« Toute histoire est vraie ».
John Edgar Wideman n’écrit pas vraiment des romans. Plutôt des contes qui se passent souvent dans les ghettos noirs de Pittsburgh ou de Philadelphie. Il fait de ses histoires, autobiographiques, biographiques, rêvées ou réelles peu importe, la trame de ses récits. La mémoire est le lieu principal qu’il visite encore et encore. Une mémoire à la fois individuelle et collective. Les Africains-Américains vivent sous le joug de leurs rapports avec les Blancs et sont le centre de cette société américaine qui fait du racisme une de ses composantes essentielles. Encore aujourd’hui, en 2017.
Dans « Écrire pour sauver une vie » sous titré « Le dossier Louis Till », il se raconte tout en se servant de l’assassinat perpétré par des Blancs imbéciles – et acquittés par leur tribunal – d’un pré adolescent de 14 ans, Emmett Till, accusé, en cette année 1955, « d’avoir sifflé une femme blanche ». Les remous de la décision d’acquittement de ce tribunal d’un blanc immaculé, comme les chemises du père de John Edgar, furent violents jusqu’à la découverte de la condamnation du père pour viol en 1945, en Bretagne et pendu par la Cour Martiale.
Cette deuxième histoire rejoint celle de Louis Guilloux, traducteur auprès de cour martiale, dans « OK Joe » et l’enquête de Nelly Kaplan dans « L’interprète » cités aussi par Wideman. Le racisme a sévi aussi. En général, les Blancs étaient acquittés et les Noirs condamnés. Même si parfois, il s’agissait d’amour.
John Edgar nous entraîne dans l’angoisse qui l’étreint au moment de franchir la ligne Mason-Dixon, ligne imaginaire qui sépare le Nord du Sud des Etats-Unis surtout dans ces années cinquante. En bon conteur, il sait nous faire partager les effets du racisme. Partout, et pas seulement dans le « South Side ».
Passent aussi l’oppression des femmes, les rapports de couple le tout teinté de gospels, de blues, de poésies pour appréhender les rapports sociaux et de races qui structurent cette société américaine. En ces temps où domine Donald Trump et son condensé de vulgarité et de racisme à l’état pur, Wideman permet à la fois un travail de mémoire et de plaisir.
Nicolas Béniès.
« Écrire pour sauver une vie. Le dossier Louis Till », John Edgar Wideman, Récit, traduit par Catherine Richard-Mas, Gallimard/Du monde entier, Paris, 2017, 20 euros.