Les aventures d’un génie (suite)
L’Oiseau vole toujours plus haut.
Charlie Parker, « Bird », l’Oiseau, fait l’objet d’une intégrale dont nous avons rendu compte au fur et à mesure de sa parution. Sous la direction de Alain Tercinet, auteur d’une biographie de Charlie Parker « Parker’s Mood », éditions Parenthèses collection Eupalinos, cette fausse-vraie intégrale en est à son 7e opus et couvre la fin de l’année 1949, début 1950.
Parker revient de son unique périple européen (fin du volume 6) et participe, avec Lester Young et la troupe du JATP – Jazz At The Philharmonic de Norman Granz – à un concert le 18 septembre 1949, au Carnegie Hall. Il vient de se faire remarquer par des déclarations à l’emporte pièce telles que « le bebop n’a rien à voir avec le jazz » et « je n’ai jamais été influencé par Lester Young ». La jam session qui ouvre cet opus fait la démonstration contraire. Tercinet a retenu le montage du LP d’origine qui faisait succéder Lester et Parker pour permettre aux oreilles des auditeurs de se rendre compte de la filiation. Tous les enregistrements réunis ici font la preuve de la connaissance de la mémoire du jazz et du blues. Il peut citer les standards mais aussi le « West End Blues » de Louis Armstrong.
Le génie parkérien, c’est là l’essentiel, transcende tous ces apports. Même l’ajout de « cordes », qu’il exige de Norman Granz – « trop cher » dit celui-ci – ne nuit pas à son envol, à sa course folle vers le soleil.
Mis à part cette session en studio « Charlie Parker with Strings », le reste de ce volume est consacré à des enregistrements publics dont celui réunissant le Bird et « Fats » – Theodor pour l’état civil né le 24 septembre 1923, mort le 7 juillet 1950 – Navarro, un des grands innovateurs de ce temps qui en compta beaucoup. Une sonorité de trompette qui approche la perfection et influencera Clifford Brown qui le dépassera sur le chemin de cette perfection inaccessible. Theodor fera le lien entre les musiques, entre les cultures celle du jazz, de l’afro-cubanisme pour créer encore et encore des sonorités nouvelles. Une maîtrise technique qui laisse rêveur pour dépasser, dans ses meilleurs moments, « Dizzy » Gillespie lui-même.
L’enregistrement a eu lieu au « Birdland » qui vient d’être inauguré à une date qui reste sujette à caution surtout – comme le note Tercinet dans le livret – à cause des ennuis de santé, tuberculose et drogue pour être précis, du trompettiste. Il apparaît en grande forme et la date du mois de mai habituellement retenue semble un peu trop proche de celle de la mort de Navarro.
Le quintet fonctionne. Bud Powell, pianiste bebop par excellence, Curley Russell à la basse et Art Blakey à la batterie se surpasse pour essayer – c’est impossible – d’être à la hauteur d’un Bird complètement survolté. Le génie à l’œuvre.
Ce concert exceptionnel, enregistré c’est vrai avec les moyens techniques de cette époque, doit être écouté et réécouté pour comprendre le mystère qui entoure la création de ces musiciens. Navarro fait la preuve qu’il peut dialoguer avec le Bird, à sa hauteur et cette conversation permet à chacun de s’échapper de plus en plus haut. Les trois autres sont en lévitation…
Entourant ce concert qui couvre une partie des CD 2 et 3, deux autres enregistrements pirates en compagnie de Red Rodney qui ne démérite pas. Parker engageait beaucoup de jeunes musiciens pour transmettre un peu de sa mémoire d’homme à l’affût de l’avenir. Le premier du 24 décembre 1949, avec la voix de Symphony Sid Torin pour la radio « Voice of America », un admirateur du Bird, avec un « Koko » exceptionnel qui met en vedette le jeu à la caisse claire de Roy Haynes qui vient d’être engagé par Parker. Les mêmes – Al Haig au piano et Tommy Potter à la contrebasse complètent le quintet que composent Bird et Red Rodney – se retrouveront à St Nicholas Arena pour un autre concert dont il reste quelques extraits. Les « enregistreurs » – ici Don Lanphere, saxophoniste lui-même – privilégiant Parker et ses improvisations. Il faut reconnaître que Parker fait preuve ici, dans cette Arène où se tenaient des combats de boxe, d’une totale liberté.
Ce concert termine ce volume 7. Il reste à attendre le volume 8…
Nicolas Béniès.
« Intégrale Charlie Parker, volume 7, « Just Friends », 1949 – 1950 », livret de Alain Tercinet, Frémeaux et associés.