Hommage libre à Teddy Wilson
Le titre de l’album ne laisse planer aucun doute : « La suite Wilson ». La référence à Teddy Wilson, à ses combos – petits groupes – est explicite. Il est possible de déceler une signification implicite : l’absence de copie de l’original mais des arrangements différents ou des compositions originales pour évoquer l’ombre du pianiste, compositeur, spécialiste des accords de dixième et membre des groupes de Benny Goodman. Longtemps décrié le clarinettiste/chef d’orchestre avait pourtant révolutionné la scène du jazz en constituant des groupes mixtes, Noirs et Blancs mélangés. Dans les années 30, un sacrilège pour tous les conservateurs pré trumpistes.
Teddy Wilson a prouvé qu’il était possible, même en enregistrant beaucoup de constamment se renouveler par la grâce aussi des musiciens engagés dont Lester Young et Billie Holiday entre autres. Michel Bonnet, trompettiste reprend ce flambeau. Il s’entoure de musiciens qui se connaissent à commencer par Jacques Schneck, grand spécialiste des mondes de Teddy Wilson. L’octet vogue en une croisière qui sait aussi s’arrêter dans des coins originaux pour corser les visites.
Une musique vivante et qui sait aussi se servir de l’humour pour se rendre actuelle. Le sous titre, « Eeny Meeny Miny Mo » se veut de cette veine. Il fallait bien aussi une vocaliste pour parfaire la démonstration. Antonella Vulliens a su se prêter au jeu qu’elle joue avec beaucoup de talent. Le tout est présenté par Philippe Baudoin.
Nicolas Béniès
« La suite Wilson, Eeny Meeny Miny Mo », Camille Productions
Souvenirs confinés
Ivo Neame, pianiste, saxophoniste et compositeur s’est fait ingénieur du son pour résister à la pandémie comme au confinement en enregistrant les musicien.ne.s chez eux et en studio. Le résultat une musique de révolte qui fait battre les cœurs, les pieds et un peu la tête en s’interrogeant sur le titre « Glimpses of Truth », clins d’œil de vérité, vérité qui ne peut que se dérober en se dévoilant partiellement.
Les compositions dessinent un drôle de monde, entre la montée du peuple lézard et les personnages fantomatiques, il est question de persévérer malgré des cerveaux cassés. Une sorte d’appel au réveil collectif en emmêlant toutes les références. Une manière de poursuivre le rêve d’une musique universelle. Ce big Band a une force étrange malgré des conditions de rencontres qui tiennent beaucoup à notre monde éclaté et de plus en plus enfermé sur lui-même par le télé travail. Ivo Neame propose des voies pour transformer ces données. Les deux batteurs – James Maddren et Jon Scott – tapent fermement sur une société perverti par toutes les fake news.
Nicolas Béniès
« Glimpses Of Truth », Ivo Neame, Whirlwind
Traditions modernes
Noël Tavelli, batteur et composition, a bâti un groupe, les Argonautes, qu’il veut voir voguer sur un frêle esquif sur toutes les mers musicales du monde et d’abord celles du jazz, un océan qui se renomme dans chaque contrée qu’il traverse pour faire semblant de perdre une identité qu’il n’a jamais possédée. Il fallait bien la Suisse, paradis de la fausse neutralité, pour proposer une manière contemporaine de jouer avec les traditions, les influences en intégrant toute la force d’une musique capable de se métamorphoser tout en intégrant d’autres cultures y compris la musique contemporaine.
Le jeu de batterie démontre sa volonté. Il conserve, comme Jeff Ballard, l’essentiel de la pulsation du jazz tout en brisant les références qui semblent s’imposer pour construire des courants intérieurs – « Inner Streams », titre de l’album – qui ne supportent aucune règle préétablies. Manuel Schmiedel, pianiste américain ajouté au groupe de départ permet une teinte supplémentaire qui permet de créer de nouveaux paysages. Francesco Geminiani, né à Vérone en Italie, se situe du côté de Wayne Shorter pour raconter de curieuses histoires qu’il brode sur les idées du batteur, Matthias Spillman, trompettiste n’oublie ni Miles Davis ni Don Cherry et Fabien Iannone sert d’assise qui permet à tous de s’élancer vers la terre, vers leurs mondes intérieurs qu’ils arrivent à partager.
Nicolas Béniès
« Inner Streams », Noël Tavelli & the Argonautes, Fresh Sound/New Talent
Renouveau
« One Shot », un quartet né à la fin des années 1990 issu de « Magma », le groupe de Christian Vander, batteur ahurissant qui a fait de la transe un mode de création dans la lignée de John Coltrane, renaît aujourd’hui de ses cendres. Un concert « live » au Triton – un lieu essentiel pour découvrir les musiques actuelles – marque ce retour dans un hommage au guitariste du groupe trop tôt disparu, James Mac Gaw. « A James », titre de l’album, veut préserver la présence du fantôme via deux claviers, Emmanuel Borghi et Bruno Ruder pour une curieuse équation : 1guitariste = 2 claviers pour changer la musique tout en reprenant des compositions anciennes pour évoquer le compagnon disparu. Philippe Bussonnet, bassiste qui fut celui de Magma sait assurer l’assise rythmique du groupe comme Bruno Ruder à la batterie. Les deux couples s’emmêlent, se mêlent et des démêlent pour faire surgir une musique brumeuse qui tient autant de Weather Report que de Life Time de Tony Williams ou des groupes de rock qui, souvent, ont été influencés par Coltrane comme Led Zeppelin. Une musique qui vise les étoiles et le voyage intersidéral.
« One Shot » a désormais un avenir. Les rendez-vous sont pris.
Nicolas Béniès
« A James », One Shot, Label triton/L’Autre distribution