Londres, 1956.
Le polar historique est, dans ce « Retour de flammes », poussé à l’extrême. Le souci du détail est manifeste dans la description de cette Grande-Bretagne qui a perdu son rang de première puissance mondiale mais ne veut pas en prendre conscience. Le gouvernement, dominé par les Tories, prépare l’invasion de Suez en lien avec la France et Israël contre l’avis des États-Unis. Eden, le Premier ministre, est considéré comme « fou » dans le sens clinique du terme. L’opération sera un échec. Nasser en ressortira grandi. Interminablement, ce Royaume plus vraiment uni parle de la guerre, omniprésente. Ses traces, pourtant, commencent à s’effacer. La reconstruction est quasi finie.
Le Royaume est secoué par les prémices de l’affaire Profumo, dite aussi Keller qui va voir la révélation d’espions à la solde de Moscou au plus haut niveau de l’establishment, de l’élite de cette nation encore pleine de sa grandeur passée et dépassée. Philby est sur la sellette bien qu’il se défende efficacement.
Avril 1956, l’inspecteur en chef Troy est contacté pour devenir supplétif de la Special Branch – une partie des services de renseignements dits MI5 et MI6 – dont la mission est de servir à la fois de garde du corps de Khrouchtchev en visite en Grande Bretagne et de l’espionner. Troy, si on se souvient de « Black Out » – le premier de cette série qui en comptera 7 – parle le russe puisque sa famille est originaire de ce pays. Son frère, Rod, est MP, membre du Parlement, travailliste. Ils vivent dans l’aisance grâce la fortune léguée par leur père. Deux sœurs jumelles et leurs époux complètent la famille.
Il entrera dans ce monde glauque des espions qui jouent double ou triple jeu dans le contexte de cette guerre froide opposant deux camps clairement déterminés, l’URSS et les États-Unis. Les autres ne sont que des satellites tournant autour de ces deux planètes. Ce monde là apparaîtra étrange aux yeux des générations nées après la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989. L’architecture du monde s’était transformé pour construire celle du 21e siècle. Le 20e siècle était mort ce jour là.
Le thème musical qui répond au titre, « My Old Flame », fait référence à un amour ancien qui, d’un seul coup, par le jeu des rencontres, des accidents de l’Histoire – ici le rapport « secret » dénonçant les « crimes de Staline » et l’épuration imposée pour trouver des coupables – resurgit presque intact mais impossible. La voix qui exprime le mieux l’atmosphère de ce roman est liée, pour moi – l’auteur, John Lawton ne la cite pas -, à Billie Holiday. La manière de le chanter, le découpage du temps, la mélancolie dégagée se retrouvent dans les relations de Troy avec les trois femmes de cette enquête.
En même temps, les vieilles amitiés n’en finissent pas de mourir comme cette classe dirigeante anglaise perdue dans ses cauchemars, incapable de se trouver une idéologie, une raison de perdurer. Sa déségrégation explique ses penchants staliniens pour faire la nique aux Américains, grands vainqueurs des deux guerres mondiales.
« Retour de flammes » est une plongée dans ce passé. Pour comprendre aussi la signification des concepts. Il est impossible d’employer « guerre froide » pour aujourd’hui. Le 21e siècle est le siècle d’un autre monde, d’un monde partagé par la guerre économique. A ce moment là, le monde est partagé politiquement, idéologiquement. Khrouchtchev parlera bientôt de « coexistence pacifique », de concurrence entre deux systèmes prétendant que le sien, qu’il appelle « socialiste », sera plus performant que le capitalisme…
Cette année là, Troy dépasse tout juste 40 ans et ne sera plus jamais le même. L’amour et la mélancolie, la fin des amitiés universitaires seront des expériences incomparables. Ce roman vaut aussi par cette dimension, celle de notre commune humanité dans un contexte spécifique. Un clin d’œil involontaire au monde d’aujourd’hui – le roman est paru en anglais en 1996 – la mise à jour de montages financiers de la Russie à la Grande-Bretagne mais à l’époque il fallait des porteurs de valises. Aujourd’hui ce n’est même plus la peine…
Pour connaître notre histoire, celle de la Grande-Bretagne et d’un monde disparu.
Nicolas Béniès.
« Retour de flammes », John Lawton, traduit par Anne-Marie Carrière, 10/18, Grands détectives.