Une ou deux histoires de la culture…
Deux «dictionnaires » viennent illustrer notre histoire et nos histoires. Comme le rappelle Gilles Verlant dans Je me souviens du rock (Actes Sud collection Variétés) – sur le modèle de « Je me souviens » de Perec – le rock a quelque chose à voir avec notre vie. Et L’auteur réussit à parler à chacun d’entre nous. Et chacun d’entre nous, et là l’âge importe peu, pourrait se souvenir d’événements en relation avec cette musique, qu’André Francis dans un petit opuscule sur le Jazz (« Jazz » au Seuil) qualifiait de musique de voyous. C’est le moindre de ses mérites… Si « on » m’en laissait l’occasion, je me souviendrai de 1963, de ce concert gigantesque où j’avais découvert le sens du mot « masse », sans parler des « mouvements de masse », de la révolte de cette jeunesse et de son désir de changer le monde. Verlant n’hésite pas à dire qu’il n’a rien vérifié, montrant par là la différence entre mémoire – un travail, une recherche – et le souvenir qui suppose une part d’oubli comme le notait justement Blanchot.
Le travail de mémoire s’effectue par l’intermédiaire des dictionnaires. Un classement proche du surréalisme, le plus souvent de par les chocs qu’il provoque. Jean-Marie Leduc et Jean Noël Ogouz proposent un parcours qu’ils veulent le plus complet possible – l’exhaustivité est impossible, on le comprendra – pour cette « édition définitive » du Rock de A à Z.1 Un véritable voyage dans les musiques. Les racines du rock sont bien représentées. Il passe en revue les grands de la Country Music – terme qu’ils définissent par une entrée – , rendant ainsi à cette musique ce qui lui revient notamment Carl Perkins – un article lui est dédié, à lui et à ses chaussures de daim, « Blue Suede Shoes » -, comme du Blues, qui a aussi droit à une rubrique, comme le rock lui-même rappelant qu’il est issu du slang – l’argot – qui désigne ainsi le sexe ou l’acte sexuel. On comprend pourquoi les « biens pensants » ont toujours refusé de prononcer ce terme, et pourquoi ils ont rejeté les hanches suggestives d’Elvis Presley – une entrée aussi, bien sur –, bien vite rentré dans le rang des ballades sirupeuses.
Les hasards de l’ordre alphabétique permettent aux auteurs de débuter avec AC/DC et de terminer avec Zappa – dont la superbe n’a pas souffert de sa disparition physique -, Zevon, The Zombies et ZZ Top. Entre les deux, ils n’en oublient pas les Français, vrai et faux, Johnny bien sur mais aussi Eddy et même Vince Taylor qui n’a jamais pu terminer une prestation. La salle était cassée avant. Il est mort dans la misère. Il faut dire qu’il chantait tellement comme Eddie Cochran, mort lui dans un accident de voiture. De quoi faire fonctionner sa fontaine à souvenirs. J’aurai pu vous parler de Gene Vincent que j’avais vu en concert à Paris – mais ce n’était pas à l’Olympia -, des Chaussettes Noires – mon premier je crois bien à l’Olympia cette fois là -, des Chats Sauvages ou de Ray Charles lorsqu’il n’était pas encore une marchandise ou de Fats Domino (et de son clone Frankie Jordan qui n’a pas d’article à juste raison, il a mal fini, dentiste, Sylvie Vartan qui, chantait avec lui l’immortel « Panne d’essence » non plus) ou de… Mais je m’arrête pour ne pas vous fatiguer et de vous renvoyer à ce faux-vrai dictionnaire où vous trouverez votre boire et votre manger. Tout en écoutant vos 33 tours…
Le deuxième dictionnaire est plus centré dans son propos, plus historique aussi, en se voulant un Guide de la Country Music et du Folk.2 Gérard Herzhaft, grand spécialiste du blues – il faut posséder son Encyclopédie du Blues – s’est associé à Jacques Brémond pour proposer cette route vers nos mondes imaginaires et réels. Il aurait pu prendre le titre d’une chanson de Willie Nelson, « On The Road Again », valable autant pour les bluesmen que pour les countrymen. Willie a d’ailleurs enregistré avec Ray Charles et chanté des blues. C’est quand même un cas à part. Quelques-uns uns de ces chanteurs sont de fieffés réacs. Mais pas les précurseurs comme Hank Williams ou Jimmy Rodgers influencé par les chants hawaïens plus que par les tyroliennes. Il faut dire que les deux ont des ressemblances, ce qui conduit à s’interroger sur les racines des deux… Rodgers a été une des idoles d’Howling Wolf (Chester Burnett), un des grands créateurs du blues dont les compositions ont été reprises par tous les rockers à commencer par Elvis. C’est tout un pan de l’histoire culturelle américaine qui s’écrit là. Une histoire pleine de bruits, de fureurs, de révoltes, d’alcools, de drogues, de « bleus », une histoire de l’Ouest revue et corrigée par Memphis et Nashville – prononcez avec l’accent nasillard des péquenots, c’est la traduction du terme « hillbilly », que l’on entend dans les « Blue Brothers », le film de John Landis à la gloire de toutes ces musiques -, des chansons de « cow boys » issus le plus souvent des westerns d’Hollywood. Le blues et la country, comme le folk ont souvent partie liée et s’influencent mutuellement.
Les deux dictionnaires se recoupent, fort logiquement. La différence de style saute aux yeux, et permet plus encore d’appréhender ces mondes à la fois étranges et familiers. Plus universitaire chez Herzhaft et Brémond, plus journalistique – je parle du style ici – Leduc et Ogouz. Les deux se complètent, ouvrent des perspectives.
Nicolas BENIES.
Signalons que Jean-Marie Leduc est l’auteur, au Seuil, d’un Dico des musiques qui permet de trouver rapidement la définition que l’on cherche. Ainsi par exemple le Ska – reggae des faubourgs les plus pauvres de la Jamaïque – s’y trouve comme beaucoup d’autres choses. Peu d’erreurs, et c’est réellement rare.
1 Albin Michel. 795 pages, 195 francs.
2 Fayard, 592 pages,