Pianiste, compositeur, chef d’orchestre, Alexander von Schlippenbach.
Dans la série « European Jazz legends », le magazine allemand « Jazzthing » propose une série de portraits de musicien-nes européen-nes qui ont marqué le jazz. Un des numéros était consacré à Enrico Pieranunzi dont nous avons parlé dans une chronique précédente.
Le numéro 4 de cette série donne à Alexander Schlippenbach, créateur du « Globe Unity » en 1966, ensemble qui a beaucoup choqué les contemporains, la possibilité de montrer sa capacité de synthèse de toute la mémoire du jazz mais aussi de la sienne. Un héritage qu’il ne faut pas laisser perdre. A 77 ans, il a intitulé cet album Intuition « Jazz Now ! », le jazz maintenant ou maintenant du jazz ou encore le jazz toujours parce que se conjuguant au présent. Il fait la part belle Thelonious Monk se souvenant peut-être que deux de ses plus belles réalisations étaient dédiées à ce compositeur. En même temps, il reprend des thèmes de Herbie Nichols dont les talents n’ont jamais été reconnus à leur juste valeur. La production de Herbie est surtout le fait de 3 albums Blue Note en 1954-55 qui sonne résolument contemporain. Il a exercé une grande influence sur une partie de la scène du jazz allemande. Des « Herbie Nichols project » ont vu le jour.
Pour dire que Alexander ne choisit pas son répertoire au hasard. Pour le reste, il partage ses compositions avec Eric Dolphy, saxophoniste alto, clarinettiste basse et flûtiste mort à Berlin à 36 ans le 29 juin 1964 et qu’il permet de redécouvrir. Le « Now » c’est aussi pour faire vivre tous ces musiciens nécessaires aux définitions fuyantes du jazz d’aujourd’hui. Il faut dire que le pianiste s’est entouré d’un clarinettiste basse fortement ancré dans les mondes d’Eric Dolphy, Rudi Mahall, d’un bassiste qui, à l’instar des bassistes actuels, regarde autant vers le jazz que vers les rocks tout en connaissant l’atmosphère de Schlippenbach et Heinrich Köbberling à la batterie capable de développer un jeu dans le style affectionné par Monk et celui, plus percussionniste adapté par la plupart des batteurs de notre temps.
Comme d’habitude, pour cette collection, le CD se termine par une interview. Pour Alexandre, le free jazz n’est pas forcément révolutionnaire mais plutôt un développement logique historique et musical…
Un album qui vous donnera envie d’écouter Monk, Nichols, Dolphy et Schlippenbach…
Nicolas Béniès.
« Jazz Now ! », Alexander von Schlippenbach, Intuition Records, distribué par Socadisc.
Un chant étrange, de la mer noire.
Tamara Lukasheva est né à Odessa il y a 27 ans. Elle publie son premier album : « Patchwork of Time », pièces et morceaux disparates de temps, un temps pour chaque moment de la vie, la vie avant Cologne où elle réside, un temps pour l’Opéra en Ukraine, un temps pour tracer l’avenir incertain. Elle ouvre l’album par un standard à l’inquiétante familiarité sans savoir si cette inquiétude est partagée. « Alone Together », seul ensemble, un oxymore qui va bien avec notre époque, au rythme étrange aux mots prononcés avec un accent indéfinissable, mélange de cultures différentes que seul le scat pouvait réunir. Une voix reconnaissable, de plus en plus rare, qui ne se laisse pas réduire à ses influences. Elle réussit un collage, via ses compositions et arrangements, entre la musique de sa ville natale, les comptines de son enfance, ses enseignements musicaux – le passage par la musique dite classique – et l’environnement actuel fait de cette disparité, de ces éclatements véritables bornes de notre monde moderne.
S’il fallait trouver une ascendance, ce serait Helen Merrill qui a redécouvert, sur le tard, ses racines serbo-croates qui a dû servir de modèle à Tamara.
Elle utilise tous les registres et son « patchwork » est partagé par son trio Sébastien Scobel au piano, Jakob Kühnemann à la basse et Dominik Mahnig à la batterie et deux invités Shannon Barnett au trombone et Llora Rips au violon. Une découverte même s’il lui reste à assurer son propre style. Elle fait déjà preuve d’un beau dynamisme, d’une joie de chanter et d’une originalité certaine.
Nicolas Béniès.
« Patchwork of Time », Tamara Lukasheva, Double Moon records, distribué par Socadisc.