Mondialisation, financiarisation et l’émergence d’un autre monde

Le monde bascule
Le temps de la mondialisation se termine. Ouverte au milieu des années 1980 par la déréglementation décidée par les États, elle s’est affirmée sous la forme de l’hypermondialisation au début des années 2000, construisant des chaînes de valeur au niveau mondial via la construction de firmes multinationales. Particulièrement, la globalisation financière exerce aujourd’hui tous ses effets négatifs sur le bien être des populations.

La pandémie d’abord, la guerre ensuite a accéléré les tendances déjà perceptibles en 2018 de recul de la mondialisation. L’inversion du processus est en cours. Souveraineté et réindustrialisation sont des termes à la mode sans pour autant en voir les effets. Répondre à la fois aux besoins des populations et aux risques que fait peser la dépendance aux exportations d’énergie, de gaz en particulier est impératif si l’on veut aussi faire face à la nouvelle donne géo politique. Le monde en train de se fracturer abandonne la seule référence économiques de la compétitivité et de la baisse du coût du travail. Le cri d’alarme du GIEC impose des mesures urgentes et des restructurations supposant une planification et d’énormes financements.

La relance globale appelée par ces projets d’avenir est d’autant plus actuelle que le monde est à la veille d’une récession mondiale dont les causes sont à rechercher dans les politiques dites néo libérales menées depuis 40 ans. La crise financière et économique de 2007-2008 a marqué la fin d’un capitalisme à dominante financière. Il a pourtant poursuivi son existence. Un mort vivant en quelque sorte.

La hausse des prix
L’inflation semble renaître. Aux États-Unis, pour mars 2022, l’indice des prix à la consommation s’est affiché à 8,5% et en France à 4,5%. Cette hausse des prix s’explique d’une part par le soutien massif des États aux entreprises et aux ménages qui a alimenté la croissance en 2021, d’autre part, par la hausse des cours sur les marchés financiers à partir du déclenchement de la guerre.
Parler d’un processus inflationniste ne correspond pas à la réalité. Tous les prix n’augmentent pas, c’est un indicateur de l’absence de la dévalorisation monétaire. Si la loi de l’offre et de la demande s’appliquait les prix de l’énergie et des produits alimentaires ne devraient pas augmenter. Aucune pénurie ni sur la production de pétrole ni sur les récoltes. Les silos sont pleins, le pétrole est disponible tout autant que le gaz.
Toutes les matières premières, l’énergie sont cotés sur des marchés financiers et prennent la forme de titres négociables. La hausse s’explique par les hypothèses des opérateurs. Ces derniers prévoient des pénuries futures, à juste ou mauvaise raison. La hausse des prix actuelle provient de l’augmentation des cours sur les marchés à terme pour des productions qui n’existent pas encore face à une demande envisagée à la hausse. Tout passe par des cotations sur ces marchés et toutes les matières premières, alimentaires, métaux et même les engrais sont transformés en autant de produits financiers. Les gros producteurs de céréales, par exemple, font plus de bénéfice sur leurs produits financiers que sur la vente de leur production physique. Ou d’énormes pertes.
Les surprofits des grandes compagnies pétrolières1 s’expliquent par le décalage entre le prix du baril de pétrole en stock et le prix sur le marché à terme. Les taxer est une mesure de bon sens. L’autre mesure est structurelle : réglementer les marchés financiers pour diminuer l’impact de ces marchés sur le niveau de vie des populations et éviter les crises alimentaires qui touchent surtout les pays du tiers monde.
En mai 2022, le ralentissement de l’économie chinoise en train de vivre une crise immobilière de grande ampleur et les conséquences économiques et financières de la volonté du gouvernement d’éradiquer la pandémie en isolant des villes provoquent une baisse de la demande des métaux et les cours sur ce marché sont en train de baisser trompant les pronostics des opérateurs. De la même façon, le prix du baril de pétrole qui avait atteint 140 dollars sur les marchés à terme a reculé à 100 dollars en l’espace de trois semaines signalant la volatilité de ce marché.

Quelle politique économique ?
De cette analyse découle l’impératif d’augmenter les salaires et les minima sociaux pour lutter contre la baisse du pouvoir d’achat. Décision qui permettrait aussi de limiter la récession. L’économie française qui jusque là montrait une appétence pour la croissance enregistre 0% pour le premier trimestre 2022 et les États-Unis –1,4%. Dans ce contexte, renouer avec les politiques d’austérité serait une absurdité économique.
Du côté de la politique monétaire, le changement est aussi perceptible. Les banques centrales ont pratiqué depuis 2015 le « quantitative easing » soit la combinaison de la création monétaire massive pour acheter les obligations, des parts de la dette, des États et, ainsi, peser à la baisse des taux d’intérêt tout en pratiquant des taux directeurs très bas sinon négatifs. Le retour de la hausse des prix, après des années de déflation, marque la fin de cette politique surtout du coté de la FED. La Banque fédérale américaine a décidé, début mai, de porter son taux directeur à 1% et de l’augmenter progressivement ensuite. Le taux d’intérêt à 10 ans américain, qui sert de référence aux autres marchés du monde, a atteint plus de 3% et a déboussolés les marchés boursiers. Un krach est désormais possible. Les Bourses évoluent à la fois au gré des nouvelles de la guerre et des décisions de politique monétaire.
Classiquement la hausse des taux, en renchérissant l’endettement approfondira le début de récession. Un effet de cette hausse des taux américains est la diminution de l’euro frôlant la parité avec le dollar – qui reste la monnaie internationale de référence – augmentant le prix des importations des pays de la zone euro. La BCE, pour le moment, hésite à suivre l’exemple américain et n’a pas augmenté ses taux directeurs. Le taux d’intérêt français qui était de zéro en décembre 2021 se monte, en mai, à 1,5%, pour la première fois depuis 2014 et le taux allemand a atteint 1% le 3 mai contre –0,3% 6 mois avant. Un changement brutal.
Les banques centrales, la FED, se trompent d’analyse et d’instruments. Non seulement elles risquent de refaire les erreurs du passé mais elles peuvent entraver les restructurations nécessaires qui supposent un fort endettement des États. D’ores et déjà le « spread », l’augmentation des taux d’intérêt des marchés financiers vis-à-vis des pays considérés comme ayant des difficultés à rembourser leur dette, pénalisera les pays émergents en provoquant, de nouveau, des crises de la dette.
Le monde bascule, pas seulement à cause de la guerre et des augmentations des dépenses d’armement ni des pandémies mais parce qu’un mode de développement est fini.
Nicolas Béniès.

(Encart)
Un peu d’histoire économique et politique
Retour de l’inflation ? L’évocation de 1985 est particulièrement mal choisie. C’est le moment d’inflexion dans les rapports mondiaux entre débiteurs et créanciers. Jusqu’à cette date, les États-Unis étaient les créanciers du monde, ils deviennent les débiteurs. L’augmentation des taux d’intérêt supérieure à la hausse des prix favorise les rentiers, les créanciers, les épargnants. C’est un changement historique.

Un oubli. Les années 1980, temps de la déréglementation financière. Toutes les règles tombent pour permettre aux marchés financiers de prendre toute la place. La banque n’est plus l’intermédiaire financier obligé, les entreprises se tournent directement, pour leurs financements, vers ces marchés. En France, ce sont les mesures prises par Bérégovoy alors, en 1986, ministre de l’économie et des finances de Mitterrand. Pour suivre Thatcher et Reagan.

Le « choc pétrolier » ? En1973 le marché pétrolier – au sens strict lieu de rencontre de l’offre et de la demande – n’existe pas. Sept grandes compagnies se partagent l’extraction et la production. Elles ne peuvent être propriétaires du sous-sol. Elles versent une rente aux États qui possèdent le sous sol organisés depuis 1961 dans l’OPEP. En 1973, la défaite américaine au Vietnam est visible. L’OPEP en profite pour renégocier le « prix officiel », prix fictif du baril qui permet de calculer le montant de la renter pétrolière versée par les compagnies aux États pétroliers.
A partir de 1975 avec la découverte du pétrole au Mexique – pour son grand malheur – et en mer du Nord se constituera le marché libre de Rotterdam;

La stagflation ? Pas un concept mais une invention des économistes pour répondre à une situation non prévue. En 74-75, première récession synchronisée de l’économie mondiale. Surprise. La « courbe de Phillips » ne sert plus de boussole. La relation inflation/chômage disparaît. En 74-75, récession/inflation et hausse du chômage. Pas prévu. Réponse : « slumpflation » pour faire comme si…
Et comme « récession » fait peur on dira, comme synonyme « choc pétrolier », ce choc exogène, comme le démontrera l’INSEE beaucoup plus tard n’explique pas grand chose face au choc endogène de la crise.
NB