« Les prophètes du mensonge », une étude publiée en 1949, en écho avec notre actualité

Une analyse du discours fasciste

Léo Löwenthal et Norbert Guterman ont joué un rôle essentiel dans l’élaboration théorique attribuée à la pensée critique de l’Ecole de Francfort transférée aux Etats-Unis au milieu des années 1930. En compagnie de Theodor Adorno et de Max Horkheimer principalement, ils s’essaient à construire à la fois des concepts pour appréhender la réalité du capitalisme et de ses formes culturelles comme les représentations psychosociologiques. Marx et Freud – particulièrement celui de « Malaise dans la civilisation » – sont sollicités pour construire un système éducatif qui permette d’éclairer les citoyennes et citoyens sur la réalité du discours démagogique qui s’appuie sur les préjugés surnageant à la surface du cerveau (Freud dixit). Paradoxalement, les préjugés survivent aux changements des modes de production, des systèmes. Les religions en sont un des vecteurs.
Le titre résonne. « Les prophètes du mensonge » évoque irrésistiblement Donald Trump, un des grands spécialistes des « fake news » et son utilisation des émotions pour faire passer son discours mensonger. Il n’est pas le seul. L’extrême droite sait aussi utiliser le langage codé, celui de l’antisémitisme comme celui du racisme. Sous titré : « Étude sur l’agitation fasciste aux Etats-Unis », les auteurs parlent du langage en Morse de l’agitateur fasciste. Il repose d’abord sur la constatation du malaise social et un monde hostile dans lequel agit un impitoyable ennemi… dont les faiblesses le rendent impuissant et qui est représenté par un archétype, le Juif ou l’Arabe.
Cet agitateur est un révélateur. Des crises du capitalisme – sans la référence au capitalisme écrit Horkheimer, il est impossible de comprendre le fascisme – comme de la menace latente qui pèse sur la démocratie.
Une étude qui pourrait servir de socle pour un renouveau des analyses d’un capitalisme vieillissant, d’une forme de capitalisme dépassée qui ne possède plus d’idéologie. l’absence de vision du monde des cercles dirigeants – gouvernement comme institutions internationales – conduit à une crise de civilisation qui passe par l’absence de légitimité des constructions passées, États comme construction supranationale. La crise de la démocratie fait le lit de tous les fascismes qui semblent répondre via des boucs émissaires, aux crises notamment politiques en proposant des formes dictatoriales. Les destructurations de la société, les reculs des droits, sociaux, collectifs minent la crédibilité des gouvernants qui se tournent vers le répressif pour conserver leur pouvoir préparant ainsi des lendemains qui déchantent.
Nicolas Béniès
« Les prophètes du mensonge. Étude sur l’agitation fasciste aux Etats-Unis », Leo Löwenthal et Norbert Guterman, traduit par Vincent Platini et Emile Martini, présentation d’Olivier Voirol, préfaces de Max Horkheimer (1949) et de Herbert Marcuse (1969), La Découverte.

Les faces cachées du discours sécuritaire.
La démagogie prend, dans notre monde moderne, un tour technologique. Élodie Lemaire dans « L’œil sécuritaire, mythes et réalités de la vidéo surveillance » a mené l’enquête sur le discours sécuritaire qui fait de la caméra le moyen de sécuriser l’ensemble des populations en prévenant le crime ou le délit. Elle a interrogé les utilisateurs de cet outil, soit comme partie prenante de cet œil soit comme consommateurs – pour le plus grand profit des sociétés privées – pour conclure sur les limites technologiques en mettant en lumière une « vision du monde » qui privilégie la protection sécuritaire au lieu des protections sociales pour construire une forme répressive de l’Etat qui vient prendre la place de la forme sociale. Sans compter qu’elle dessine une typologie des classes dangereuses, en l’occurrence les classes populaires des banlieues avec son lot de racisme. Le danger est là plus que dans « Big Brother ».
N.B.
« L’œil sécuritaire », Élodie Lemaire, La Découverte.