Pour Django
Connaître la biographie de Django Reinhardt est difficile. Patrick Williams, spécialiste de Django, en a souvent fait l’aveu. Parler des morts est considéré comme tabou par les Tsiganes. Surtout son enfance et son adolescence dans cette zone à la limite de Paris dans les années 1910 – année de sa naissance – 1920. La fulgurance de son jeu de guitare, à partir des années 1930 après l’incendie de sa roulotte et sa rééducation, lui a fait une place à part dans les mondes du jazz où il figure comme un des grands génies de cette musique. Le quintet du Hot Club de France, à partir du début des années 1930, formation qui tient de sa rencontre avec Stéphane Grappelli, crée le « jazz manouche » de toutes pièces.
Renseigner, documenter les premiers temps de sa vie ne peut se faire qu’en recréant le contexte de Paris et des Manouches, de leurs errances comme de leur installation dans la « zone », des terrains vagues près de la Porte de Choisy. Pénétrés de la musique de Django – « J’éveille » chez les Roms et Baptiste tenait beaucoup à son surnom -, Salva Rubio, historien et scénariste, et Ricard Efa, pour le dessin, ont associé leur talent pour livrer « Django Main de feu », un essai sur le jeune Django, soit Django avant Django.
Ils n’ont pas résister au titre à tiroir, jeux de mots symboliques entre le réel de la brûlure, du feu, et le figuré du jeu de guitare, un feu profond qui touche le cœur tout en faisant la preuve d’une virtuosité renversante malgré sa main gauche brûlée. Il a dû se créer une technique particulière. En même temps ce titre indique une nouvelle naissance pour Django : sans cet accident où il a failli perdre la vie, il n’aurait vraisemblablement jamais joué de la guitare. Déjà virtuose du banjo, il en serait resté à cet instrument avec lequel il avait du succès. Main de feu que cette guitare emporté par la rencontre avec Louis Armstrong, via le disque que Savitry rencontré sur la Côte d’Azur lui fait écouter.
L’historien, Salva Rubio, en un texte de fin, explique les libertés qu’il a prises avec l’Histoire telle qu’on peut la connaître. Pour des raisons compréhensibles, ils n’ont dessiné qu’un seul médecin, prototype de tous ceux qu’a fréquenté Django pour se soigner et éviter les amputations de la jambe comme de la main. Il lui a fallu une volonté hors du commun pour apprendre la guitare et remarcher après les brûlures qu’il a subies.
Les auteurs réussissent à nous faire partager ses joies, son amour du banjo d’abord, de la guitare ensuite mais aussi à nous faire appréhender la très grande estime de soi qui fait de Django un cas à part. Dés le début, il se prend pour Django Reinhardt. Il faut dire que, comme la plupart des grands musiciens, il est monomaniaque. Son instrument est le complément indispensable de lui-même. Il joue tout le temps.
Ricard Efa dessine des aquarelles au ton un peu suranné, sépia comme pour signifier que ce temps là n’existe plus mais qu’il faut en garder la mémoire pour comprendre le passé. Tandis que le scénariste reste au plus près des faits. Ils se permettent une double page aux couleurs différentes pour évoquer l’avenir de Django mais ce serait une autre histoire que d’autres ont déjà raconté.
Nicolas Béniès
« Django Main de feu », Salva Rubio et Ricard Efa, traduit par Anne-Marie Ruiz, Aire Libre/Éditions Dupuis