Article paru dans la revue de l’EE, 10 janvier 2000

Une noire collection.

Aux éditions de l’Olivier, la collection Soul Fiction sous la direction de Samuel Blumenfeld, met à la disposition du public français des livres oubliés ou laissés pour compte. La littérature des hommes invisibles. C’est une forme de littérature proche du jazz et du blues. Malheureusement le français a du mal à rendre compte de ce style proche de la syncope musicale, avec des références sous-jacentes et le « double entendre » comme disent les Américains.Cette collection enrichit notre perception des univers anglo-saxons, et pas seulement américains.

Iceberg Slim (1918-1992), fut un « Pimp » – le titre de son autobiographie -, autrement dit un maquereau à Chicago dans les années 40-50. Il décrit les mondes des ghettos évolutifs – ils ont tendance à changer de lieu dans cette Cité des Vents – de Chicago, nœud ferroviaire de brassage des populations noires, ferment d’un renouveau du blues dans les années 40-50 justement, d’un blues plus électrifié, plus dur, plus revendicatif faisant entendre les bruits de l’usine et non plus ceux liés à la cueillette du coton. Le blues urbain racontait une histoire différente du blues rural, tout en continuant à parler de la même chose, des hommes et des femmes invisibles de ce grand pays sans nom, les Etats-Unis. Une description clinique en même temps qu’une histoire « noire », sans issue. L’écriture a permis à Iceberg Slim de se trouver une sortie. La seule façon de survivre, explique-t-il sans concession sans fausse honte et sans compassion envers lui-même, c’est de cogner sur les plus faibles, les femmes. Il met en lumière, mieux que beaucoup de traités la place de la femme noire, mule de l’homme noir comme l’écrivait justement Zora Neale Hurston.1

Le traducteur, Jean-François Ménard, n’a pas su rendre la langue verte, le jive, utilisée par l’auteur. Qu’il fallait peut-être actualisé. L’argot censé » rendre cette langue spécifique fait un peu ringard, daté. Il fallait marier grossièreté et poésie. C’est la marque de tous les slangs, de tous les argots, de toutes ces langues vernaculaires. Tel que, il permet pourtant au public francophone de se faire une idée de cette littérature « laissée pour compte », qu’il faut réveiller, solliciter. Trick Baby, traduit par Gérard Henri qui échoue lui aussi dans le « rendu » en français, fut son deuxième grand succès, porté au cinéma en 1973, raconte les ficelles de deux arnaqueurs à Chicago – et là encore la description des ghettos, des conditions de vie des Africains-Américains vaut tous les traités de sociologie – rencontrant plus gros qu’eux en l’occurrence la maffia.

Victor Headley nous avait fait découvrir la Jamaïque au-delà ou en deçà des rêves de Bob Marley dont les ronds de fumée en forme de bulles d’un monde meilleur font du bien à entendre et restent toujours actuels, mais qu’il faut confronter – comme disait Lénine – à la réalité. Et la réalité est terrifiante. Les gangs se disputent la production de drogues en tout genre qu’ils exportent ensuite en Angleterre. Et Headley de nous décrire, dans Yardie – une dérivation de Yard, la bleusaille – les conséquences dramatiques de la politique thatchérienne dessinant des zones de pauvreté, des ghettos, de non-droit. Avec l’augmentation du chômage et de la misère. Une des échappatoires, commerce illicite de la drogue. Même s’il faut tuer… Ou aller en prison. Dans Yush – en fait des extraits de Excess et Yush en totalité – l’auteur continue de décrire la réalité libérale de l’Angleterre d’aujourd’hui, de cette Angleterre dont Blair ne parle pas, dissimulant sous son éternel sourire un volcan qui n’en finit pas de gronder. Presqu’une enquête journalistique. Et il ne parle pas seulement de l’Angleterre…

NB

 

1 Sa fausse autobiographie qu’il faut lire comme un blues, en cherchant le sens caché, Des pas dans la poussière, vient d’être réédité aux Éditions de l’Aube. C’est une grande écrivain simplement sous estimée. Sa place dans la Renaissance Nègre à Harlem dans les années 20-30 est très largement ignorée. Pourtant, comme elle le raconte, elle a su faire du gospel un art populaire et le faire reconnaître en tant que tel. Anthropologue, elle a collecté toutes les histoires des Africains-Américains pour en conserver la mémoire.