La Finlande au fil d’une vie de femme.
« La colonelle », une femme dominée par un vieux nazi, incapable de voir le monde en face, de dominer ses peurs et ses angoisses, il bat ses épouses jusqu’à les tuer. Violée, la future colonelle cherche à oublier, se croyant coupable et sa faiblesse la conduit dans les bras quasi paternels de ce Colonel qui a l’âge de son père mort trop tôt pour elle. Intimement liée à sa trajectoire personnelle, celle de la Finlande partagée entre l’Occupation nazie et celle de l’Union Soviétique de Staline. Les deux histoires sont baignées dans les paysages poétiques qui font le sel de ce pays étrange peuplé de mystérieux fantômes, particulièrement en Laponie.
Rosa Liksom – pseudonyme de Anni Ylävaara – conte, avec une candeur non exempte de rouerie et d’humour, les années 1930 qui voient la montée du fascisme, la fascination des intellectuel.le.s et des romancières salonardes pour Mussolini puis pour Hitler. Elle met sur la table toute cette collusion, collaboration qui sera bien cachée après la guerre. Elle décrit les camps, la barbarie, l’antisémitisme, les vols des Juifs en toute bonne conscience mais aussi la bêtise, la lâcheté de ces soi-disant surhommes. La description de Hitler, en 1943, est la négation de toutes les images d’Épinal.
Ce roman est ambitieux. L’écriture est simple, les souvenirs donnent l’impression de couler mais à chaque chapitre, ils prennent une autre dimension grâce à un travail de mémoire toujours renouvelé. Elle arrive à faire comprendre comment notre esprit réagit aux traumatismes, l’oubli est une nécessité pour ne pas souffrir en construisant un autre monde.
La Finlande se dessine comme une terre de haine, de vengeance. Elle écrit pour signifier la période de la guerre, « L’esprit du temps était à la vengeance et on lui avait donné un nom : nationalisme » comme un avertissement pour les temps présents. La volonté politique d’enfouir le passé, de ne pas évoquer toute cette période de la guerre mais aussi tous les meurtres domestiques fait partie de l’histoire fantasmée de tous les pays. Ce roman ouvre grandes les portes et les fenêtres de la nécessité d’écrire l’Histoire. Il était nécessaire que ce soit une femme qui apporte son témoignage. Un des grands livres de cette rentrée.
Nicolas Béniès
« La colonelle », Rosa Liksom, traduit du finnois par Anne Colin du Terrail, Du Monde Entier/Gallimard, 205 p., 18 euros.