Le rire de Proust et des voyages pour deux premiers romans
La rentrée littéraire ressemble à la politique monétaire de la BCE : une édition de livres impossible à suivre pour un lecteur même anormal : 560 romans si j’en crois les publications. Comment faire un choix raisonnable ? Impossible. Il faut faire confiance au hasard et (un peu, pas trop) aux attachées de presse. Il faut attacher une attention particulière aux premiers romans, ils en disent beaucoup sur notre monde.
Mais avant, un livre étrange, venu d’ailleurs. Le titre est tout un programme : « Proust pour rire, bréviaire jubilatoire de A la recherche du temps perdu ». Laure Hillerin, l’auteure, est une voyageuse dans l’œuvre de Proust. Son objectif : faire lire Proust en extrayant de cette Recherche, l’humour, l’ironie pour faire rire. Elle y réussit. Il faut dire que le Marcel n’est en rien un triste sire mais un joyeux drille. La « grande littérature », celle enseignée dans nos écoles, suscite un rejet instinctif. C’est une erreur que ce livre permet de corriger.
Chloé Thomas, pour sa première incursion littéraire, a pris pour thème le dialogue impossible entre les générations. Pour celle issue de ce mois de mai 1968, elle s’est intéressée aux « prochinois » comme on disait dans cette époque lointaine. Jeanne, celle qui veut faire dire, veut comprendre les parents de son compagnon, Pierre – un peu « stone », comme indifférent au monde qui l’entoure ou au passé. Elle interroge Bernard et Marie, les parents séparés depuis longtemps. L’un a éduqué le fils, l’autre est restée à l’usine dans ce travail à la chaîne abrutissant. Des « établis », ces intellectuels devenant ouvriers pour mener la classe ouvrière à la révolution. Passe, dans la première partie « Eux », la figure de Robert Linhart, vue par sa fille et par Bernard. Aucun regret. Mais Jeanne ne comprend pas. « Nos lieux communs » sont à construire. « Le passé est un autre pays » (Hartley)… La deuxième partie, « Nous », est à la fois triste et vide mais remplies de vies malgré tout, contre le monde qui entoure ce couple, il reste uni.
Chloé, 31 ans, met en scène la coupure de mondes, l’impossibilité de transmettre un patrimoine. Jeanne et Pierre ne vivent pas dans le même univers que Bernard et Marie. La chute du Mur de Berlin est passée par là. Un roman « politique » que ce roman qui dit l’incertitude dans laquelle vit la génération présente.
Benoît Philippon, lui, publie dans la série noire. C’est pourtant une fable de notre temps qu’il nous propose. « Cabossé » est le personnage principal de ce « road movie », Roy sorte de Minotaure tout droit sorti des contes et légendes. Cabossée est Guillemette – où a-t-il été trouvé un prénom pareil, dans le passé ? – qu’il rencontre par hasard comme Lily, la petite fille abandonnée sur une aire d’autoroute. Le tout est une version trash de la Belle et la Bête, sorte d’image de nos sociétés où la violence due aux inégalités et aux rejets de toute sorte, règne en maîtresse. Comment contrôler sa colère devant tant d’injustices ? Difficilement possible. On voudrait croire à cette histoire. Elle parle d’amour et de rédemption, deux impossibilités de notre présent ! On se laisse tout de même emporter.
Nicolas Béniès.
« Proust pour rire », Laure Hillerin, Flammarion ; « Nos lieux communs », Chloé Thomas, Gallimard ; « Cabossé », Benoît Philippon, Série Noire/Gallimard.