Du côté de Cuba
Cuba est à la mode bien avant le film de Wim Wenders, Buena Vista Social Club. Le cinéaste fait faire ressentir la profonde décrépitude de La Havane comme la force de la musique. Pour être complet il aurait dû faire appel – cette critique s’adresse surtout à Ry Cooder – aux musiciens d’aujourd’hui, en même temps que les ancêtres, pour indiquer les différences et les convergences de racines et de points de vue.
Quelques parutions récentes permettent de jeter d’autres lumières sur cette culture, sur cette musique-art-de-vivre résultat de la confrontation entre des cultures africaines et européennes, une fusion différente de celle se produisant sur le continent nord-américain, provenant de la même nécessité des colons – ici espagnols – d’exploiter leurs immenses propriétés par la mise en esclavage d’Africains1. Frémeaux et associés (distribué par Night & Day) publie une « Rétrospective officielle des musiques cubaines », réalisée par le centre de développement et de recherche des archives de la musique cubaine, un coffret de 4 CD, avec un livret fort bien documenté qui met l’accent sur l’influence Yorubas comme élément déterminant dans cette alchimie, dans le son notamment. La place essentielle du vaudou est mise en évidence, non pas seulement comme religion mais comme mode de synthèse des différentes cultures africaines pour construire une culture spécifique. De quoi devenir incollable sur la musique afrocubaine, la rumba, le Guaracha, le punto cubain, le cancion et, évidemment, le son.
Le Label Bleu (distribué par Harmonia Mundi) a suivi les traces de Ry Cooder, retrouvant une grande chanteuse cubaine Magaly Bermal que l’orchestre « Estrella de la Charanga » accompagne sur ce « La Guarachera soy yo ». Tout un programme. Sa musique de prédilection, afrocubanisme, et elle sait nous entraîner à la danse. Certaines plages ont cependant un petit « coup de vieux ».
Ce n’est pas le cas de Melcochita, né à Lima (au Pérou). « Mis Mejores Exitos » – soit « les best of » en français – (Elephant, Frémeaux et associés) m’ont fait découvrir un « salsero » – pour parler moderne – de grande envergure. Il arrive à vous faire crier de joie, tellement cette musique semble faite pour danser. Attention, celui là fera un malheur dés qu’il sera un peu connu. Il sait se servir de la tradition pour la féconder. Une nouvelle version de cette rencontre entre la musique populaire et la musique savante.
Gonzalo Rubalcaba, pianiste américain désormais, est issu de l’école de piano de La Havane. Il sait tout de cet instrument. Il lui arrive d’en faire la preuve la plus ennuyeuse possible en accumulant tous les styles. Il lui arrive aussi de savoir se servir de cette virtuosité implacable pour tisser des émotions baroques sur un arrière fond de collage de toutes ces musiques cubaines. Dés qu’il les oublie, il sombre dans l’académisme. Ici, pour cet « Inner Voyage » (Blue Note, distribué par EMI), voyage intérieur, immobile pour citer Pessoa, il a su se souvenir de tout et transcender ses souvenirs pour faire voyager l’auditeur avec lui. Rarement, il a été aussi chaleureux. Et sa récréation de Caravan – de Duke Ellington, référence obligatoire en cette année de centenaire – est une merveille.
Enfin, il ne serait pas logique d’oublier ces immigrés de la deuxième génération qui ont élu domicile à New York. Ray Barretto en fait partie. Ce joueur de congas a toujours transgresser les frontières. Entre le Jazz et Cuba il n’a jamais voulu choisir. Il a bien fait. Pour RCA-BMG il vient, tout comme Rembrandt2 dont on parle beaucoup aujourd’hui, il vient de publier sont autoportrait musical, « Portraits in jazz and clave3 ». Se succèdent les thèmes de Duke Ellington (cf. remarque plus haut), Thelonious Monk et Wayne Shorter côté jazz Rafael Hernandez et… Manuel De Falla de l’autre. Il a invité Kenny Burrell (guitare), Joe Lovano (saxophoniste), Steve Turre (trombone et coquillages) et Eddie Gomez (basse). Une façon d’écouter New York…
Nicolas BENIES.