerre, cette boucherie monstrueuse. La nuit alcoolisée le porte pas conseil mais permet de voir, quelquefois, la lumière d’un autre monde. L’alcool et la lucidité forment un océan de désespoir. « McAlmon le magnifique » dit le bandeau, alors qu’il serait plus juste de titrer « Le désespéré magnifique », de ceux qui voudraient que les mots deviennent des bombes, que les poèmes qu’il publiait deviennent des armes pour que le monde entier prenne conscience du basculement en cours.
Bob McAlmon a disparu dans les limbes d’une mémoire qui ne reconnaît que les vainqueurs. Ses écrits n’ont pas été réédités. Maud Simonnot, dans la lignée de ce récit, s’en chargera peut-être. Elle donne envie de le découvrir. Il est temps.
Nicolas Béniès.
« La nuit pour adresse », Maud Simonnot, Gallimard.