Jazz, deux anthologies étranges et nécessaires : le jazz belge et les trompettes de Fletcher

Prendre le temps d’entendre
Une anthologie, qui ne fait pas rire mais réfléchir sur la mémoire, les préjugés et la force du souvenir qui occulte souvent la connaissance. Prendre pour sujet le jazz belge a de quoi dérouter. Parler d’un âge d’or accroît le mystère. Django Reinhardt est né par hasard en Belgique et il n’est pas belge pour autant. A part lui, qui ? D’abord Robert Goffin, le plus méconnu des surréalistes, auteur d’articles et livres sur le jazz dans les années 1920-30 et 40. Exilé aux États-Unis, il organisera des concerts avec Leonard Feather. Lui redonner sa place est une nécessité pour l’histoire du jazz, du surréalisme et de leur rapport. Dans le livret une mention de cet auteur. Ce n’était pas le but. En revanche, Philippe Comoy présente les musiciens de ce petit pays étrange né au milieu du 19e siècle. Au début, comme il l’écrit dans le livret aux renseignements indispensables, était les « Bob Shots » sous l’égide de Pierre Robert, guitariste. Déjà se fait entendre celui qui fera une carrière aux États-Unis, fait rare à cette époque, Bobby Jaspar. Le vibraphoniste, « Fats Sadi – Lallemand pour l’état civil mais il voulait faire oublier son nom de famille et il a réussi – fait montre d’une belle maîtrise de son instrument.
« L’Âge d’or du jazz belge, 1949-1962 » pour entendre ceux qu’on n’a plus l’habitude d’écouter et se rendre compte de la puissance de ces musiciens qui n’ont pas tous fait carrière ou laissés leurs noms gravés dans nos souvenirs. Surnagent, hormis Jaspar, René Thomas, grand poète de la guitare aux lunettes tellement grosses qu’il vivait dans un monde à part où l’imagination tenait la plus grande place, « Toots » Thielemans, tenant de l’harmonica et de la guitare qui a joué, en France, avec Benny Goodman juste après la deuxième guerre mondiale.
Philippe Comoy permet le travail de mémoire pour rendre vie à tous ces musiciens qui ont fait le jazz. Ceux et celles qui sont restées « au pays » n’ont pas bénéficié d’un minimum de reconnaissance, de visibilité que leur donne cette anthologie.

Faire l’histoire de la « Swing Era »
Fletcher Henderson, pianiste et chef d’orchestre, est considéré comme l’inventeur du Big Band, une construction étrange composée d’une section de trompette (3 en général), d’une de trombone (souvent 1 dans les premiers temps puis deux et trois), d’une section de saxophones qui prendra de plus en ^plus d’importance, deux saxophones ténor, deux altos et un baryton et d’une « section rythmique – un nom donne par construction, par la grâce de la définition des précédentes, piano, guitare (banjo ou guitare banjo dans un premier temps) contrebasse (basse à vent dans un premier temps) et batterie.
Fletcher, « Smack » pour tout le monde, a fait des études de chimie qu’il abandonne pour le jazz. Il constitue ses premiers orchestres au début des années 1920. A ce moment, le jazz n’a pas encore défini ses formes. L’orchestre de Paul Whiteman tien le haut de l’affiche et des émissions de radio, une radio qui fait réellement ses premiers pas à l’aube des années 20.
Comment faire entendre cette histoire ? Comment organiser la mémoire ? Pour répondre, ils se mis à deux : Laurent Verdeaux et Didier Périer. Ils ont tout réécouter, fait un choix pour nous proposer « Les trompettes de Fletcher, 1923-1941 ». La trompette est l’instrument roi de cette période, avec Louis Armstrong bien sur qui, en 1924, sera engagé par Fletcher. Encore mal dégrossi de sa Nouvelle-Orléans natale et de Chicago où il se fait un nom, il ne peut résister à New York. Il se vengera et de très belle façon.
Les trompettistes donc et les deux auteurs du livret livrent des informations pour construire les références au travers de Tommy Ladnier, Bobby Stark, Russel Smith et d’autres, plus tard, comme « Red » Allen ou Rex Stewart. Ces trompettistes sont influencés par « King » Oliver d’abord, ensuite par…Louis Armstrong mais aussi par Bix Beiderbecke pour indiquer que le jazz reconnaît tous les siens.
En 1936, Fletcher sera reconnu comme le père putatif de la Swing Era. Il sera engagé par Benny Goodman, sacré « roi du swing », et connaîtra un grand succès dans l’ombre de celui du clarinettiste chef d’orchestre.
Rendons à César/Fletcher ce qui lui revient et aux trompettistes méconnus leur place dans le panthéon du jazz.
Nicolas Béniès
« L’Âge d’or du jazz belge, 1949-1962 », Livret de Philippe Comoy ; « Les trompettes de Fletcher, 1923-1941 », livret de Laurent Verdeaux et Didier Périer, Frémeaux et associés