Deux romans noirs dans l’air d’un temps pourri.
Quand une auteure suédoise rencontre une auteure américaine – pour leur premier roman – de quoi parlent-elles ? De notre monde troublé et trouble, de ce monde qui tourne le dos à toute utopie, aux rêves d’une société plus solidaire, plus fraternelle sans parler de liberté. 30 ans d’idéologie libérale ont façonné les esprits et provoquent des catastrophes dans la vie personnelle comme dans les relations entre les individus.
Camilla Ceder, dans ces « Mémoires gelées », référence au refus de vivre dans le présent, met en scène une Suède délabrée, déstructurée dans laquelle les actes les plus vils, comme le viol d’une jeune fille lesbienne, s’effectuent sans dynamisme, sans plaisir simplement pour se sentir exister. Les « micro sociétés » fantasmées peuvent naître à partir de là dans la dévotion d’un être disparu, dans la vengeance qui permet à son tour de se donner une raison de vivre. Le ou la « gourou » peut se dégager de cette religiosité sans Dieu mais avec un succédané, une morte en l’occurrence.
La jeune fille violée ne demandait rien. La mort sera au rendez-vous par un concours où les circonstances gagneront lors d’une soirée un peu trop alcoolisée. Il faudra du temps pour comprendre la logique des meurtres commis quelques années plus tard. Cette enquête permettra la rencontre d’un inspecteur et d »une future journaliste. Je suppose que ce couple sera un fil conducteur pour les prochaines aventures.
Cara Hoffman, dans « So much pretty », place ses personnages un peu écolo, un peu en marge dans une bourgade de l’État de New York où il ne peut rien se passer. Une description qui peut correspondre à toutes ces petites villes où la population locale a dû accepter la venue de citadins – des « rurbains » comme on dit en nouveau français – fuyant la Ville et ses tentations, les corrupteurs pour se réaliser à la campagne. Ils ont des idées toutes faites sur ce qu’il faut faire pour produire une alimentation bio et éviter tous les pesticides. Ils se heurtent aux indigènes qui acceptent mal et cette installation et ces « conseils » donnée avec la haute conscience que procure les études et les diplômes.
Claire et Gene forment le couple de ces écolos qui refusent de se battre collectivement pour changer la société mais pensent échapper aux pressions en quittant New York. Elle est plus consciente que lui des dangers de cette nouvelle vie. Ils ont une fille, Alice, douée, charmante mais qui possède au plus haut point le sentiment que justice doit être faite. Elle le fera.
Cara Hoffman fait un vrai travail de psychologue et de sociologue pour expliquer les trajectoires de ces enfants devenus des meurtriers. Par un rejet profond de cette société, par aussi l’idée que jamais les coupables ne sont punis, qu’il faut tout faire par soi-même. Que l’individu peut faire sa propre justice. Là aussi le libéralisme laisse des traces.
Deux premiers romans qui ne sont pas sans défauts. L’action se traîne, les explications sont nombreuses, abondantes, trop abondantes et le lecteur se perd dans un roman qui se transforme en traité de sociologie ou de psychologie avec une pointe de démographie, d’économie… Trop c’est trop. Il faut apprendre à jouer avec le lecteur, laisser la place aux sous-entendus comme aux surprises. Une écriture trop linéaire fatigue.
Il n’empêche ces deux romancières cernent le monde qui est le nôtre. Elles incitent au combat contre toutes les injustices. Elles disent combien leurs pays ont changé, sont devenus « autres », pays désertés par l’espoir de changement…
Nicolas Béniès.
« Mémoires gelées », Camilla Ceder, traduit par Marie-Hélène Archambeaud ; « So much pretty », Cara Hoffman, traduit par Emmanuelle et Philippe Aronson ; 10/18.