Barbey d’Aurevilly, romancier.
Réactionnaire et romantique, dandy et royaliste.
Barbey d’Aurevilly (1808 – 1889) est de ces romanciers troubles dont la France a le secret. Royaliste, partisan de l’ordre, journaliste pro Napoléon III, il est en même temps sulfureux par ses outrances, par sa description des corps en fusion, par son langage cru, par sa radicalité littéraire. Dandy, il se réclamait de Lord Byron qu’on lisait dans le texte en ces temps du 19e siècle. Il est aussi un enfant de ce siècle secoué par les révolutions. 1830 et 1848 resteront inachevées instaurant le pouvoir de la bourgeoisie que ce nobliau normand exécrait, comme Balzac son contemporain. A l’instar de Dumas, dans « Le Chevalier Des Touches », il jouera avec le temps, reconstruisant un passé qu’il a décomposé, comme un espace-temps spécifique, son Cotentin natal qu’il rêvera à l’aide de ses souvenirs. Il parlera d’évocation pour défendre sa notion floue du temps.
Il se trouvera coincé dans cette Europe en mutation. Réactionnaire, il saura pourtant reconnaître en Baudelaire son frère en littérature et défendre « Les fleurs du mal » cloué au pilori par toute cette presse bien pensante. Il verra interdire ses « Diaboliques », l’un de ses recueils les plus connus et qui a le moins vieilli. Un romancier qu’il faut savoir (re)découvrir. Ce volume, « Romans », le permet par le biais d’une présentation de Judith Lyon-Caen pour suivre et l’homme, journaliste polémiste, et l’écrivain en train de se réaliser. Les illustrations donnent une idée du climat de ces années, de ce siècle fondateur.
Nicolas Béniès.
« Romans », Barbey d’Aurevilly, présenté par Judith Lyon-Caen, Quarto/Gallimard, 1211 p.
Georges Steiner, un parcours dans le 20e siècle
Survivant de Babel et de l’Holocauste
Georges Steiner se veut questionneur et critique. Il a dialogué avec Jacques Derrida, mais aussi, paradoxalement – et c’est un amateur de paradoxes et d’oxymores – avec Pierre Boutang, philosophe de cette droite extrême qui fut fasciste pour comprendre l’Holocauste. Comment écrire après Auschwitz interrogeait Adorno, un des penseurs qui l’ont fortement influencé comme tous les tenants de cette Ecole de Francfort sans compter George Luckas et ses réflexions sur le roman ? Comment se situer dans ce monde, dans cette humanité capable de tant de barbarie ? Comment aussi traduire ? La tour de Babel est un empilement de malentendus. Le contexte linguistique peut ne plus correspondre aux mutations en cours, comment en construire un différent ?
Polyglotte, professeur aux Etats-Unis, il se veut passeur d’interrogations, pédagogue. Peu de réponses définitives, beaucoup d’errata qui lui permettent de dresser un autoportrait tout en distance et humour. Cet ouvrage ne se veut pas un livre de plus ou de trop. « Œuvres » est un titre trop neutre pour ce travail qui a réuni auteur et éditeurs sous la férule de Pierre-Emmanuel Dauzat qui a voulu proposer une sorte d’itinéraire, de parcours de ce penseur-romancier fécond pour indiquer les ruptures, les évolutions. L’intérêt se trouve ici dans cette marche de la pensée. Ce fort ouvrage est à la fois une introduction dans les univers de Steiner et mise en perspective de ses questionnements.
N.B.
« Œuvres », George Steiner, présenté par Pierre-Emmanuel Dauzat, Quarto/Gallimard, 1216 p.
Articles publiés dans l’US Mag d’avril 2013