Un polar israélien.
La littérature israélienne forcément contestataire des pouvoirs, surtout ceux de « Bibi », le premier ministre de droite qui est obnubilé par la guerre pour faire passer sa politique antisociale. Lui aussi a déclaré la guerre et d’abord aux Palestiniens pour leur refuser leurs droits… Le « terrorisme » – un terme à la mode qui permet de couvrir toutes les atteintes aux droits démocratiques – sert de paravent.
Yishaï Sarid s’est fait connaître en France grâce à ce merveilleux roman « Le poète de Gaza » (Actes Noirs) paru en français en 2011. Actes Sud récidive, toujours dans sa collection Actes Noirs, en publiant son premier roman, « Une proie trop facile » qui joue sur les apparences pour décrire un Israël de l’an 2000. Les références datent un peu mais l’écriture recouvre le tout. Une écriture simple, descriptive qui cache l’essentiel, les non-dits sur les quels repose cette société israélienne enfermée dans la guerre qui arrive mal à cacher ses divisions.
« Moi, je milite pour une cuisine simple » fait-il dire à un des personnages. Une cuisine simple est difficile. Il faut choisir avec soin les ingrédients sinon elle est banale et c’est raté. Une bonne définition de cette écriture. Simple et peu banale.
« Une proie trop facile », Yishaï Sarid, Actes Noirs/Actes Sud, 341 p., 22,50 euros
Le jazz à écouter.
La première édition de ce livre en français, « Écoutez moi ça », date de prés de 50 ans. Un bail. La première fois que je l’ai lu après l’avoir acheté aux Puces pour une somme qui ne veut plus rien dire à personne, j’avais été transporté. Dans un autre monde. Je m’intéressais déjà au jazz mais j’avais l’impression de le visiter. Les témoignages de tous les musiciens et musiciennes réunis ici avait quelque chose de surréaliste. Comme si on pouvait toucher la musique. De l’œil, de l’imagination. A la lecture, je m’étais fait une idée du style de chacun(e) des musicien-ne-s. Je n’ai jamais été déçu…
Même si on n’était pas féru en Anglais – de cet Américain qui n’a presque rien à voir et, en plus mâtiné du langage spécifique des Africains-Américains -, il apparaissait que la traduction posait problème. Une fois admis ce fait, le Mississippi entraînait tout en charriant des tonnes d’histoires agrémentées de légendes plus subtiles les unes que les autres. Comment distinguer le faux du vrai ? Qu’est-ce que le faux ? Les légendes ne disent-elles pas plus de chose qu’une vérité qui reste à définir ? L’écriture était belle. Ces mauvais coucheurs utilisaient une langue déliée sans violence, sans mots grossiers. Une langue loin de leur réalité. Violence et grossièretés se retrouvent dans le blues où ils font montre d’une poésie étrange.
La traduction a été révisée, c’est vrai mais les noms des musiciens n’ont pas été vérifiés. Ainsi page 154 de cette nouvelle édition, « TED Lewis » s’appelle toujours « Tex Lewis » et c’est un peu embêtant parce que Benny Goodman copiait un clarinettiste à forte influence klezmer qui accompagna Sophie Tucker dans « Some of these Day » vers la fin des années 20, 78 tours qu’écoute Roquentin dans « La Nausée ». Ce travail supposait de mêler traducteur et spécialiste de jazz. Il faut ajouter que le sous titre n’est pas à prendre au pied de la lettre : « L’histoire du jazz racontée par ceux qui l’ont faite ». Non, chacun(e) raconte UNE histoire, la sienne, chacun(e) donne sa vision. Ce sont les auteurs, Nat Shapiro et Nat Hentoff, qui donnent l’impression d’une Histoire. Ce sont des histoires et c’est l’essentiel. Les témoignages ne racontent rien d’autre qu’un conte forgé par un individu pour se mettre en valeur.
Cette édition possède des compléments. 78 pages pour aborder le jazz des années 40 et 50…
Tel que, ce livre est un voyage dans les mondes du jazz à travers les musiciens, un voyage qui ravira. Un de ceux qui, immobile, vous permet de vous projeter dans tous les temps. Tout en conservant le tempo. N’hésitez pas, Entrez !
« Écoutez moi ça », Nat Shapiro, Nat Hentoff, traduit par François Mallet, révisé par Guy Cosson, avant-propos de Jacques Réda, 494 p., 24 euros.
Du tableau au livre, mystère de la création artistique
« La Dame à la Licorne » dit bien l’objet du livre. Les secrets de ce tableau visible au Musée de Cluny qui réunit une Dame – une noble – et une Licorne. Curieux couple. Une histoire qui permet de faire revivre cette fin du 15e siècle – entre 1490 et 1492 – annonciatrice de la Renaissance, de nouveaux rapports entre les individus et la société et le moment où l’art devient l’Art.. Une histoire d’amour impossible entre Claude, la Dame, et Nicolas, le peintre, sert de fil conducteur à cette quête qui fait balader le lecteur entre Paris et Bruxelles pour entrer dans le secret d’une fabrication spécifique, celle des maîtres lissiers.
« La dame à la Licorne », Tracy Chevalier, traduit par Marie-Odile Fortier-Masek, Petit Quai Voltaire, 314 p., 14 euros.
Sociologie politique.
Comment fonctionne l’Union Européenne ? Comment se construisent les directives ? Le public connaît les Institutions : le Parlement Européen, la Commission, le sommet des chefs d’État et de gouvernement, des conseils des ministres, la BCE. Il est visible que l’UE n’a jamais été autant divisé. Les accords existants sont inter étatiques et ne permettent pas un fonctionnement réel de l’UE. Plus secret est le poids des « lobbies », de ces groupes de pression qui agissent pour influencer les décisions en les faisant correspondre à leurs intérêts.
Sylvain Laurens, sociologue, a mené l’enquête. Elle est édifiante. Toute Institution génère sa propre bureaucratie. La question la plus importante est de savoir comment la contrôler. L’impératif démocratique est essentiel. Lorsque ce fonctionnement démocratique n’existe pas, les lobbyistes ont toute latitude pour parler le langage de la bureaucratie tout en lui fournissant les expertises dont elle a besoin pour justifier son existence. Ce livre, « Les courtiers du capitalisme, milieux d’affaires et bureaucratie à Bruxelles », est aussi une sorte d’histoire secrète de la construction européenne. L’auteur dévoile la manière dont l’Acte Unique de 1986 a été adopté. La marche vers le marché unique représentait un tournant néo libéral de la construction européenne.
Un livre nécessaire.
« Les courtiers du capitalisme », Sylvain Laurens, Agone éditions, 464 p., 22 euros.
Un sommet de la musique baroque.
John Elliot Gardiner, chef d’orchestre britannique, est un spécialiste réputé des œuvres de Bach. Il a voulu, dans cette somme, « Musique au château du ciel, un portrait de Jean-Sébastien Bach », rendre compte à la fois de son travail sur les œuvres du compositeur, expliquer son environnement historique et personnel, le cadre dans lequel il exerçait son art, le travail sur l’acoustique comme de beaucoup d’autre chose. Ce portrait se double d’un autre, celui de John Elliot Gardiner, de son enfance devant un portrait du compositeur, de son rapport à la musique et de sa rencontre avec Bach et la musique baroque, une musique sans nom comme l’est le jazz.
Ce n’est pas un portrait idéalisé, mais celui d’un homme dans son époque. Le mystère reste entier, celui de la création. « L’habitude de la perfection », titre de l’un des chapitres de ce livre, fait office de définition du compositeur qui pourrait s’appliquer au chef d’orchestre. Une sorte d’oxymore : la perfection comme habitude est un bon thème de dissertation. Si c’est une habitude, comment la distinguer ? Comment faire la comparaison ? Dans cette optique qu’est-ce que le dépassement ? Bach atteint la perfection et ne s’en contente pas. Il veut aller au-delà. Il veut, selon toute vraisemblance, se sentir à l’égal de Dieu. Un Dieu capable de s’arrêter le septième jour pour contempler son œuvre, rire et écouter le murmure du temps. Bach devait entendre le murmure du temps…
Ils – Bach et Gardiner – sont aussi sensible à l’acoustique pour rendre une pièce à l’orgue, par exemple, plus ou moins floue pour s’échapper vers le château du ciel dont il est question dans le titre. Gardiner rejoint les réflexions d’un autre chef d’orchestre, Nikolaus Harnoncourt qui, dans « Le discours musical, pour une nouvelle conception de la musique » (réédité dans la collection Tel/Gallimard), insistait sur l’acoustique spécifique des endroits où se donnait la musique. Bach jouait avec les vibrations du lieu pour donner à sa musique les contours qu’il désirait, cette écriture polychorale.
Je ne sais si nous aurons – enfin ! – de longues soirées d’hiver. Si c’est le cas, ce livre est fait pour elles. Il se laisse lire au début pour s’ouvrir ensuite à la passion partagée. Bach devient un compagnon de vos jours… Si l’hiver se fait attendre, profitez des vacances pour vous lancer à corps perdu dans ce livre fleuve pour tout savoir et de Bach et des techniques de composition et d’interprétation. Gardiner est un guide efficace.
« Musique au château du ciel », John Elliot Gardiner, traduit par Laurent Cantagrel et Dennis Collins, Flammarion, 747 p., 35 euros.
En complément, lire ou relire Nikolaus Harnoncourt, « Le discours musical », traduit par Dennis Collins, Tel/Gallimard, 295 p., 8,90 euros. Un livre qui détaille les raisons pour lesquelles le chef d’orchestre a choisi les instruments du temps pour jouer la musique du temps.