Un concert à Paris (Olympia) le 24 avril 1962.
Louis Armstrong transporte son « All Stars » de villes en villes, de pays en pays depuis la fin des années 1940. Partout, il est accueilli comme un roi. Ce qu’il est sans conteste. Roi des Zulus que la Nouvelle Orléans élit tous les mardi gras, roi de ce royaume superbe et inconnu, le jazz. Louis est le génie tutélaire du jazz à n’en pas douter. La folle créativité fut sienne dans les années 20-30 à s’en péter les lèvres.
Dans les années 50/60, il se répète en reprenant les thèmes habituels d’un jazz appelé traditionnel ou dixieland. Il reste une voix inspiré par des muses étranges qui arrive à nous charmer. Les sirènes avaient-elles sa voix rocailleuse ? Boris Vian, à juste raison, sera déçu de la prestation du all star armstronien. Il s’attendait à un Dieu flottant sur les temps, il n’eût que le trompettiste ayant largué toutes ses bombes. Il restait Louis Armstrong malgré et contre tout. Sa biographie ne dit pas tout. Les légendes sont si nombreuses qu’il faudrait plusieurs livres pour les combattre. A quoi bon, vous connaissez la formule de John Huston : « Quand la légende est plus belle que la réalité, il faut imprimer la légende ». Souvent, se multiplient les anachronismes. Telle citation de Dada n’est pas remise dans son contexte, telle appréciation n’est pas vérifiée et le tout à l’avenant. On le sait, on ne prête qu’aux riches…
Le répertoire du all star change peu, le spectacle non plus. La multiplication des enregistrements publics le montre à l’évidence. Pourtant, il en est qui sortent du lot et celui là, à Paris ce 24 avril 1962, en fait partie.
Paris est une des capitales du jazz en ce temps là. Louis y est déjà venu. Deux fois. En 1934 – et il n’a pas pu rencontré Django – et en 1948. L’Olympia, un lieu particulier dans ces années 50/60, en lien avec Europe 1 et « Pour ceux qui aiment le jazz ». La jeunesse inonde les fauteuils de cette salle, prenant possession des lieux. Ce sera sa caverne, plus saine que le Tabou. Elle y cassera les fauteuils dés 1955 pour un concert de Sidney Bechet.
Le groupe, le fameux all star, réuni autour de Satchmo – ainsi dénommé pour l’éternité – est stable. Trummy Young, tromboniste et chanteur promis à un bel avenir à la fin des années 1930, vedette de l’orchestre de Jimmy Lunceford, a choisi la sécurité en acceptant l’offre de Louis et ne l’a pas quitté. Il comble tous les vides, s’adapte et permet au groupe de fonctionner. Billy Kyle a été un grand pianiste et a participé au petit grand orchestre constitué par la bassiste John Kirby à la fin des années 30. Le be-bop les a fait paraître obsolètes, vieux, dépassés. Trummy Young a tenté de rejoindre les rangs des beboppers mais, trop de travail sans doute, il a renoncé.
A ce noyau dur se rajoute, depuis le départ de Barney Bigard, clarinettiste, fatigué des tournées, Joe Darensbourg – un spécialiste du slap, comme il le démontre sur « Yellow Dog Blues » – ici ou d’autres, Danny Barcelona à la batterie et Bill Cronk à la contrebasse pour un programme qui ressemble à celui présenté au festival de Newport en… 1957. Malgré ces handicaps, Louis semble en forme et livre une performance soulevé par le public. Comme le disait Miles Davis, attentif aux prestations publiques du génie vieilli, il se passe toujours quelque chose lors d’un concert de Armstrong. Quelque chose d’impalpable. Qui pourrait se trouver dans l’air de ce temps. Un air de soulagement. Les Accords d’Evian viennent d’être signés – le 18 mars – qui marquent la fin de cette guerre d’Algérie dont René Urtreger refuse encore de parler et c’est une nouvelle ère qui commence… Avec Louis ! Forcément Satchmo…
Nicolas Béniès.
« Louis Armstrong, 24 avril 1962 », Live in Paris, la collection des grands concerts parisiens dirigée par Michel Brillié et Gilles Pétard, Frémeaux et associés.