Mémoire de 2003

Chronique de Disques écrites en 2003

Pour Lee Konitz et la liberté…
Faut-il aller vers sa 73e année pour faire la preuve de sa liberté, de son sens de l’humour, de sa volonté de vivre ? A écouter Lee Konitz et son saxophone alto on pourrait le croire. Beaucoup moins guindé, ils donnent l’impression d’avoir appris à vivre. Bizarre sensation. Deux albums viennent en donner la preuve. Le premier, pour Blue Note (distribué par EMI), « Another Shade of Blue », volume deux des aventures d’un trio de circonstance, Konitz associé au pianiste Brad Mehldau – la coqueluche actuelle – et au bassiste Charlie Haden (ne faisant pas ses trois fois vingt ans et même un peu plus), pour une sorte d’hymne au jazz et à la rencontre des générations. Si vous ne possédez pas « Alone Together », le premier opus, celui-là conviendra et vous y ferez des découvertes. Dans le cas contraire, c’est un peu répétitif. Le show-biz comme chacun sait ne connaît que ce refrain…

Le deuxième recèle plus de secrets, plus d’émotions. Une rencontre d’abord. Il faudrait presque parler de retrouvailles. Le saxophoniste Ted Brown avait disparu depuis des lustres. Il fait partie de ces musiciens intègres qui enregistrent peu. Seulement lorsqu’ils ont quelque chose à dire. C’est le cas ici pour ce « Sound Of Surprise » (RCA-BMG), oui des sons que nous n’avions pas entendus depuis trop longtemps, des sons inédits, comme la découverte d’une nouvelle contrée. Konitz retrouve sa jeunesse lorsqu’il étudiait avec le pianiste aveugle Lennie Tristano, sans nostalgie, sans amertume et se souvient de tous ses amis disparus, fantômes singuliers qui hantent notre mémoire de ces sons délicats dessinant dans l’air la trace de nos angoisses et de nos bonheurs. Lee Konitz ne recrée pas, il invente au fur et à mesure. Son passé comme son présent. Marc Johnson à la basse et Joey Baron à la batterie contribuent au climat général, comme le guitariste John Abercrombie pour certains morceaux. S’il vous faut choisir…
Nicolas BENIES.

Ricky Ford : Balaena, Jazz Friends Productions, distribué par Socadisc.
Ricky Ford, saxophoniste ténor sait tout du jazz. Il a longtemps joué aux côtés de Jacky Byard, pianiste caméléon qui nous a quittés l’an dernier assassiné – un album chez le même éditeur serait bien son dernier – dont il a hérité le côté érudition quelque fois fatigant, d’autre fois, le plus souvent, réjouissant. Du coup, il se fait oublier. Personne n’en parle. Pourtant, il mérite plus que le détour. Cet album enregistré «live » à Paris (au Sunset) en juillet 1999 en fait foi. L’énergie est débordante. Il montre aussi que le free-jazz – la grimace de dégoût accompagne forcément cette mention – est devenu culture. Qu’il s’intègre dans le discours plus classique et prend la place d’autres structures. Son trio est aussi une sorte de bannière étoilé du jazz. George Cables au piano, Cecil McBee à la basse et Ed Thigpen à la batterie. Une façon de découvrir les couleurs du jazz… Bien ficelé par ce producteur de Toulouse à qui il faut souhaiter longue vie…
NB