Le projet de départ… qui s’étendra sur plusieurs années…
pour démarrer et vous mettre dans l’ambiance, Robert Johnson (voir plus loin pour des explications complémentaires) « Sweet Home Chicago » (1936)
Le même thème repris par les Blue Brothers dans le film éponyme de John Landis
Au départ, ce projet se proposait d’offrir une autre image du jazz en lien avec l’urbanisation spécifique des États-Unis et la place des ghettos. De plusieurs types ces ghettos. New York possédait le ghetto noir, juif, italien et quelques autres, tous des Américains à trait d’union. Chaque nationalité se regroupait pour résister, sans parler des gangs créés dans « street corner ». Chaque quartier avait sa musique. Ce qui est valable pour New York l’était pour les autres villes dans une moindre mesure.
Ces musiques circulaient d’un quartier à l’autre. George Gershwin se souvenait, et voyait là l’origine de sa musique hautement représentative de ces États-Unis des années d’entre deux guerres, que chaque quartier diffusait sa musique via les chansons entendues dans la rue – une des origines du jazz, la rue. A l’époque, peu de postes de radio, peu de moyen de lire les disques, la technique des « rouleaux » inventés par Edison coûtaient chers. La consommation de masse en était à ses balbutiements.
Gershwin parlait des débuts de ce 20e siècle et des quartiers de New York qui avait chacun leurs spécificités culturelles. Le « melting pot » ressemblait à un mauvais collage. Le terme, issu du théâtre yiddish était, au départ, péjorativement ironique. Il est désormais chargé de positivité exprimant l’idéologie de l’intégration chère aux Étasuniens. Idéologie, l’intégration des Africains-Américains, malgré un président noir, n’est toujours pas réalisée. Celle des Juifs et des Italiens est passée par les gangs et le jazz…
Plus largement, je voulais explorer les villes du jazz. Je n’avais pas vu l’ampleur de la tâche, ni les nécessités de faire entendre musique et musicien(ne)s, parler de ces romanciers qui ont su illustrer leur ville et parler du jazz.
il s’agissait donc de visiter les villes du jazz, aux États-Unis pour laisser la place, plus tard, aux autres villes. Paris, en particulier… En cours de route, le projet a évolué…
Si j’ai voulu commencer par Chicago, c’est parce que j’en revenais au début de cette année. Un motif certes légitime mais pas suffisant. Au fur et à mesure des séminaires, je me suis aperçu que Chicago, plus que New York, était la Ville du jazz et du blues « typiquement » américain. Je risque l’hypothèse que c’est une des villes-creuset de la formation de la culture américaine, étatsunienne, une ville clé. Ses créations architecturales en font une des villes références en cette matière. Les gratte ciels – skyscrapers – comme autant de pénis survoltés ont projeté leur semence dans tout le pays et au-delà.
Il n’est pas étonnant que le blues électrique de la fin de la seconde guerre mondiale ait trouvé là, dans ses ghettos, son aliment principal comme le bruit de ses usines ou de son train – difficile de parler d’un métro surtout lorsque l’image que nous avons est celle du métro parisien… Ci-après Buddy Guy, un des grands bluesman de Chicago qui narre la première fois qu’il a rencontré le blues…
Il faut voir le film de John Landis, « Blue Brothers », pour avoir une idée de la ville. La chambre qu’ils habitent est située juste à côté du métro, le Chicago Transit Authority – CTA – qui sera approprié par le groupe de rock, comme un hommage à la Ville mais aussi à ses bruits industriels. In avait oublié que tout un pan de la musique des débuts du 20e siècle reproduisait les sons de l’usine, avec que qu’ils ont de stridence. Le blues, sans référence à cette musique, s’est servi lui aussi de ses sons pour construire un blues plus électrique, dés le début des années 1940 et… à Chicago.
Cette année, en conséquence, je nous ai fait rester à Chicago, sans épuiser toutes ses réalisations et possibilités .Elle dévoile la perte de puissance des États-Unis. Son industrie est chancelante, les services publics sont déliquescents, ses infrastructures à revoir, chômage et pauvreté sont visibles et, last but not least, l’Église de scientologie possède un bel immeuble avec pignon sur rue, juste à côté de la rivière. Sur le terrain de l’architecture, Chicago fut une ville pionnière avec Franck Lloyd Wright notamment. Elle a influencé tous les architectes du monde entier. Ses gratte ciels, ceux de Louis Sullivan en particulier ont été copiés. Aujourd’hui, beaucoup – trop ! – d’hommages sont rendus à ces pionniers sans présenter une relève. Le champ des possibles semble se conjuguer au passé. Ce n’est pas spécifique à Chicago, mais…
Difficile tout de même de sortir de cette ville spécifiquement américaine et qui joue un grand rôle dans le développement du blues et du jazz. Chaque fois que je me suis posé la question de l’abandonner pour redescendre vers le Sud (vers la Louisiane et la Nouvelle-Orléans et ce n’était pas l’envie qui m’en manquait pour parler de ces écrivains du Sud qui structurent la mémoire de ces États-Unis à commencer par Faulkner) ou remonter vers le Nord (New York, cette ville qui n’est américaine mais véritablement cosmopolite, une Ville qui n’appartient qu’à elle-même, une Ville où forcément chacun(e) se sent chez soi, sensation bizarre qui vous envahit dés la première visite, ville où le jazz allait grandir, partant du ghetto noir de Harlem) ou l’ouest (pour figurer les États-Unis via les deux Kansas City séparé par la rivière Kansas, l’un au Kansas, l’autre au Missouri devenue, cette dernière, la ville de tous les trafics dans les années 30 lui permettant d’échapper à la dépression, attirant de ce fait tous les musiciens en quête d’engagements, une ville creuset qui verra naître, en 1920, Charlie Parker), un(e) musicien-ne m’empêchait de partir comme la nécessité de parler d’un romancier, d’un auteur de polar ou d’autre chose, de sociologie par exemple.
En 1937, Benny Goodman, un enfant de la ville, lui rendait hommage, « Chicago », la raconte. Les paroles (« lyrics ») racontent la naissance de la ville, ses prédicateurs dont un ancien joueur de base-ball, ses constructions.
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Quelques focus m’apparaissaient essentiels au départ,volontairement limités. Une femme musicienne, pianiste dont le nom de femme sonne comme une charge, Lil Hardin qui viendra – et restera – Lil’ Armstrong lorsqu’elle épousera le Louis en question. Un trompettiste/saxophoniste/flûtiste parce qu’il était tout cela et pas très connu, Ira Sullivan et, enfin le saxophoniste ténor Von Freeman – père de Chico plus connu que lui dans nos contrées, frère de Georges, guitariste et d’une nombreuse fratrie – qui a fait les beaux soirs de Chicago jusqu’à sa mort récente. Une manière de construire des images de la Ville en lien avec les auteurs à commencer par Saül Bellow capable de mettre en scène sa ville natale pour son premier chef d’œuvre (nous en reparlerons)..
Focus sur Lil Hardin Armstrong
Lil Hardin – devenue la deuxième madame Armstrong -, pianiste qui fut « moderne » en son temps. Engagée par « King » Oliver, groupe dans lequel elle rencontra le Louis en question, elle y tint le piano pendant longtemps pour ces
enregistrements – un extrait ci-dessus, en 1923, Louis Armstrong est le deuxième cornet, « Chime blues » – que Joe réalisa dans la ville, à la tête de Creole Jazz Band, une manière d’être à la mode.Tous ces 78 tours – à l’époque – sont disponibles en diverses rééditions. Ils datent de 1923 pour la plupart, dont ce « Mabel’s Dream » ou « Sugar Foot Stomp » dans lequel « Baby » Dodds, batteur, oubliera le « break » qu’il remplacera par ces paroles « Play that thing » qui feront ensuite partie intégrante du thème connu aussi sous le nom de « Dippermouth Blues ». (Voir les mémoires de « Baby » Dodds, « The Baby Dodds Story as told to Larry Gara », Contemporary Press, 1959 malheureusement non traduites en français. Larry Gara commence par dire qu’il a vu pour la première fois Baby Dodds lors d’un concert de George Lewis – clarinettiste important de la Nouvelle-Orléans – le 1er mars 1953, au minuscule et bond » club 111 de Chicago. Il fait part du charisme du batteur qui redonne de l’énergie et de l’enthousiasme aux autres membres de l’orchestre. Il ne dit pas si le batteur précédent manquait tout simplement d’un peu de beat… Pour le reste, le coffret Frémeaux et associés « Chicago South Side, 1923 – 1930 » présenté par Daniel Nevers donne à la fois une discographie minimum et des informations essentielles comme toujours avec Daniel Nevers.).
Elle fut reconnue comme une pianiste qui comptait. Même après leur séparation, elle resta très liée à Louis Armstrong. Elle se fera appeler Lil Hardin-Armstrong à la fois pour marquer la séparation d’avec sa famille – ce sera aussi le cas pour le Prix Nobel de littérature 1993 Tony Morrison conservant le nom de son mari pour se faire connaître – et pour bien préciser le lien qui les unissait. Elle mourra peu de temps après Louis, ayant attrapé froid lors du concert d’hommage à « Satchmo »…
Étrange ces liens invisibles qui unissent des êtres entre eux. Des liens qui se retrouvent dans tous les « couples » du jazz, comme Django Reinhardt et Stéphane Grappelli ou Charlie Parker et Dizzy Gillespie…La rencontre, c’est l’étincelle qui met le feu à une plaine déjà existante et qui sait ce que le feu veut dire, ce feu de la création. C’est Diz – comme souvent – qui approchera le mieux un phénomène qui tient du miracle. Il dira, au moment où j’ai rencontré Parker, son style était déjà constitué, le mien aussi – les témoignages enregistrés en font foi – mais notre rencontre provoqua le « petit plus » qui change tout. Ce ne sont vraisemblablement pas ses termes exacts, mais l’esprit est là. Le « je ne sais quoi » qui fait le génie, pour reprendre le « concept » de Vladimir Jankélévitch tient dans la magie de la rencontre, dans la formation du couple. En jazz, c’est sans doute plus important que dans n’importe quel autre domaine artistique. la création spontanée suppose cette empathie, cette confiance mutuelle, cette télépathie provenant de cette rencontre dans un contexte donné, dans un « zeitgeist » spécifique. (Voir « le souffle bleu » pour cette notion issu de la philosophie hégélienne).
Il faut dire que son jeu n’évolua guère. Elle resta une des vedettes des clubs de Chicago. Un enregistrement réalisé au « Birdhouse », en septembre 1961 en témoigne (entendre l’extrait à la fin de cette partie, « Muskrat ramble »). Elle fait montre aussi de ses qualités de chanteuse. Elle exercera une influence sur une autre grande chanteuse de Chicago, Nelly Lutcher.
Lil est née à Memphis – cette ville et Chicago sont très proches, non pas géographiquement mais artistiquement – le 3 février 1898, elle mourra à Chicago le 27 août 1971. Elle jouera avec le cornettiste Freddie Keppard, à Chicago où elle est considérée comme une musicienne qui compte. Le groupe de Keppard vient de la Nouvelle-Orléans (N.O.) et Chicago l’attire par la multiplication des « speakeasies » – ces bouges où l’alcool illégal et frelaté coule à flots – qui permet d’avoir du travail. Keppard, qui ne veut pas être copié, joue avec un mouchoir sur ses pistons et se refusera à enregistrer pendant longtemps. Elle sera ensuite engagée par King Oliver et son « Creole jazz band » – deux inventions du marketing, Joe n’a jamais élu « Roi » à la NO et aucun créole dans son orchestre – lui aussi venu à Chicago pour enregistrer et jouer dans les bouges dirigés par la Mafia. Il faut dire que Chicago, ville industrielle, voit l’industrie de l’enregistrement prendre son essor. Les groupes de la N.O. – Nouvelle Orléans – ne pouvaient enregistrer dans leur ville natale, ils se déplacent à Chicago qui va voir naitre une multitude de labels indépendants, à commencer par OkeH fondé par Otto Heinemann (et OkeH vient de son nom et prénom et non pas de l’Anglais OK). Un parcours qui se retrouvera dans les créateurs de labels. Il a fui la première boucherie mondiale pour arriver à Chicago en 1918. C’est sur son label que les « Hot Five » et les « Hot Seven », les deux groupes de studio de Louis Armstrong enregistreront. Avec Lil. Elle enregistrera aussi sous son nom. Vraisemblablement elle a dû l’exiger. Contrairement à ce qu’écrit le dictionnaire du jazz, ce n’était pas destiné à tourner le contrat d’exclusivité signé par Louis. les producteurs auraient pu choisir un autre nom. En toute bonne logique, les femmes s’imposent sinon elles sont laissées de côté, surtout à cette époque…
Ci-après un extrait de ce 78 tours, « Drop That Sack, 1928.
Elle jouera un rôle majeur dans la prise de conscience de Louis de son génie. Elle le convaincra de quitter Joe Oliver, de « monter » à New York pour se faire engager, en 1925, dans l’orchestre de Fletcher Henderson – surnommé « Smack », cet ancien chimiste; pianiste et chef d’orchestre est le fondateur du big band moderne en sections « trompette », « trombone », « saxe » et « section rythmique » – où il influencera Coleman Hawkins lui permettant de devenir…Coleman Hawkins. Grâce à Lil, il prendra son envol. Elle épousera Louis en 1924 dont elle se séparera en 1931 – il est alors au zénith – et divorcera en 1938.
En 1925, elle dirige déjà son propre orchestre tout en participant aux enregistrements du Hot Five et du Hot Seven. Elle sera ensuite remplacée par un grand pianiste, Earl Hines qui dirigera le grand orchestre du Grand Terrace – dont le propriétaire est Al Capone – jusqu’en 1939, à Chicago. Avec lui, Satchmo » atteindra des sommets…
C’est en 1928 qu’elle tournera avec Freddie Keppard qui se décidera à enregistrer. En 1931, elle dirige un orchestre uniquement féminin qui se produit au Harlem Opera House (à New York donc), orchestre qu’elle reformera à Chicago en 1934. A partir de 1940, elle se présentera comme soliste, tournera en Europe en 1952 où elle enregistrera avec Sidney Bechet.
Elle jouera jusqu’au bout dans les clubs de Chicago, comme le montre cet enregistrement réalisé en 1961 au Birdhouse de Chicago…
Un deuxième focus autour du trompettiste, saxophoniste, flûtiste Ira Sullivan pour le faire connaître et enfin Von Freeman, saxophoniste ténor qui avait fait, à son tour , les belles nuits de Chicago avant de nous quitter à 90 ans, le 13 août 2012, à Chicago où il était né le 3 octobre 1922.
Focus sur Ira Sullivan.
Ira ? Drôle de prénom. Avec ce musicien, tout commence bizarrement. Certains avaient pensé que c’était un prénom féminin.
Un peu comme « Tina », pour le saxophoniste ténor Harold « Tina » – à cause semble-t-il de sa petite taille – Brooks, un grand saxophoniste sous estimé parmi les sous estimés. Même Alain Gerber dans « Petit Dictionnaire Incomplet des Incompris » (Alter Ego éditions/Jazz impressions, CERET (66), 2013) ne lui fait pas une petite place. Comme il le dit dans sa préface, les Incompris sont légions et il est difficile d’en faire le tour.
Fermons notre parenthèses et revenons à « Ira », prénom bien peu usité.
La confusion venait de loin. Le frère de George Gershwin a été le premier, dans les mondes du show biz, à avoir porté ce prénom, diminutif de Israël. la famille Gershowitz – orthographe non réglementée – venait d’Europe de l’Est. Le père n’a jamais vraiment bien parlé l’Anglais et n’a surement jamais compris la poésie des paroles de son fils, Ira. Les deux frères ont signé une multitude de comédies musicales, et encore plus de chansons. Il arrive que, dans certaines notes de pochette, on lise George et sa femme Ira – alors que George n’a jamais été marié à la différence de Ira -, confusion de ce diminutif. Il faut dire que Israël était lourd à porter…
Pour Sullivan, aucun dictionnaire ne nous dit que ce prénom, Ira, était un diminutif. Il semble que ses parents lui ait donné tel que.
S’il fallait – et il faut – écrire sur ira Sullivan que dirait-on ? Pas grand chose. L’essentiel est dans l’indicible, ce qu’apporte la musique. Comment en parler ? Comment approcher l’émotion ressentie à l’écoute de ce trompettiste/bugliste/saxophoniste ténor/ plus tard soprano et flûtiste ? Sa vie n’a pas défrayé la chronique. Peu d’anecdotes, peu de débordements apparents. Il semble avoir eu une vie de famille « normale » avec femme et enfants. Les fêlures peuvent invisibles et profondes. Sa musique fait la part belle à ses émotions, fantasmes – pour employer le vocabulaire de Freud -, à ses rêves. Son imagination lui fournit la matière de ses improvisations, préparées en général.
Il est né à Washington le 1er mai 1931 – le jour de la fête du travail – et a grandi à Chicago où il a fait ses études.
Son père est trompettiste et sa mère saxophoniste. Il aurait pu être pianiste, bassiste, tromboniste ou ne pas être musicien.. il a choisi d’être à la fois son père et sa mère pour éviter le choix proposé à tant d’enfants qui en restent traumatisés, tu préfères ta mère ou ton père, choix d’autant plus cornélien en cas de divorce. Il sera multiinstrumentiste et avec brio, avec talent. Il a joutera plus tard la flûte et le saxophone soprano qu’il jouera de manière classique, seule façon de se démarquer de Coltrane et de Steve Lacy. Entretemps, il abandonnera le saxophone alto, Charlie Parker était passé par là – et par Chicago.Il a participé à des performances avec le Bird… Comme avec Lester Young et tous ceux qui passaient par Chicago.
Au milieu des années 1950, il commence à faire parler de lui, atteignant une sorte de reconnaissance en enregistrant avec « Red » Rodney, trompettiste qui participa à l’aventure parkérienne. Clint Eastwood le raconte dans son film sur « Bird » même si le réalisateur à un peu atténué le climat raciste du Sud. Ces enregistrements ont été repris par Fresh Sound, le label de Jordi Pujol, « Red Rodney quintet, 1955-59, Borrowed time ». Dans ces albums, il joue surtout du ténor – il maitrise aussi le saxophone baryton – faisant preuve d’une sonorité particulière et un phrasé qui s’apparente au hard bop, dominant à ce moment- là. Il participera brièvement à l’aventure des Jazz messengers d’Art Blakey.
En 1956, il se retrouve à New York, la Mecque du jazz. la concurrence est très forte, la vie un peu décalée. New York, contrairement à Chicago n’est pas une ville américaine, elle est déjà métropole mondiale. L’arrivée des intellectuels de tous les pays européens – les surréalistes en particulier – a transformé le visage de la VIlle. C’est une Ville-Monde. Difficile de s’y faire une place lorsqu’on n’a pas l’esprit de compétition.
En 1956, il enregistre – à la trompette et au bugle – avec le le saxophoniste ténor J.R. – pour Junior tout simplement, Jack Anthony pour l’état civil – Monterose (à ne pas confondre avec Jack Montrose, saxophoniste aussi mais de la côte Ouest), de Detroit où il est né le 19 janvier 1927. Pour Blue Note, la firme mythique créée par deux exilés juifs allemands Alfred Lion et Frank Wolff. C’est le premier disque que signe Monterose qui est entré dans le groupe de Charles Mingus avec qui il enregistrera en cette année 1956 le fameux Pithecanthropus Erectus. Il aura aussi beaucoup enregistré avec Teddy Charles, vibraphoniste un peu oublié de nos jours qui participera aussi, aux côtés de Charles Mingus, à des ateliers de travail, « wokshops ».
Dans cet album Blue Note, « Jaywalkin », Monterose et Sullivan seront entourés par Horace Silver au piano, Wilbur Ware à la contrebasse et « Philly » Joe Jones à la batterie, soit la fine fleur du jazz en train de se faire en cette année 1956. Ci après un extrait de cet album, « Spice »
On ne sait ce qui s’est passé. personne pour le raconter. Ira n’a pas sorti ses mémoires…En cette année 1956, les portes auraient dû s’ouvrir pour lui et commencer une carrière. Elles se ferment ou il les ferme. Pas impossible qu’il ait privilégié sa famille. Dans ce cas, il ne restait plus que l’enseignement… Sa patte, son influence se retrouvera dans une grande partie des musiciens des générations successives. Une des raisons de son effacement. Il se fait entendre trop souvent malgré le fait qu’il n’est pas présent sur la scène du jazz. Cette présence-absence sera partagée par un saxophoniste alto lui aussi de Chicago, « Bunky » Green.
Le fait est qu’il revient à Chicago où il enseignera.
Red Rodney le sollicite de nouveau, en 1957, pour une nouvelle série d’enregistrements. Il joue saxophone et bugle surtout. Il faut rajouter que ces enregistrements sont superbes et…ignorés.
Deux extraits ci-après de la rencontre avec Rodney, « I live the rhythm in a Riff » et « Jordu ».
Dans la « La saga des géants du saxophone ténor » , Jazz magazine d’avril 2013 retrace « 60 trésors oubliés à découvrir d’urgence » et… pas un mot sur Ira Sullivan !
A cette époque, Rodney – un pseudo pour cet enfant d’une famille juive de l’Europe de l’Est, pour l’état civil il se nomme Robert Chudnick, il, est né à Philadelphie le 27 septembre 1927 – fait de fréquents séjours au pénitencier pour usage de stupéfiants…
Ira, quant à lui, subit – comme c’est logique – l’influence de Clifford Brown qui décédera le 26 juin 1956.
Le 12 mars 1962, pour suivre sa discographie, il enregistre en public un hommage à Charlie Parker en compagnie de Chicagoans qui ont partagé l’affiche avec le Bird comme en témoigne cet album Savoy, « One night in Chicago » datant de l’automne 1950. Le Bird était en compagnie de Claude McLin – aucun rapport avec Jackie McLean, je pense à une déformation de Nicky Hill qui jouait à ce moment là dans les clubs de Chicago et restera à Chicago bloquant ainsi sa possible notoriété, dommage pour lui et pour nous – au saxophone ténor,George Freeman – le frère de Von – à la guitare, Chris Anderson au piano – professeur de Herbie Hancock – Leroy Jackson à la contrebasse et Bruz Freeman – le frère ainé de Von – à la batterie. Une sorte de Who’s Who de la scène chicagoanne.
pour l’album de Ira, « Bird Lives », enregistré « live » au Bird House (évidemment !) de Chicago, Ira était au bugle et à la trompette, Nicky Hill au ténor sax, Jodie Christian, piano, un des pianistes essentiels de la scène de Chicago, Don Garrett à la contrebasse et Dorel Anderson à la batterie. Si je cite tous les membres de ce « Chicago Jazz Quintet » c’est pour que le souvenir ne se perde pas. Ces musiciens, même s’ils n »ont pas quitté la ville de l’Illinois méritent mieux que ce silence consterné.
Ira poursuivra sa route, enseignant et enregistrant sur des labels de Chicago. Puis il s’exilera vers la soleil de la Floride avec sa famille où il poursuivra son métier d’enseignant.
Il reviendra sur la scène du jazz, en même temps que Red Rodney, en 1980 pour une série d’albums enregistrés « live » au Village Vanguard qui font la démonstration que les deux lascars ont conservé les oreilles grandes ouvertes et qu’ils sont capables de prendre des risques. Deux albums, l’un chez Muse, l’autre chez Elektra. « Le « Live at the Village Vanguard » est à écouter en priorité. Je vous avait fait entendre le « Time for love » (ci-dessous). Ils ont subi l’influence d’une autre Chicagoan – qui est né à Memphis – Booker Little, météore du jazz.
Focus sur Von Freeman
Von Freeman, famille musicienne de Chicago où il est né le 3 octobre 1922 et a eu la mauvaise idée de décéder juste avant mon arrivée dans cette ville de l’Illinois – qu’il faut prononcer comme en français, c’est une déformation française du nom d’une nation amérindienne -, dans cette même ville (qu’il n’a guère quitté) le 13 août 2012. Un rapide calcul montre qu’il allait avoir 90 ans, un âge respectable surtout pour un jazzman. Il assurait les beaux soirs des clubs de Chicago. Il a longtemps fréquenté un club, le Pershing dans lequel il a assuré les rencontres avec Parker, « Dizzy » Gillespie.
Il a étudié, comme tout le monde – il faudra le redire pour chaque musicien – à la DuSable High School sous l’égide du Captain Walter Dyett. Il pratique, suivant François-René Simon, la trompette, le trombone, la batterie et la basse mais, fait-il ajouter ne jouera que du du saxe ténor.
Il participera aux expérimentations de Sun Ra. le chef d’orchestre – et de secte – s’est installé à Chicago. John Gilmore, un autre natif de la ville, en sera longtemps le saxophoniste ténor soliste.
Comme beaucoup de ses contemporains, à commencer par Miles Davis et Max Roach, il refusera le terme de jazz pour parler de « Great Black Music ».
Dans la droite ligne de l’École sociologique de Chicago – les enquêtes avant la première guerre mondiale sont liées à une absence de statut des travailleurs sociaux et dépendent des mécènes, le travail social est bénévole -, Von Freeman participera à l’animation des quartiers. Il a un projet Transmettre l’héritage, démontrer qu’il faut se référer à la tradition, la connaître pour la bouleverser.
Par contre – problème de génération sans doute – il ne fera pas partie de l’AACM – Association for the Advancement of Creative Musicians – créée par le pianiste Richard Abrams, devenu « Muhal » dans les années 1960. Son premier enregistrement sous son nom, en 1972 – il a donc 50 ans ! A 55 ans, il aura droit à sa première interview…dans Jazz magazine !
Comme souvent, en ces temps étranges où le passé ne sait plus s’il est présent ou futur, c’est son fils – « Chico », on ne peut mieux dire – qui le fera connaître (en dehors de Chicago s’entend et de quelques aficionados) et lui fera visiter les festivals.
Un des grands musiciens de notre temps, dont il faut écouter tous les enregistrements (ci-dessous Walkin’ Tuff en public). Il en ait de remarquables pour le label Delmark, un des grands labels de Chicago, pour la période des années cinquante.
Et… tout s’est déréglé.
En préparant les sessions, j’ai listé d’abord les labels dont je voulais parler :
OkeH, fondé par Otto Heinemann (OkeH sont ses initiales) qui a fui la première boucherie mondiale et arrive à Chicago en 1918. Il tombe amoureux du jazz. Il enregistrera Louis Armstrong en particulier, les « Hot Five », les « Hot Seven » et beaucoup d’autres. Il sera racheté par Columbia qui le fera renaître de ses cendres au milieu des années cinquante pour enregistrer des groupes de « soul music ». Le label « Not Music » a réédité ces faces pour entendre ces groupes dont certains n’ont eu aucune notoriété mais sont tout de même écoutables.
Chess, fondé par les frères Chess, des Juifs venus de l’Europe de l’Est, après la deuxième guerre mondiale, une nouvelle grande vague d’immigration vers les États-Unis. Les ghettos ont vu arriver une nouvelle population, dans toutes les grandes villes dont Chicago.
Ils ont d’abord enregistré du blues. Muddy Waters sera leur grande vedette et Willie Dixon, bassiste à l’apparence débonnaire, compositeur prolifique, sera leur « talent scout », leur découvreur de talent. Sam Phillips, le futur créateur du label « Sun » et « inventeur » – au sens de découverte – d’Elvis Presley, enregistrera pour eux dans ses studios. Les découvertes technologiques permettent d’enregistrer avec un matériel simplifié et moins couteux. Cette « démocratisation » écrase les barrières à l’entrée permettant aux labels indépendants de prospérer.
Ils créeront plus tard des filiales pour enregistrer du jazz, « Argo » puis « Cadet ». Tout(e) musicien(ne)s de Chicago passant par Chicago sera enregistré(s).
A écouter et à lire :
Pour avoir une idée du catalogue voir et entendre la compilation « A complete introduction to Chess, Checker & Cadet » publié par Universal en 2010, 4 CD ou, moins complet, les anthologies Essential Chess Recordings ou Defintive Chicago Blues, Not Music. Lire aussi, dans « Soul Bag », une revue de blues nécessaire, l’article de Gérard Herzhaft sur Muddy Waters, n° 211, juillet-septembre 2013
Vee Jay, là aussi les initiales des prénoms des créateurs du label, Vivian Carter et son mari James Bracken, l’une est DJ, l’autre propriétaire d’un magasin de disques et le troisième, Calvin Carter, frère de la précédente, un grand découvreur de talents. Ce dernier fera vivre le label. Vee Jay sera l’un des phares de cette musique de la fin des années 50, le « Doo-wop » que Gene Chandler, peu connu de ce côté ci de l’Atlantique mais qui réalisera des percées dans les hit parades. le premier succès de Gene, Duke of Earl, permettra au label de démarrer en fanfare.
C’est le premier label dirigé par des Africains-Américains.
Ils et elle se lancent dans leur ville d’origine, Gary (dans l’Indiana), mais déménageront rapidement dans la Cité des Vents pour véritablement atteindre une taille critique. A la fin des années 50, début des années 60, le label couvre tous les gendres de la Great Black Music. Ils ont, à leur catalogue, autant le Doo-Wop que le jazz (avec les premiers enregistrements sous son nom de Wayne Shorter en passant par le blues – avec l’inévitable John Lee Hooker – et la soul music.
Au bout de 13 ans d’existence, et malgré des succès, le label disparaîtra victime de rumeurs et de problèmes financiers. Il reste un des grands labels de ces années là. Sa place est fondamentale pour à la fois ses propriétaires et ses réalisations. Son histoire est celle des États-Unis de cette période.
Entendre et lire :
« Big Boss Man The Vee-Jay Story », coffret de deux CD avec une présentation succincte du label, en anglais, One Day Music. Pas de jazz dans cette anthologie. Il faudra aller voir du côté des labels espagnols, Essential Jazz Classics en l’occurrence, pour entendre Wayne Shorter et Lee Morgan.
Delmark – et la liste est loin d’être complète – fut créé un peu plus tôt, en 1953, par Bob Koester pour enregistrer des musiciens de jazz traditionnel. Puis son champ d’action allait s’élargir à tous les blues et à tous les jazz. Après la mort du fondateur; le label continue… Les magasins aussi…
A entendre, à lire, à voir :
Le label a fêté ses 40, 45, 50, 55 ans avec à chaque fois une compilation reprenant d’un côté le blues, de l’autre le jazz. Pour la petite histoire Anthony Braxton, natif de la Ville, a enregistré sur ce label ses premières compositions. Pour son 55eanniversaire, une vidéo permet de voir les musicien(ne)s.
J’ai aussi listé, mais là ce fut mon plus grand tort, les musicien(ne)s dont je voulais parler mis à part ceux et celles citées plus haut
« Muggsy » Spanier, cornettiste parmi les premiers chicagoans (avec Bix Beiderbecke), né en 1906, mort en 1967. Une sonorité singulière qui doit évidemment un peu à Bix et à Louis Armstrong mais qui sait faire preuve d’originalité. A beaucoup influencé les musiciens de jazz traditionnel.
Gene Krupa, batteur, né en 1909, qui occupe quelques pages de la (fausse) autobiographie de Mezz Mezzrow, « Really the Blues » – la « Rage de vivre en français, réédité au Livre de Poche et actuellement chez Buchet-Chastel. Mezz regrette que Gene – d’origine italienne – ait abandonné le style traditionnel (Nouvelle-Orléans dit-il) pour s’orienter vers le style « swing » des grands orchestres qui commence à occuper le devant de la scène. il faut dire qu’un enfant du pays – il est né dans une famille originaire de l’Europe de l’est -, Benny Goodman deviendra, fin 1935, the « King Of Swing ». Il fallait donc aussi parler de Benny devenu clarinettiste professionnel à 11 ans. Par nécessité.
S’ajoute Eddie Condon, guitariste et banjoïste de ces années là, grand organisateur de sessions, animateur même s’il ne fût pas un excellent guitariste. Il a passé son jeune temps avec Bix Beiderbecke dont il se moquait, Bix ne « tenant pas » l’alcool frelaté.
Leroy Jenkins, violoniste classé dans le free jazz
Ramsey Lewis, pianiste, qui, avec son trio, réalisera des succès dans les années 60, pour Cadet, le label des frères Chess
Abbey Lincoln, vocaliste remarquable, tragédienne s’il en fut, qui partagea un temps la vie du batteur Max Roach et qui se disait « non féministe » par ce qu’elle « plaignait les hommes » comme elle me l’avait dit lors d’une rencontre à Jazz sous les Pommiers, « obligés d’être des hommes ».
Tony Williams, batteur essentiel et génie du jazz (1945 – 1997). Il a révolutionné la batterie. Il a eu pour professeur Alan Dawson – grand ,batteur, un peu trop démonstratif, il donne toujours l’impression de donner une leçon et ce, au détriment du swing – très vite dépassé par son élève. « Découvert » par Jackie McLean, saxophoniste alto un des maîtres essentiels de la transition bebop/free jazz, qui l’engage en devenant son « tuteur ». Tony a 17 ans. Il fera ensuite partie des quintets de Miles Davis, forçant – il dit dans son autobiographie, Miles – le trompettiste à aller au-delà de ce qu’il savait. Il faut dire que le trio, Tony Williams/Herbie Hancock/Ron Carter avait de quoi décoiffer. Va s’ajouter Wayne Shorter et le leader était face à un quartet. Miles adorait ces défis qui lui permettait de se construire, d’être un « work in progress ». Tony Williams ou l’enfance volée. Cet homme, ce génie de la batterie est y=une tragédie personnelle. Le génie se paie cher dans notre société qui a tendance à le rejeter. Entendre, écouter toujours et toujours Tony Williams pour cette fêlure d’origine.
Lonnie Plaxico, bassiste né en 1960
A cette première liste s’est ajouté
Johnny Griffin,appelé « Little Giant », référence aussi à sa petite taille et à sa place dans les mondes du jazz. Surnommé aussi par la critique française « petit maître », dénomination qui n’est pas péjorative mais reconnaît son influence. il n’est pas fondateur d’une école mais a influencé beaucoup de saxophoniste ténor. On reconnaît son « déboulé » dés la première note. Il s’était installé dans le sud de la France. Du coup, il avait un accent très fortement teinté de ce sud ouest dans sa manière américaine de parler français. Il n’avait pas voulu parler anglais lorsque je l’avais rencontré à Coutances, à Jazz sous les Pommiers. Un grand moment. il jouait avec l’ONJ – Orchestre National de Jazz. Il nous a quittés à 80 ans
John Gilmore, Earl Hines, Lorez Alexandria – dans le livre précité Petit dictionnaire Incomplets des Incompris », Alain Gerber présente Lorez qui dit-il n’a provoqué ni un tollé contre elle ni un concert de louanges. Simplement laissée de côté… -, Barbara Long… et d’autres dont je parlerai au fur et à mesure de ce « work in progress » qui devient autre chose qu’une synthèse des séminaires de cette année 2012-2013.
(Auto) critique
Il fallait bien commencer par le commencement, ces années 1920s qui avaient vu la gloire de Chicago, du jazz et des mafias, de Louis Armstrong et Al Capone sans compter tous les autres.
L’assimilation jazz/gangsters n’est pas fortuite. Elle provient de la thèse d’un sociologue – de l’école de Chicago justement, voir plus loin – Ronald L. Morris, « Le jazz et les gangsters, 1880-1940 » (traduction française par Jacques B. Hess, Abbeville Press, 1997) qui retrace les relations entre ces deux mondes provenant des formes d’exclusion de la société américaine. Une manière de se considérer comme Américains, une façon de se faire reconnaître, de s’intégrer.
Le sociologue allemand, Axel Honneth, successeur de Jürgen Habermas à la tête de « L’École de Francfort », a dédié sa thèse, « La lutte pour la reconnaissance » (traduction française, Folio/Essais), aux formes de lutte contre le « mépris », contre l’invisibilité. Il aurait pu mettre au centre de son analyse la société étasunienne et les les structures de sa construction. Une formation sociale spécifique qui s’est construite comme colonie de peuplement sur le dos des « native lands », en pratiquant l’esclavage sur une grande échelle et en donnant aux esclaves – pour la première fois dans l’Histoire de l’Humanité, comme le fait remarquer Daniel Boorstin dans sa monumentale « Histoire des Américains » – une couleur de peau. Le racisme est l’autre face du libéralisme économique. La liberté a un drôle de goût…
Pour en revenir à Morris, il prétend que les Mafias – italienne, juive – avaient une appétence pour le jazz. Peut-être. Cette justification non démontrée sinon par des témoignages sujets à caution comme il se doit – il en fait une généralité alors qu’il ne fait référence qu’à des « cas concrets » -, ne sert à rien, n’est en rien une explication de ces liens. Qui proviennent plutôt, comme il le démontre lui-même, de lieux d’existence ressemblants, de la pauvreté et rejets similaires touchant tous ces Américains à trait d’union. La question centrale : « comment s’intégrer ? » se pose tout autant aux Africains-Américains qu’aux Juifs-Américains ou aux Italo-Américains.
Saül Below, écrivain, romancier, en fera l’amère expérience. Il se battra pour être considéré non pas comme un romancier « Juif-Américain » mais comme un écrivain Américain ! Dans « Herzog », il osera pour la première fois mettre en scène sa Ville, Chicago, pour une réflexion globale à l’humour dévastateur et à l’ironie mordante. Un roman qui permet de vivre Chicago.
Chicago sera donc la ville des Mafias, surtout de la Mafia dite sicilienne, en fait américaine et construite par la société américaine. L’intégration se fera au rythme des changements. l’accumulation illégale de Capital sera placée dans les circuits légaux, notamment sur les marchés financiers. Et les gangs subiront les contre coups de la crise de 1929. La fin de la prohibition, en 1934, les obligeront à changer d’activités en passant de l’alcool à la drogue. Tout en finançant, en partie l’économie. L’argent « sale » a toujours été blanchi par les circuits légaux. Les grandes banques ne pouvaient ignorer cette manne…
Chicago est aussi la ville de naissance de Benny Goodman, sacré « King of Swing » par le marketing. Il avait failli tout abandonner, le succès tardant à venir. Fin 1935, enfin, son orchestre sortit au grand jour. Un nouvel agent ? Une mafia plus puissante ? A l’époque, l’industrie de l’entertainement est sous la coupe de la mafia et elle le sera pendant longtemps. Jerry Lewis en témoigne dans ses mémoires retraçant ses premiers pas avec Dean Martin dans ses numéros de loufoquerie que le cinéma retracera plus tard sans l’élément de folie de ces années 50 dus, sans aucun doute, à la consommation de substances illicites.
Les ghettos noirs allaient donner au jazz quelques-uns de ses musiciens les plus importants, comme pour le blues – plus tard. Dans ces « Chicagoans » personne n’aurait garde d’oublier ces Blancs – considérés comme des étudiants alors que Benny Goodman est professionnel depuis… ses 13 ans, il aurait même commencé dans les 11 ans; il vient d’une famille pauvre, explication de cette nécessité de gagner sa vie, il est aussi doué, dans le même temps, il n’a pas eu d’enfance…- comme Bix Beiderbecke, cornettiste qui, à l’instar de Louis Armstrong, construit des solos cohérents avec une début, un développement et une fin. Un truisme ? pas tant qu’on le croit au premier abord. A écouter les pionniers, ils alignent des phrases, des riffs sans forcément de lien entre eux. C’est l’héritage des fanfares, de la musique créée dans la rue.
Mais il y en eut d’autres de ces musicien(ne)s qui vont marquer de leur empreinte les années 20, Bud Freeman au saxophone ténor, Gene Krupa à la batterie qui deviendra le batteur du Big Band de Benny Goodman avant de créer son grand orchestre. Il engagera une grande vocaliste, Anita O’Day.
Rien que cette mélopée de noms vient à l’appui de cette nécessité qui fut mienne, rester à Chicago !
Le cycle sur les « villes du jazz » et d’abord aux États-Unis, prendra plus de temps que prévu. Cette année, 2013-2014, nous avons commencé à visiter Detroit – j’y reviendrai – et nous terminerons à Boston.
En commençant par Chicago. La richesse de cette ville m’a obligé à stationner plus longtemps que prévu. Il faut dire qu’ici le jazz et le blues s’étaient donnés rendez-vous. Dans les années 1920, puis dans les années 50, pour une première renaissance et dans les années 1960.
Cette ville est aussi le point de départ de la « Route 66 » qui reliait – relie de nouveau, elle est en reconstruction – Chicago à LA – Los Angeles. Bobby Troup en fera une chanson que chanta Nat King Cole.
Ci-après la version de 1955 avec Harry « Sweets » Edison à la trompette et Lee Young à la batterie, Nat au piano et vocal
Paris avait connu des effluves de ces créations notamment en recevant, fin des années 1960 – début des années 1970, dans cette grande révolution esthétique que fut le « free jazz », l’Art Ensemble Of Chicago. Lester Bowie à la trompette – venant de Saint-Louis (Missouri) et s’installant à Chicago pour suivre sa compagne la chanteuse Fontella Bass. Il participera à la fondation de l’AACM – Association for the Advancement of Creative Music -, en 1965. L’AACM s’est créée à l’initiative du pianiste Muhal Richard Abrams, une des figures connues de la scène de Chicago. Joseph Jarman et Roscoe Mitchell en furent les saxophonistes et Malachi Favors le contrebassiste. Ils avaient perdu leur batteur, Don Moye, en route. Ils le retrouveront.
Ce quartet avait quelque chose de magique. Grimé comme des Indiens sur le sentier de la guerre, ils délivraient une musique à la fois jeune, vigoureuse, drôle et originale.
Un extrait ci-dessous, « The master », de l’album « Nice Guy »s publié chez ECM
Sun Ra, installé à Chicago avec son Arkhestra sorte de secte dont il était le gourou a son tour fera aussi les beaux soirs de la Capitale mais aussi d’autres lieux dont il faudra reparler. Il faut toujours un peu peur. Pourtant ses concerts soit à la fête de l’Humanité, soit au Gibus soit en tout autre lieu ont laissé des souvenirs durables.
Un extrait d’un de ses premiers albums « Call for all demons »
Une manière de faire connaissance avec Chicago !
Deux raisons principales avaient guidé le choix
J’en revenais. La « Cité des vents » , son autre nom, est une vraie ville américaine, à l’entrée du Midwest, dans cet Illinois autrefois terre française. Le nom de l’Université – Du Sable – en témoigne. C’est là que les musicien(ne)s y ont fait leurs études, à commencer par le saxophoniste ténor Johnny Griffin. En même temps, une ville avec une âme. Comme beaucoup d’autres…
Chicago est un centre culturel, avec ses musées, ses bâtiments. C’est la Ville éponyme de l’architecture.Les grands architectes qui ont fait les villes du 20e siècle ont trouvé là leur inspiration.
La ville de naissance du blues de l’après guerre, la ville qui a vu l’unification des blues avec Robert Johnson et son immortel « Sweet Home Chicago » – qu’il faut prendre avec toute l’ironie, la distance nécessaire. Le premier film de John Landis avec les « Blue Brothers » raconte cette Ville et ses bruits – le métro aérien qui passe dans toute la ville et le bruit est continu – comme le blues et le gospel tout autant que la country music – il ne faut pas oublier que le Midwest est aux portes, comme la « Route 66 » qui allait jusqu’à Los Angeles et qui est en train d’être refaite.
Une Ville aussi importante pour le jazz. Les musicien(ne)s de jazz de la Nouvelle-Orléans allaient enregistrer à Chicago, centre industriel où studios et clubs prospéraient dans les années 1920s sous la férule de la mafia et d’Al Capone en particulier. Aujourd’hui encore, une visite par bus est organisée dans les quartiers de la pègre qui sert encore de décors aux films de gangsters.
Ces films sont nés ici. « Scarface » et beaucoup d’autres – sans parler d’Eliott Ness et des Incorruptibles, Eliott Ness mort dans la misère – ont fait la gloire de Chicago. Une curieuse gloire…(voir les commentaires sur la chanson « Chicago » ci-après). Pour rester dans les films, Billy Wilder se moquera de ces films de gangsters dans « Certains l’aiment chaud », « Some Like Hot », avec un jeux de mots, « hot » faisant référence au jazz, aux endroits « chauds » – les speakeasies – et autre chose encore. Chicago et la Floride ont partie liée. Beaucoup de musiciens, dont Ira Sullivan – on en parlera plus loin) ont quitté Chicago pour le soleil du Sud…Le film est aussi intéressant pour la référence aux orchestres uniquement féminins…
Pour le jazz, Chicago fut la Ville du jazz dans les années 20 pour des raisons économiques et nullement liées à la fermeture de Storyville, le quartier des plaisirs de la Nouvelle-Orléans.
On comprend que ces deux raisons se combinent, se ramifient, se confortent et obligent à rester à Chicago. Le projet de départ s’étalera sur plusieurs années… Chicago, rajoutons cet élément, est le nœud ferroviaire des États-Unis. Le Canada est à quelques encablures, New York sur le côté droit et l’Ouest américain à gauche dont Kansas City dont nous reparlerons.
Loin des clichés…
Il faut tout de suite faire la peau – à Chicago c’est normal – à une idée reçue que beaucoup trop d’histoires du jazz reprennent à leur compte. Le jazz n’a pas remonté le Mississippi, partant de la Nouvelle Orléans pour passer par Chicago et arriver à New York puis redescendre à Kansas City, dans le Missouri. Non, tout n’est pas lié aux bordels. Storyville, quartier dit des plaisirs de la N.O. (pour New Orleans, pratiquons nous aussi ce sport qui suppose de créer des acronymes), qui tient son nom du gouverneur de NO était le quartier des bordels. Un quartier qui se dédoublait à l’image de la société américaine, raciste. Une partie réservée aux Blancs et l’autre aux Noirs. Les musiciens de jazz noirs – même créoles comme Jelly Roll Morton – ne pouvaient jouer du piano dans un bordel pour les Blancs…
Traditionnellement – je parle ici des historiens du jazz -, il est considéré que la fermeture de « Storyville » a entraîné la transhumance des jazzmen et jazzwomen vers Chicago puis New York… Or, la transhumance commence bien avant. Juste après la guerre de Sécession (1861-1865), l’industrie du Nord a besoin de salarié(e)s et les ghettos s’épanouissent. Plus encore, les esclaves ne sont pas le monopole du Sud. on en trouve aussi à New York, au marché Sainte Catherine. Des images restent qui datent de 1922. Il faut lire la thèse de William T. Lhamon Jr. « Raising Caïn » – traduction française chez Kargo & L’éclat, 2004, une thèse curieusement ignorée – pour se rendre compte à la fois des échanges culturels entre immigrants européens, africains – exilés de force mais qui deviendront à leur tout Américains, le blues sera une des manières de se considérer comme tels, voir « The Blues people » de Leroy Jones, traduction « Le peuple du blues » chez Folio – , amérindiens – désormais appelés « Native Lands », pour signifier qu’ils étaient là avant tous les autres – pour former une culture commune et l’existence de foyers musicaux dans tout le pays où vivaient des Africains inscrits dans un processus d’acculturation. Le jazz, le blues est ainsi nés dans une multitude d’endroits. En même temps. L’unification se fera par le disque, vecteur essentiel de reconnaissance. Pour le blues ce sera par le biais du génie de Robert Johnson qui enregistrera, en 1936-37 des poèmes superbes, quintessence de cet art populaire et savant, de cet art brut qui servira de pot commun pour toutes les compositions à venir. Le jazz, les jazz sont une musique fondamentalement urbaine. Elle nait dans ces ghettos noirs qui se sont disséminés dans toutes les villes de ces États-Unis racistes.
Ainsi donc, le jazz ne serait pas né à la NO, mais aussi à la NO avec un mélange particulier qui tien au fait que la Cité du Croissant est un port et donc avec des échanges culturels importants, situé en Louisiane qui a été française, espagnole, française et américaine par la vente par Napoléon 1er au gouvernement américain en 1804. Les Cajuns garderont longtemps le français comme langue…
Chicago aussi sera le lieu où se rencontreront différents types de cultures avec un mélange spécifique…
New York, Los Angeles tout autant… Mais aussi Philadelphie, Detroit, Boston, Memphis…
« Jazz », rappelons-le, est un terme péjoratif pour signifier qu’il serait né dans les bordels… Plus prosaïquement, il est né dans la rue, dans ces ghettos noirs de toutes les grandes villes américaines.
Comme le fait ironiquement remarquer, William Howland Kenney in « Chicago Jazz », sous titré « A Cultural History, 1904 – 1930 » (Oxford University Press, 1993), le Mississippi ne monte pas jusqu’à Chicago… Dans cet ouvrage qui ressort des « cultural stories » – malheureusement non traduit en français – l’auteur, lui-même clarinettiste de jazz, insiste sur le contexte économique qui explique que Chicago soit la ville du jazz dans les années 20 (jusqu’à la crise de 1929), environnement qui pèse aussi sur les possibilités créatives des musicien(ne)s. Le disque de jazz est à la fois une création et une marchandise…
Tout commence par une chanson et un blues.
« Chicago » est une chanson écrite par Fred Fisher (1875 – 1942) – pour une ville qui se termine par la lac Michigan, porte d’entrée quasiment au Canada et une rivière qui tourne autour de la Ville, Un « pêcheur » est bien choisi – à droite en remontant, New York. Une ville fondamentale dans l’Histoire américaine pour son architecture mais aussi pour sa place centrale. Si les gangs s’installent à Chicago c’est pour sa proximité avec le Canada et New York.
Si deux ghettos existent, un pour les nouveaux arrivants, l’autre pour les anciens c’est parce qu’elle est porte d’entrée vers la liberté pour les esclaves qui se sont sauvés des plantations, comme pour ces hommes libres qui viennent travailler comme salariés dans ces usines du nord. Elle sera aussi – c’est une des premières études de la sociologie de Chicago – la ville des hobos, ces travailleurs des chemins de fer, travailleurs précaires, au chômage récurrent comme on dirait aujourd’hui mais qui ont créé une organisation syndicale qui voulait changer la société, bénéficiaient d’une « hobothèque » et organisaient des conférences sorte d’université populaire. Voir Nels Anderson, « Le Hobo sociologie du sans abri », traduction française tardive, en 1993 (soit 70 ans après sa première publication), Nathan édition.
Il n’est pas étonnant que ce soit dans cette Ville qu’est né le boogie-woogie, rythme lancinant provenant du bruit du train, de ces trains à vapeur qui faisaient bouger nos rêves.
Ci-après Pinetop Smith, 1928, « Pinetops boogie »
Une ville industrielle qui a vu la création des studios d’enregistrement et donc les labels. Des labels indépendants, aucune grande compagnie, dans un premier temps ne voulaient prendre le risque d’enregistrer une telle musique. Ensuite, ces « majors » créeront des filiales pour vendre des disques spécifiquement destinés à cette clientèle des ghettos, les « race series » qui deviendront après la seconde guerre mondiale des disques de « rhythm and blues », seule l’étiquette aura changé…
Pour situer la chanson.
Elle sera chantée par Frank Sinatra dans un film de 1957, « The joker is wild » et avant par Ginger Rogers et Fred Astaire dans le film de 1939 « The Story of Vernon and Irene Castle », un couple de danseur qui eut son heure de gloire dans les années d’entre deux guerres. Ce couple est légendaire aux États-Unis, comme Ginger and Fred. Mais c’est, en une version abrégée, Tony Bennett qui en fera un succès en 1960 avec l’orchestre de « Count » Basie.
D’abord Frankie
Ensuite Tony Bennett avec Count Basie
Les paroles dont référence à Billy Sunday, un évangéliste sont les sermons étaient très suivis dans les deux premières décennies du 20e siècle. Il pouvait, dit la chanson, faire fermer la ville vers le bas (là où se trouve les gangs et Capone en particulier).
Marty Fay, qui est aussi cité, était un DJ – comme on dirait aujourd’hui – de la radio de Chicago.
« The pump room » a été créé le premier octobre 1938 et fermé en 2011, transformé et rénové en hôtel.
La ville est qualifiée de « Toddlin’ town », une manière de dire qu’elle fait ses premiers pas – traduction de toddler, un bambin qui fait ses premiers pas – pour faire référence aux mœurs qui en sont à leurs balbutiements, à la morale et donc à la main mise de la pègre. Ces gangs représentent une manière de se faire intégrer dans cette société américaine qui les refuse.
Son deuxième titre, « My kind of town », ma sorte de ville, indique à la fois la distance et l’affection.
Le blues, c’est celui de Robert Johnson, « Sweet home Chicago » repris par les Blue Brothers dans le filp éponyme de John Landis, un hommage au blues, à Chicago – à son métro -, aux films noirs et à tout le reste. (voir les deux extraits qui introduisent ce long périple).
Une ville qui fait de l’oxymore sa définition.
La sociologie, dite de l’École de Chicago, est issue du journalisme et veut décrire les réalités du « rêve américain ». Robert E. Park en sera le fondateur. La méthode, des interviews, des études sur le terrain avec une insistance sur les acteurs, leur ressenti pour construire des théorisations. Il écrira, conscient des limites de la méthode, « Je crois que la connaissance du terrain ne remplace pas les enquêtes plus structurées et plus systématique mais elle en constitue le point de départ. » (in « Le journaliste et le sociologue », Médiathèque/Seuil). L’exemple qu’il donne, la situation des Noirs dans le Sud des États-Unis révèle aussi un choix politique, éthique, moral.
La première grande étude, publiée tardivement en français – chez Nathan – portait sur le paysan polonais. Elle faisait plusieurs milliers de pages. Seule la synthèse est disponible en français. C’est une sorte de discours de la méthode de cette école. Le livre qui a permis de la découvrir est celui signé par N. Anderson sur « Le hobo, sociologie du sans abri » (Nathan pour la traduction française) qui permet de visiter Chicago et ces travailleurs des chemins de fer itinérants. C’est aussi la naissance du syndicalisme des IWW.
Oliver Nelson, saxophoniste et compositeur leur dédiera cette composition « Hobo Flats », Louis Armstrong les aura aussi évoqués dans « Hobo ride » dans les années 1930.
Cette sociologie fonctionne pour le jazz, anti art dans lequel l’essence est définie par l’existence des musicien(ne)s (et un peu pour les autres domaines artistiques) avec quelques réserves. Howard S. Becker, dans le cadre de cette école sociologique, s’est taillé un espace sur le terrain de la sociologie de l’art. Pour se faire une idée d’ensemble de sa méthode, voir « Les mondes de l’art« , traduit dans la collection Champs chez Flammarion. Il est présenté comme « un spécialiste de la sociologie de l’éducation, de la déviance et de l’art ».
En ce qui concerne les mondes du jazz, et c’est sur ce terrain que Becker s’est fait connaître, son premier livre, « Outsiders » – traduit chez Métailié en 1985 alors que la première édition date des années 1960 – essayait de dégager les traits communs de musicien(ne)s de jazz. Becker est lui-même pianiste de jazz, au départ dans les clubs de Chicago.
Son dernier livre, traduit en français – aux éditions La Découverte -, coécrit avec Robert R.Faulkner – sociologue et trompettiste -, « Qu’est-ce qu’on joue maintenant ? », sous titré « Le répertoire du jazz en action » essaie de déterminer comment se construit une culture, celle des musicien(ne)s de jazz, connue sous le nom de « standards ». Le titre anglais est plus révélateur : « Do you know…? », est-ce que tu connais ? pour pouvoir jouer ensemble dans n’importe quel environnement. C’est la question qui est posée lors de courts conciliabules avant de commencer à jouer. Tout se fait très vite. Cette culture est faite – comme toute culture – de réminiscences du passé pour construire un fonds commun. Ils en profitent pour interroger la notion même d’improvisation dans le jazz. La grille d’accords est connue – sauf dans le jazz modal ou le free jazz -, le thème aussi… Où se situe la création ? Elle existe pourtant mais pas là où elle se trouve située d’habitude. il faut chercher ailleurs.
Cette sociologie fait ici la preuve de sa pertinence. Ce n’est pas forcément acquis dans les autres domaines…
Cette sociologie analyse aussi les formes de socialisation de ces États-Unis toujours bizarres. Dans « Street Corner Society« , William Foote White décrit « la structure sociale d’un quartier italo-américain », comme le dit le sous titre, à Boston pour comprendre les rejets raciaux et sociaux – dans ce pays les deux sont intiment liés – de certaines populations. Celles qui ne répondent pas aux critères « WASP » soit White (Blanc) Anglo-Saxon Protestant, les soi-disant descendants du May Flower. Les Italo-Américains ou les Juifs-Américains resteront longtemps des Américains à trait d’union. W.R. Burnett, écrivain de polar, s’en fait encore l’écho dans un livre écrit en 1981, « Good Bye, Chicago » qui se situe en 1928.
« Street Corner Society » a été publié en 1943 – traduit en français, sous le même titre en 1995 par les éditions La Découverte – et le contexte « spatio-temporel » est important. Boston, l’immigration italienne et la présidence de Roosevelt (1932-1945) pour comprendre l’intérêt de cette enquête. Comme le contexte intellectuel français du milieu des années 1990 explique sa traduction. Ce livre a marqué des générations de sociologues et a inspiré des politiques sociales.Il n’a pas craint d’aller interviewer les gangs qui font de cette culture du « street corner » – intraduisible en français, la rencontre entre une grande artère et une rue pour former un rectangle qui est un « lieu de vie », une identité, un peu comme celle d’un quartier – une sorte de carte de visite des villes américaines. Le résultat est un constat terrible de l’état de la société américaine au moment de la guerre.
Dans le temps de cette présidence, et en fonction de la crise économique profonde, l’outil statistique se transforme. Au départ, les statistiques étaient surtout agricoles pour éviter les malversations d’un état à l’autre de brigands imposant les prix les plus bas en mentant sur les prix pratiqués ailleurs – aujourd’hui on spécule sur le prix des matières premières et on reparle d’un outil statistique approprié. La connaissance des prix évitait aux producteurs d’être pieds et poings liés par rapport aux négociants. Avec la crise, l’outil statistique change. Il devient plus important de connaître le nombre de chômeurs, la croissance…
(suite à venir)
Note : Toutes les photos de Chicago (2012) sont de Francine Béniès.