Changements dans la continuité
Samois s/Seine, tous les ans renaît de ses cendres en faisant appel à un esprit Django toujours différent et toujours renouvelé pour essayer de définir le jazz. Django – « j’éveille » est la traduction de Django chez les Roms et il tenait à son pseudo, Baptiste – est le seul génie européen incontestable du jazz. Il a influencé tous les guitaristes et pas seulement ceux qui se réclament du jazz dit manouche. Joe Pass, Jimmy Raney, Tal Farlow, Oscar Moore… ont reconnu leur dette. Dés la parution, en 1938, du premier 78 tours du quintet de Hot Club de France sous l’étiquette Commodore de Milt Gabler, aux États-Unis, la formule fait des émules. Existent désormais des quintets de Hot Club partout dans le monde et un festival, aux États-Unis, qui les réunit à intervalles irréguliers.
Jusqu’à sa mort, Babik, le fils de Django, a dirigé le festival en le faisant vivre et vibrer par sa présence. Les producteurs ont essayé de le faire jouer comme Django mais, lui – comme le montre ses enregistrements – était plutôt attiré par les sons des guitaristes classés sous l’étiquette « Fusion » pour être de son temps et non pas d’un autre qui ne le concernait pas directement.
Pour cette 37e édition, les organisateurs s’interrogent sur « l’esprit Django ». Ils et elles en donnent une traduction ouverte sur les « musiques du monde » et sur les jeunes pousses qui défraient la chronique aux États-Unis et ailleurs. Le jazz est musique d’ouverture fraternelle, de révolte qui aide à se sentir bien contre le monde tel qu’il est. Le jazz emporte participant-es et public dans une vaste sarabande de révolte lorsqu’il est lui-même.
Cette année donc deux invités de marque. D’abord, Kamasi Washington, saxophoniste, sur qui la presse américaine, grand public, ne tarit pas d’éloges à propos de son premier album de trois CD s’il vous plait « The Epic », nom aussi de son groupe avec des jeunes musiciens en train de faire leur preuve. A découvrir, d’autant qu’il est le saxo préféré de tous les groupes de rap. Il sait mêler mémoire du jazz, John Coltrane bien entendu et d’autres, de la soul music tout en se servant du funk et du hip-hop. Ensuite le vocaliste, issu du gospel avec une voix grave qu’il sait faire swinguer, Gregory Porter. Dans cette voix passe les décennies de lutte pour les droits civiques, contre le mépris pour affirmer une sorte de révolte tranquille qui passe par des histoires d’amour qu’il serait vains de prendre au premier degré. Il suit la grande tradition du blues et du « double entendre » – en américain dans le texte – pour faire surgir des profondeurs du passé un discours qui se superpose aux paroles entendues. Un grand art poétique qui pourrait servir dans d’autres disciplines artistiques. Comment dire sans le dire tout en le faisant comprendre. Il arrive à Gregory de se laisser aller. C’est le cas dans son dernier album, « Take Me To The Alley » (Blue Note/Universal), un peu décevant mais encensé par Jazz Mag. Sur scène, sa présence est indéniable. Ce sera un grand moment.
Le reste du programme n’est en rien négligeable. Ibrahim Maalouf et sa trompette à quart de tons se lancera dans la musique électronique. Son album « Red and Black Light » n’est pas convaincant et il devra faire ses preuves sur scène. Richard Bona, bassiste et chanteur, devrait, comme d’habitude, enchanté les foules avec une musique entre Afrique et Jazz et les guitaristes manouche auront aussi droit de cité. Il ne faudra pas rater la chanteuse Cyrille Aimée qui a commencé sa carrière aux États-Unis, ni Lou Tavano qui permettent de penser un futur au jazz.
Comme beaucoup d’autres festivals, des animations, des rencontres avec les luthiers en l’occurrence venus de plusieurs pays et un « Tremplin » pour entendre les jeunes musicien-nes… Et des restaurateurs pour terminer par l’essentiel ou presque…
Nicolas Béniès.
Festival Django Reinhardt Samois s/Seine, du 22 au 26 juin, programme détaillé sur www.festivaldjangoreinhardt.com