La saga du siècle, du jazz et de Louis Armstrong, volume 15


Les incidences d’une grève.

Pour mémoire : Louis Armstrong est né le 4 août 1901, quasiment avec le siècle. Il incarne le jazz dont il fut le génie tutélaire. Daniel Nevers s’est lancé dans cette grande aventure de l’intégrale qui ne peut être exhaustive. Il n’est pas vraiment possible, ni intéressant de reprendre tous les enregistrements publics des groupes, Big Bands conduits par le trompettiste, génie incandescent puis grande vedette du show biz. La carrière de Sidney Bechet, soit dit en passant, suivra la même trajectoire. Tel que, les 15 volumes parus à ce jour permettent à la fois de suivre les évolutions de sa musique, de revenir sur la chronologie du 20e siècle et d’apercevoir les changements sociaux et sociétaux des États-Unis. Louis Armstrong a façonné les références culturelles de la première moitié du siècle dernier et laissé sa marque sur toutes les musiques dites de variété.
L’après seconde guerre mondiale le verra accéder au rang de star, traînant sa gouaille et sa voix, un peu moins la trompette – mais ce n’est pas le cas en cette année 1948 – sur toutes les scènes du monde, utilisé par le Département d’État américain comme ambassadeur. Au début des années 1960, Dizzy Gillespie sera lui aussi un « ambassadeur » de la diplomatie américaine. Une manière de se payer, de nouveau, un grand orchestre.
L’année 1948 avait commencé, avec le volume 14. Satchmo, comme tout le monde l’appelle et comme il se présente « Louis, Satchmo Armstrong » en oubliant Daniel son deuxième prénom – s’était tourné vers les petites formations. L’ère des Big Band tiraient à sa fin. Il fallait trouver un autre format. Le volume 14 montrait les premiers pas de la formule présentée notamment au festival international de jazz de Nice sous l’égide de Hughes Panassié. En juin 1948, pour des émissions de radio à Chicago et à Philadelphie, le « All-Stars » – le nom est adopté après des hésitations comme le raconte Daniel Nevers dans le livret – se met en place.
Il mérite son nom. Jack Teagarden, trombone, Barney Bigard, clarinette, Earl Hines, piano, Arvell Shaw, contrebasse et « Big Sid » Catlett, batteur représentent, chacun dans leur domaine, des références. Sidney Catlett est au premier plan sur la photo de couverture. A juste raison. Ce batteur a aussi été choisi par Charlie Parker et Dizzy Gillespie pour leurs enregistrements de 1944 pour le label Guild. Hines continue d’être un aventurier qui cherche à se déstabiliser pour trouver d’autres voies et Jack – Weldon Leo pour l’état civil – est à la fois un merveilleux chanteur de blues et un tromboniste décontracté pour réaliser des tours de force. Le rejet dont il a fait l’objet de la part d’une partie de la critique française est incompréhensible. Barney Bigard, originaire de la Nouvelle Orléans, a été le clarinettiste vedette de l’orchestre de Duke Ellington. Ses glissando sont restés célèbres.
Ce « All-Stars » se verra refuser l’entrée des studios. Non par ostracisme mais par la décision du syndicat des musiciens d’une grève des enregistrements en ce début d’année 1948 qui, certes, ne durera que 9 mois environ – moins que la première, de 142 à 1944 pour les grandes compagnies qui refusent de négocier – empêchera tout de même le groupe de laisser sa marque sur l’époque.
Il reste pourtant des traces. Les émissions de radio, de télévision, de concerts qui comble le milieu de l’année 1948 et le début 1949 – le coffret de trois CD nous arrête en avril. Daniel Nevers, après une sélection que je suppose drastique, nous propose 59 sélections pour ce voyage dans le temps et dans l’espace qui permettra à Louie – le « s » ne se prononce pas – de devenir une grande vedette. Les prestations sont tellement rapides dans le temps que le « All-Stars » est obligé de se répéter quelques fois à l’identique. Tous les amateurs de Satch ont vécu cette expérience. Des enregistrements réalisés en public qui, d’un disque à l’autre, n’offre guère de surprises.
Ce chapitre 15 permet, dans le même temps, de découvrir les stations de radio comme de télévision. « Bing » Crosby anime l’une d’entre elles, une autre par Eddie Condon, guitariste de son état et plongé dans le Dixieland après avoir été un des « Chicagoans » aux côtés de Bix Beiderbecke.
L’année 1949 sera aussi une grande année pour Armstrong. A la Nouvelle-Orléans, le mardi gras est fêté comme il se doit et donne lieu à plusieurs élections de Rois et de Reines dont « The King Of Zulus ». Louis, qui n’habite plus depuis longtemps à New Orleans, sera sacré Roi des Zoulous et il prendra ce rôle avec sérieux et responsabilité. En lien, il fera la première page de « Time Magazine ». La route de la renommée s’ouvrait devant lui.
Daniel Nevers n’ouvre pas seulement les portes d’une connaissance de l’œuvre de Louis Satchmo Armstrong, il brosse aussi le murmure du temps, ce bruissement nécessaire au travail de mémoire. Qu’il lui soit rendu grâce.
Nicolas Béniès.
« Intégrale Louis Armstrong, volume 15, « The King Of Zulus » 1948-1949 », Livret et sélections Daniel Nevers, Coffret de trois CD, Frémeaux et associés.