Des cadeaux à (se) faire.

Le Père Noël n’est pas toujours nécessaire pour faire des cadeaux. Toutes les périodes de l’année sont propices. Par les temps qui courent – et vite – il est nécessaire de se référer plutôt à la Mère Noël, c’est plus sur. Les cadeaux les plus importants ne sont pas forcément les plus chers ni les plus en vue. Il faut toujours se méfier d’un produit, d’un bien qui plait immédiatement. Il vaut mieux viser le moins évident, le plus hermétique pour un cadeau qui durera.
Mais ne gâchons pas le plaisir. Celui d’offrir bien sur. Un bon moyen de lutter contre la dépression qui vous prend devant la profusion de marchandises. Un cadeau, ce peut être un livre de poèmes. Il faut savoir y penser.

Poésie.
Ainsi Jan Wagner. Il ne distrait pas tout en proposant de ces voyages étranges, subtils qui font appels à l’intelligence et suppose la participation créative du lecteur. Une manière de perdre le contact avec le prétendu réel pour retrouver la distance nécessaire de la compréhension, pour éviter l’emballement du quotidien.
Jan Wagner a décidé de vouer sa vie à la poésie. Pas de romans, pas d’autre hobby, seulement des constructions faites de déclinaison de mots, de syllabes, de recherches linguistiques pour rendre compte d’un monde qui perd la mémoire au profit des images, des souvenirs revus et corrigés à coups de commémorations.
« Les variations de la citerne » se veulent une illustration de la nécessité de conserver les mémoires pour ne pas la perdre. Le travail de mémoire mêle oralité et écrits, légendes du vent et tempêtes des réalités. La question ici revient à se demander comment rendre compte de la poésie d’un auteur de langue allemande. Les deux traducteurs – autant présentateurs de l’auteur – Julien Lapeyre de Cabanes et Alexandre Pateau proposent, en début d’ouvrage, deux versions d’un même poème pour rendre compte de la difficulté – mais aussi de la beauté de ce travail – mêlée de drôlerie pour aborder les rivages d’un auteur qui semble faire du prosaïque et de l’érudition un bagage commun. Ensuite, ils vous laissent seuls pour plonger dans le grand bain d’une citerne sans fond. Les poètes savent ouvrir les portes des possibles en titillant les neurones. Les lire reste la grande aventure de nos temps délictueux.
Nicolas Béniès
« Les variations de la citerne », Jan Wagner, poèmes traduits et présentés par Julien Lapeyre de Cabanes et Alexandre Pateau, Actes Sud.

Polars

10/18 propose, dans la collection Grands Détectives :
« Les premières enquêtes de Lizzie Martin », deux en l’occurrence : « Un intérêt particulier pour les morts » et « La curiosité est un pêché mortel » en un seul volume pour (re)nouer avec cette grande détective créée par Anne Granger pour décrire la Grande Bretagne victorienne des années 1864. Une plongée dans l’Histoire et dans l’hypocrisie des classes dominantes et de la haute société qui cache ses tares et ses cadavres dans les apparences du « bien pensant ». Une plume acerbe et une connaissance des arcanes de la bourgeoisie arrogante britannique.
« Les Premières enquêtes de Nicolas Le Floch » soit « L’énigme des Blancs Manteaux », « L’homme au ventre de plomb » et « Le fantôme de la rue Royale » pour (re)faire connaissance avec Jean-François Parot – qui nous a quitté cette année – et le Paris de la veille de la Révolution. Pour la première, il situe les débuts du commissaire en 1761 et il s’arrêtera en 1788… Pas seulement une leçon d’histoire mais aussi une visite guidée d’un Paris pas totalement disparu mais enfoui.
Nicolas Béniès
« Les premières enquêtes de Lizzie Martin », Anne Granger, traduit par Delphine Rivet ; « Les premières enquêtes de Nicolas Le Floch », Jean-François Parot ; Compact 10/18.

Littérature
Redécouvrir James Baldwin. (1924-1987)
James Baldwin est un peu oublié ces temps-ci. Une erreur. Ses romans, ses articles restent des repères essentiels pour appréhender les Etats-Unis d’aujourd’hui et d’hier. La question blanche, une inversion logique, tient quasiment toute la place dans ses chroniques et ses romans. La musique, le jazz tout autant. Pas pour rien qu’il est né à Harlem en 1924. Le quartier de New York sera un de ses personnages principaux.
Rivages/Poche réédite son premier ouvrage, à la limite de l’autobiographie, « La conversion ». L’avenir de John Grimes était tout tracé, prédicateur. Il lui en restera quelque chose à Baldwin. Ses poèmes seront puissamment alimentés par cette éducation, cette culture qu’il partage avec le reste de l’Amérique. La référence au gospel, au blues est toujours présente comme pour Chester Himes.
John, 14 ans, ne remet pas en cause sa destinée. Il lui faudra une expérience mystique pour découvrir un goût nouveau qui l’envahira comme un souffle continu, celui de la liberté, celui de la découverte. Pour un jeune Noir, c’est un choix difficile, surtout en 1938-40. La liberté est remplie de dangers. Sortir de la communauté, du cocon pour affronter le monde, ce ne sera pas une sinécure. Plus tard, il choisira aussi sa sexualité. Il le racontera dans « La chambre de Giovanni »… La prose de Baldwin est toujours singulière.
Chronologiquement, les essais réunis dans « Chroniques d’un enfant du pays » – référence évidente à Richard Wright – suivent le contexte temporel du roman. Dans les années 1940-50, James écrit pour des revues soit des commentaires de livres, « La case de l’Oncle Tom » par exemple, soit des récits de voyage, à Atlanta, ou de son environnement, Harlem en particulier. Gallimard nous offre une nouvelle traduction de ce recueil qui commence par une « Note autobiographique » précédée de la préface de 1984 de l’édition américaine de la plume de Baldwin. Un vrai cadeau.
Nicolas Béniès
« La conversion », James Baldwin, traduit par Michèle Albaret-Maatsch, Rivages/poche ; « Chroniques d’un enfant du pays », James Baldwin, traduit par Marie Darrieussecq

Jazz
Un Woody qui n’est pas de dessin animé.

La collection « Quintessence » dirigée par Alain Gerber (Frémeaux et associés) fait toujours la preuve d’un choix affiné dans la présentation d’un artiste partie prenante des mondes du jazz. La collaboration de Alain Tercinet pour la présentation des plages est toujours aussi vitale autant pour l’amateur que pour le néophyte. Le dernier né de la collection est consacré à Woody Herman qui n’a jamais eu la reconnaissance, au moins en France, de son talent au moins, de son génie si l’on suit la présentation de Gerber. Le coffret de deux CD a plusieurs mérites dont le moindre n’est pas de redonner vie à Tercinet, disparu à 80 ans le 30 juin 2017. Un cadeau inespéré.
Pour le contenu, la découverte des orchestres successifs de Woody, mort ruiné par ses comptables et managers. Il les avait appelés « Herd », troupeau. Sauf le premier : « The Band that plays the Blues » – osé, non ? -, comme pour s’excuser il avait déclaré : « c’est ce qu’on fait de mieux » ! Hormis pour les racistes, le blues transcende la couleur de la peau. Avec l’orchestre qui joue le blues, il avait réalisé son plus grand succès. Pour la petite histoire, ce fut un orchestre coopératif. Et Woody a été élu chef d’orchestre… Maladie dont il n’arrivera pas à se soigner. Une élection à vie en quelque sorte. Mais il ne l’a jamais su…
Stan Getz, le soliste principal du premier troupeau, avait pour habitude de dénigrer les talents d’instrumentiste du chef, saxophoniste alto surtout – un peu ténor, un peu soprano vers la fin – et clarinettiste dans la lignée des clarinettiste des grands orchestres. A écouter cette sélection qui couvre, pour le premier CD, les années 1939-1954 et deux versions de « Four Brothers » la marque de fabrique du « Herd » dés 1947, et pour le deuxième les années 1954-1962, on aperçoit la mauvaise foi du ténor vedette.
L’instrument principal de Herman reste l’orchestre qu’il fait « sonner » sans faire penser à aucun autre ou, plus exactement en prenant à tous les autres pour forger un son particulier. Woody et ses jeunes arrangeurs ne reculent devant aucune limite. Igor Stravinsky écrit, après la seconde guerre mondiale, pour eux qui s’approvisionnent aux sources du be-bop et des compositions de Charlie Parker. Chronologiquement c’est le premier orchestre be-bop que ce « first herd ».

Contre les commémorations.

Le 75e anniversaire du débarquement a suscité une débauche de manifestations pour glorifier la Libération. La musique a été oubliée de même qu’un travail de mémoire pourtant toujours utile. Plutôt que de rechercher des héros – notre Président aime beaucoup ce petit jeu – il aurait été préférable de parler de morts des jeunes gens échoués sur ces plages. La mer était rouge de leur sang versé. Ou du racisme de la hiérarchie militaire américaine qui ne craint pas de condamner à mort des soldats noirs accusés d’exactions ou même de viols et d’acquitter des blancs responsables des mêmes chefs d’accusation. Louis Guilloux racontera son expérience des cours martiales dans « OK Joe ». Nelly Kaplan, dans « L’interprète », conduira l’enquête pour rendre hommage au romancier.
Ou musique. La musique, le jazz, est en train, une nouvelle fois, de bouleverser le paysage. La musique qui arrive, qui débarque est celle de l’orchestre de Glenn Miller. Le chef lui est mort le 15 décembre 1944 au-dessus de la Manche. Pas seulement. Les Gis ont des V-discs, les disques de la Victoire proposés par la radio des Formes armées Américaines pour le moral des troupes, des disques hors-commerce destinés à être détruits mais incassables et récupérés par les collectionneurs. Toutes les disciplines artistiques représentées, Opéra, théâtre, Variétés… Et le jazz. Frémeaux et associés, en 4 CD, offre un échantillonnage de cette production. Il est à saluer la réunion de cette somme rarement proposée. De quoi nager sur la période 1943-49 marquée par la grève des enregistrements, jusqu’en 1944 pour les grandes compagnies. Un travail de mémoire essentiel.
Nicolas Béniès
« Woody Herman, New York, Hollywood, Monterey, 1939-1962, collection Quintessence, Frémeaux et associés ; « Les disques de la Victoire, American Army V-Discs 1943-49 », livret de Jean-Baptiste Mersiol, Frémeaux et associés/Mémorial de Caen.