De l’écriture automatique à la chronique du Dadaïsme.
Republier Robert Desnos, faire connaître ses premiers textes considérés comme impubliables est une entreprise de salut public. Comme l’œuvre de Benjamin Péret. « Je ne mange pas de ce pain-là » (réédité aux éditions Syllepse en 2010), elle est en dehors de toutes les écoles – y compris la surréaliste. Des poèmes souvent d’une force, d’une irrévérence qui restent, aujourd’hui encore originaux. Les voies ouvertes dans ces années d’entre deux guerres n’ont jamais été comblées. Parce que la férocité, la violence laissent derrière elles la vulgarité. Les mots grossiers – « les gros mots » – ne sont pas synonymes de l’abaissement de notre humanité.
Robert Desnos, né en 1900, fut un enfant terrible – pour reprendre le titre d’une pièce de Cocteau, ce Cocteau qu’il n’aimait pas le trouvant, comme la plupart des contemporains, léger et futile sans parler de sa manie de se nourrir des œuvres des autres pourtant ce Jean là vaut mieux que ces qualifications hâtives -, de ce 20e siècle qui n’en manqua pas. Un de ceux qui se livrent au jeu des rêves pour les transcrire dans une contre littérature opposée à la « Littérature ». Cette dernière, avec son « L » majuscule tient le haut du pavé pendant la Première Boucherie Mondiale de 1914-18. Dadaïstes et surréalistes – un temps, ils se confondront – feront tout pour faire éclater cette baudruche. Leurs cibles Anatole France, Maurice Barrès mais aussi Marinetti, futuriste emporté par la vague Mussolini et d’autres bien-pensants. Un chamboule tout nécessaire.
En 1922, Desnos écrit « Pénalités de l’enfer ou Nouvelles Hébrides », un texte – comment faut-il l’appeler ? – d’écriture automatique à l’état brut fait de rêves entrecoupés de songes éveillés à la terrasse d’un café. Une sorte de psychanalyse de ce jeune homme de 22 ans dont les amis s’appellent Breton, Aragon, Péret. Jacques Doucet, mécène, a engagé Aragon et se trouve le dépositaire de ce ces nouvelles hybrides qu’un éditeur, José Corti, essayera de lier les une aux autres. Une parution dans la revue « Littérature » – titre ironique s’il en fut – avec un dessin de Picabia qui demanderait à lui seul toute une exégèse. Bref, des histoires qui respirent à la fois l’érotisme et la psychanalyse, le tout transcendé dans la poésie.
Ce texte bizarre, impubliable vaut à la fois par ses poèmes – superbes, il faudrait en faire l’anthologie – et par une démonstration que Breton avait bien comprise : l’écriture automatique demande à être corrigée, mise en forme. Jack Kerouac, pour « On the Road », nous fait arriver à la même conclusion. Si l’on compare le rouleau de papier hygiénique, brouillon du roman dont le chien a mangé la fin et le texte final revu et corrigé, ce dernier est plus lisible.
« Nouvelles Hébrides », pour en revenir à Desnos, est un texte brut révélateur des angoisses d’un homme dans ce monde de 1922, année de sa rencontre avec André Breton, une rencontre qui change l’existence. Il n’a pas connu directement la guerre mais ses conséquences envahissent les rues de la capitale : « les gueules cassés », les Anciens Combattants tiennent le haut du pavé alors que la République, mauvaise fille, les a laissés sur le carreau. Leurs rancœurs alimenteront les ligues du colonel de La Roque comme l’antiparlementarisme de l’Action française et de l’extrême droite fasciste. La société française manque de dynamisme et est secouée de crises qui iront en s’aggravant. Cette année là, Mussolini avait pris le pouvoir en Italie. Le Parti Communiste Français faisait ses premiers pas après la rupture du Congrès de Tours, la Révolution française semblait augurer une nouvelle ère. Pour cet anarchiste de Robert Desnos de quoi être perturbé. On le serait à moins.
Apparemment « Nouvelles Hébrides » ne racontent rien de cette histoire. Plutôt des flashes comme dans une nuit noire, les pots racontent des parcours qui s’arrêtent brutalement. Comme la fin : « Bing », signe qu’il faut reprendre au début ces rêves qui deviennent vite répétitifs tant que le rêveur n’arrive pas à résoudre ses problèmes.
Pour cette édition établie par Marie-Claire Dumas, « Dada-Surréalisme » est joint. En 1927, Desnos répond à la commande de Jacques Doucet d’une histoire – il s’agit plutôt d’une chronique – du Dadaïsme, prolégomènes du surréalisme. « Dada-Surréalisme » revient aux sources du surréalisme, la rencontre Breton/Aragon, plus ou moins médecins, sur le front, dans le contexte d’assauts imbéciles qui accumulent les morts. Cette année là, 1927, le groupe surréaliste connaît un de ces débats politiques de première importance : l’adhésion ou non au Parti Communiste. Breton – qui n’y resta pas – et Aragon sont pour, Desnos contre. La rupture est consommée. Desnos ne parle pas du présent mais du passé pour faire renaître l’amitié, l’esprit de groupe contre tous les « culs bénis » pour parler comme Benjamin Péret. Un peu de nostalgie sans doute, en même temps que Desnos se fait mémorialiste.
Une édition aussi érudite. Préface, notes, notices, indications biographiques – Desnos est mort à 45 ans au camp de concentration de Terezin – permettent de se faire une idée à la fois de l’époque, de la place de ces écrits, de Robert Desnos et de la place de Jacques Doucet bien oublié.
Nicolas Béniès.
« Nouvelles Hébrides suivi de Dada-Surréalisme », Robert Desnos, édition de Marie-Claire Dumas, L’imaginaire/Gallimard.