A Max Roach (10 janvier 1924 – 16 août 2007), architecte hasardeux.
La collection Quintessence, dirigée par Alain Gerber, consacre un coffret de deux CD à Max Roach, batteur inestimable, prince du bebop, oreilles grandes ouvertes à la tradition et à l’innovation, à la construction comme à l’improvisation. Max fut une des incarnations du jazz, avec tous ses oxymores.
Il est à la fois compositeur – il sait rejouer note à note son solo dédié à Sidney Catlett, une de ses principales influences, composition figurant dans un album de 1964 « Drums illimited » ; je l’ai encore entendu à Coutances à Jazz sous les Pommiers en duo avec Dollar Brand, un duo qui ne fonctionna pas pour des raisons diverses mais le solo de Max était inscrit dans le marbre – et improvisateur, architecte et marcheur. Francesco Careri, dans son essai « Walkscapes, la marche comme pratique esthétique », indique que la route construit une sorte d’urbanisation, d’architecture spécifique par des rencontres de hasard, par la vision du marcheur qui découvre des paysages inédits. Max lui aussi nous fait pénétrer dans son univers fait de constructions rectilignes liées à sa subjectivité, à sa manière de mêler les mémoires du jazz. Mémoires qui seront celles aussi du futur. Sa ligne droite est souvent une ligne brisée soit une succession de lignes droites qui indiquent une direction différente poussant l’auditeur(e) à construire ses propres mondes. Un architecte ne doit-il pas susciter l’imagination ? Ne pas s’arrêter aux possibles mais flirter avec l’impossible juste pour démontrer que le champ de l’imaginaire n’est pas limité. Volontiers percussionniste, capable de faire chanter cet instrument étrange emblématique du jazz, la batterie. Roi de l’illusion, il laisse penser que ses quatre membres sont indépendants alors qu’ils ne sont qu’autonomes. Un double exploit si l’on veut bien s’y arrêter. Écouter « Tympanally » figurant dans cet album. Il pratique aussi la vitesse d’exécution, donnant le plus souvent l’impression de cette vitesse. Mais il sait aussi démontrer que les rythmes les plus fous sont aussi les siens.
Alain Gerber et Alain Tercinet retracent, dans le livret absolument essentiel pour faire connaissance avec le batteur/compositeur/chef d’orchestre, le parcours de Max qui est aussi la route suivie par le jazz à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. Il joue professionnel depuis l’âge de 15 ans tout en poursuivant ses études de percussion et aura tout connu du jazz, des orchestres de jazz traditionnel aux orchestres swing. Il veut tout connaître. Son savoir sera encyclopédique avent de s’engager dans la lutte pour les droits civiques aux côtés de Malcom X au moment où ce dernier quitte les Blacks Muslims d’Elijah Muhammad. Sa « Freedom Now Suite » publié sur Candid – un label éphémère, 9 mois de vie dirigé par un critique de jazz Nat Hentoff, et financé par un mécène – en témoignera, en compagnie de sa compagne, Abbey Lincoln. Un extrait, un duo voix/batterie, est proposé dans ce coffret, « Triptich », une sorte de ballet. Ensemble et séparément il et elle marqueront de leur empreinte les mondes du jazz. Ce sera une autre histoire qui sera racontée ultérieurement.
Le bebop – et avant Duke Ellington, il voue une admiration sincère à Sonny Greer le batteur habituel, par trop décrié de l’orchestre du Duke des débuts jusqu’à l’orée des années cinquante – transformera son jeu, via la rencontre avec Charlie Parker, en cette année 1945 qui voit l’enregistrement de « Koko », sur les harmonies de Cherokee. Il a 21 ans !
Il participera à tous les styles de jazz pas si éloignés qu’on ne le dit parfois, hard bop, cool, West Coast jusqu’aux confins du free jazz – avec Anthony Braxton…
Ici, dans ce volume, on le suivra de 1951 – pour les enregistrements avec Parker se reporter soit au coffret de cette collection consacré à « Charlie Parker » soit, mieux, à l’intégrale Charlie Parker sous l’égide de Alain Tercinet chez le même éditeur – à 1960, date de la « Freedom Now Suite ». Pour l’essentiel on ne quittera guère New York. Deux trompettiste méritent d’être mentionnés pour leur rôle auprès du batteur et du jazz, Clifford Brown qui eut l’audace d’approcher le parfait, Dieu en quelque sorte et nous a quittés le 26 juin 1956, à 26 ans, en compagnie de Richie Powell le pianiste de ce quintet – et Booker Little, météore du jazz, mort à 23 ans le 5 octobre 1961… Max s’en est difficilement remis…
Nicolas Béniès
« Max Roach, New York – Toronto – Newport, 1951 – 1960 », collection Quintessence/Frémeaux et associés.