Vide-Poches

En ces temps incertains, la lecture est non seulement un moyen d’évasion mais tout autant un instrument de connaissance de soi et du monde extérieur. Les éditions en poche font souvent l’objet d’un ostracisme incompréhensible. Comme si ce format était lié à « populaire » et donc méprisable. C’est une erreur profonde. Les trésors sont innombrables. Vérification à travers plusieurs entrées.

Littérature
Contes pour jeunes filles intrépides (Babel)
Lorsque le héros du conte est une héroïne, la lecture se corse et ouvre des perspectives. Praline Gay-Para a ouvert les tiroirs de ces histoires, issues des contes et légendes du monde entier, qui indiquent que les luttes féministes sont inscrites dans la mémoire de tous les pays du monde. Il faut juste se donner la peine de les exhumer. Comme souvent, les femmes disparaissent du patrimoine culturel, comme si elles n’avaient jamais existées. Ces contes montrent que les jeunes filles sont des vaillantes combattantes.
« Contes pour jeunes filles intrépides », Praline Gay-Parra

Pas si calme (10/18)
Un grand roman oublié qui eut son heure de gloire en 1930. Six jeunes anglaises embarquées dans la première guerre mondiale dans le service ambulancier. Bénévoles, elles souffrent de la faim et d’absence de reconnaissance, engluées dans la barbarie la plus totale. Un grand livre qui permet de comprendre la folie des années 1920 tout autant que le dédain sinon le mépris des participant-e-s vis-à-vis de ceux qui n’y ont pas participés, les planqués. Notamment Breton, Aragon, Apollinaire avaient des mots très durs pour ceux qui n’étaient pas « montés » au front qui ne connaissaient pas la barbarie et la fraternité. Ce « roman vrai » s’appuie sur la réalité étrange qui émerge des souffrances endurées, de ces morts trop nombreux, trop jeunes.
« Pas si calme », Helen Zenna Smith, traduit par Daphné et Henri Bernard

Sous les branches de l’Udala (10/18)
Sur fond de guerre civile au Nigeria, l’amour. Mais un amour défendu celui de deux adolescentes. Il faudra du temps pour assumer ses désirs et se trouver. Udala, en Igbo et Agbalumo en Yoruba est un fruit, une sorte de pomme spécifique du Nigeria. Une manière se se référer aux racines africaines d’autant que ce fruit ne s’appelle pas dans les langues occidentales, notamment l’anglais. Le titre est revendication d’indépendance face au colonialisme et à l’impérialisme. Un roman sur la guerre et ses inspirateurs, sur les préjugés et sur le chemin rocailleux de la connaissance de soi.
« Sous les branches de l’Udala », Chinelo Okparanta, traduit par Carine Chichereau

« Mauvaise nature » et « Si rude soit le début » (Folio)
Javier Marias est l’un des grands auteurs de l’Espagne post franquiste. Il analyse finement la manière dont fonctionne les mémoires et la volonté des gouvernements, de la royauté espagnole (ici) corrompue d’effacer le passé qui dérange pour construire des commémorations, sorte de glorifications du présent pour lutter contre la connaissance. Ses personnages magnifient le contexte pour exprimer un entre deux étrange aux références littéraires prégnantes. Javier Marias est un explorateur qui arrive à faire découvrir par la littérature des contrée trop visitées. L’espoir n’est jamais absent dans ses romans dont celui-là, même si le début est rude, le reste l’était-il moins ?
Ses nouvelles réunies sous un titre qui rappelle Brassens et sa mauvais réputation, dresse des portraits contradictoires de l’Espagne d’aujourd’hui. Cercas se fait chroniqueur, mémorialiste.
Marias dans ses nouvelles – une première rencontre avec cet auteur comme dans ses romans insiste sur la mémoire. Du passé, personne ne peut faire table rase sinon l’avenir recule devant le présent imprégné de ce passé déjà rance.
« Mauvaise nature, Nouvelles complètes », « Si rude soit le début », Javier Marias traduit par Marie-Odile Fortier-Masek

Polar
« La veille de presque tout » (Babel/Noir)
La Galice, ses côtes, sa sauvagerie et son inspecteur Ibarra qui veut croire, contre le monde et sa barbarie, en l’avenir. Une histoire qui sape toutes les croyances en l’être humain et laisse le lecteur révolté. L’Espagne a du mal – elle n’est pas la seule – avec son passé. Le roman en Espagne garde quelque chose de noir en brouillant les frontières des genres. Victor de Arbol est un grand écrivain. Se plonger dans cette littérature est une épreuve de vérité pour toutes les démocraties. Elle met en lumière toutes les questions de la corruption et de la légitimité des gouvernements.
« La veille de presque tout », Victor del Arbol, traduit par Claude Bleton

« La Sorcière » (Babel/Noir)
Le temps bouge. Trente ans avant les faits, un meurtre d’une fillette, un autre assassinat avait été perpétré dans les mêmes lieux. En 1671, le procès d’une sorcière sert aussi la compréhension de l’intrigue. La Suède se débat avec ses démons. Camilla Läckberg sait emmêler les fils des intrigues qu’elle construit. Les allers-retours dans le temps permettent de dessiner des images de ce pays plus connu, en France, par ses auteurs de polar que par son histoire et ses mythes. Une grande raconteuse qui sait se servir des contes et légendes, des peurs ancestrales pour les inclure dans la réalité du présent.
« La Sorcière », Camilla Läckberg, traduit par Rémi Cassaigne

« La soif » (Folio Policier)
Harry Hole semble aller beaucoup mieux – les habitués de ses enquêtes comprennent, les autres devront revenir vers le passé pour comprendre – et se sent prêt pour une retraite bien méritée. Jo Nesbo fait vieillir son double littéraire en même temps que lui et nous. Mais un enquêteur peut-il refuser de conclure une traque commencée lors de ses débuts ? Oslo et la Norvège ont conservé des secrets alors que nous, lecteurs attentifs, avaient l’impression de tout connaître. Il semble que se profile la dernière enquête de Hole qui tomberait dans le trou du temps.
« La soif », Jo Nesbo

Essais
« les principes du communisme » (Éditions sociales)
Un texte, écrit par Engels (1847), préparatoire au magnifique « Manifeste du parti communiste ». Marx et Engels évoluent rapidement et ensemble. La sous estimation du travail de Engels est une erreur. Il participe pleinement à l’élaboration collective en apportant son expérience des mondes du capitalisme naissant de cette Grande Bretagne en train .
« Les principes du communisme », Friedrich Engels traduit par Jean Quétier

« Découvrir Bourdieu » (Éditions sociales)
Simon Lemoine, dans cette collection « Les propédeutiques » a choisi 14 textes de Bourdieu pour expliquer concept et méthode du sociologue. Abordable et stimulant 
« Découvrir Bourdieu », Simon Lemoine.

« Dames du XIIe siècle » (Folio)
Histoire souvent oubliée que celle des femmes. Les entendre au-delà des siècles est une nécessité pour retrouver notre mémoire. Duby les entend et les écoute. Nos livres d’histoire s’animent de ces figures de femmes en butte à la volonté des hommes de les rabaisser et leur faire subir le poids de tous les péchés.
« Dames du XIIe siècle », Georges Duby.

Relire les classiques
En bilingue : « Les aventures d’Alice au pays des merveilles », pour apprécier les style de Lewis Carroll pour un conte que tout le monde connaît mais qui peut encore surprendre. (traduit par Jacques Papy, préface de Philippe Forrest)
« J’avoue que j’ai vécu », Pablo Neruda livre des souvenirs de ses jeunes années qui prennent une coloration étrange en espagnol chilien. (traduit par Claude Couffon)
(Folio=