Sous la cendre, la création encore.
Aucun album signé par Dave Liebman, saxophone soprano, ténor et flûtes, ne laisse tranquille. La sonorité des instruments qu’il se refuse à cajoler est au service de compositions interrogatives sur notre monde absurde tout en dégageant créativité et émotions. Il sait alterner les voix et les métriques pour envoyer l’auditeur vers d’autres horizons. Un de ceux qui marquent le passage entre les deux siècles.
Est-ce l’âge, la décomposition des Etats-Unis – bien mise en évidence par l’élection de Trump, postérieure à la date d’enregistrement de cet album -, la volonté de retrouver des compagnons un peu perdus de vue pour un voyage dans le temps et dans l’espace ou tout simplement pour proposer un bilan de ces années de feu que furent ces années de l’après 1968. On dira que c’est un peu la mode. Ce sera vrai. Tout dépend de la manière de le faire. Nulle nostalgie, juste cette mélancolie nécessaire pour faire le deuil d’un pan de notre histoire collective et personnelle qui donne l’impression de se clore.
Pour cette évocation au présent, Dave a fait appel à Jack DeJohnette, batteur éclatant – même un peu trop de temps en temps mais ce n’est pas le cas ici -, Dave Holland à la contrebasse que le saxophoniste a rencontré pour la première fois lors de son séjour en Europe, tous les trois appartiennent à une école singulière, celle des groupes de Miles Davis dans ces années 1970 pendant lesquelles le Prince des Ténèbres (Miles) s’entourait des paillettes de la notoriété et du « star system ». Seul, dans ce quartet, le pianiste, Kenny Werner, est en dehors de la sphère davisienne pour apporter un contrepoint aux trois autres qui, sinon, auraient tendance à retrouver quelques tics de langage. Il fallait un pianiste, un musicien de la taille de Kenny Werner pour être l’empêcheur de tourner un peu trop en rond.
Dave a choisi de titrer cet album – il ne pouvait trouver mieux – « Fire », titre éponyme de sa composition centrale, sorte de colonne vertébrale de cette discussion entre les quatre protagonistes, une discussion d’égal à égal pouvant devenir dialogue ou trilogue suivant les besoins de l’expression liée et de la composition. Ainsi une grande partie de « Inferno » – référence à Dante ? – est un dialogue soprano/batterie que les deux autres viennent perturber pour laisser la place au trio du pianiste.
« Feu » donc, dans le sens de tirer ou dans le sens du feu qui brûle ? Les deux significations conjointes. Pour créer, brûler est nécessaire pour rompre avec le passé tout en conservant les braises pour faire feu de toutes les armes de » création en notre possession. « Feu » sur les années 1970, « feu » sur le monde, « feu » sur cette société incapable de considérer les nécessités du développement humain.
Le compositeur propose une suite curieuse à la lumière de cette première année de présidence trumpienne et macronienne. « Flash !! », composition collective, met dans l’ambiance suivie par « fire », un feu qui, évidemment fait des étincelles, « Sparks », et des flammes, « Flames », des incendies non prévues qui ressemblent à l’Enfer, « Inferno » pour ne laisser que poussières, « Ashes »… Il faut dire aussi que Dave au soprano, c’est le feu qui dévore, qui envahit l’espace. Une énergie hors du commun.
Une musique tellement de notre temps qu’il faudrait la faire écouter sur toutes les radios pour redonner cet espoir qui manque tant. Ce n’est pas un roman que « Fire » mais un récit qui projette autant vers le passé que dans l’avenir.
Nicolas Béniès
« Fire », Dave Liebman quartet, Jazzline