Des migrations à la crise de la construction européenne

Migrations et crise politique

Les média parlent de « crise des migrants » ou de « crise migratoire » pour diffuser l’angoisse des populations. « Crise », dans ce cadre, ne signifie rien sinon de faire retomber la faute, la responsabilité sur les victimes, les migrants, d’une situation qu’ils n’ont pas choisie.
Les migrations sont issues de toutes les crises qui secouent le monde en train de basculer. Elles révèlent, au sens photographique, les révolutions en cours. Un capitalisme, celui à dominante financière, est en train de pourrir sur pied, est quasi déjà mort, un autre capitalisme est en train de naître et doit, pour ce faire, révolutionner une fois encore le mouvement de l’accumulation du Capital. Un mouvement qui inclut des éclatements géopolitiques. Toutes les constructions sont menacées. Le monde tel qu’il s’est constitué depuis la fin de la deuxième guerre mondiale appartient au passé. La chute du Mur de Berlin en novembre 1989 avait marqué le début de la fin de ce monde. La crise systémique ouverte en août 2007 avait sonné son glas. Depuis plus de 10 ans, le capitalisme connaît les répliques de cette crise systémique.

Les migrations en sont le résultat. Les éclatements, les guerres, les dictatures, la famine, la disette en sont les causes profondes. Plus fondamentalement, elles proviennent d’une construction internationale dominée par l’idéologie libérale. La mondialisation, qui reposait en partie sur du bluff, s’est construite surtout autour de l’internationalisation des marchés financiers, manière aussi de dominer, par la dette et les capitaux spéculatifs les pays dits du tiers-monde.
La crise de 2007 et plus encore la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 a provoqué une crise supplémentaire qui n’a pas encore trouvé de réponse : celle de l’idéologie libérale. Plus personne ne croit que les marchés s’autorégulent, que la physique préside à l’économie. Mais aucune idéologie alternative ne l’a remplacée. Les analyses se multiplient sur la critique des théories néo-classiques, notamment, en France, sous la férule de Gaël Giraud, sans pour autant construire une idéologie qui permette de justifier les politiques suivies par une vision du monde. Parler de « crise des migrants » permet aussi de dissimuler cette absence et de la remplacer, sans le dire, par des constructions d’exclusions proches de celles du fascisme.
Les migrations sont donc structurelles dans cette transformation du capitalisme. La revendication de la liberté de circulation est essentielle. Elle va de pair avec les impératifs de solidarité et de l’hospitalité pour le renouveau de valeurs de gauche. Le primat de la fraternité comme valeur constitutionnelle reconnu par le Conseil Constitutionnel, en France, affaibli les lois répressives passées et récentes qui ont fait de la solidarité un délit.
L’accueil des migrant-e-s est une question centrale qui permet de mettre à jour la rhétorique imbécile et barbare de l’extrême droite et de tous ceux – commencer par Wauquiez – qui prétendent surfer sur les peurs et les angoisses des populations pour leur intérêt personnel.
L’absence de réponse concrète, crédible sur les migrations fait exploser la crise d’orientation, la crise politique qui secoue à la fois – « en même temps » – la gauche et la droite. La gauche officielle est morte comme la droite. Pour LR ne restent plus que des incantations qui font le jeu du FN – pardon, du RN – qui se sert des migrants pour alimenter son discours de haine, raciste et antisémite.
Pour qualifier ce discours, le terme non défini de « populisme » ne correspond pas. Il s’agit bien de fascisme. Certes, une nouvelle manière qui s’appuie sur la crise de la démocratie incapable de justifier ses mythes fondateurs, en particulier la lutte pour l’égalité. Les inégalités profondes des sociétés capitalistes font imploser le mythe. La démocratie peut faire faillite.
La transformation de la forme de l’État en cours, le passage d’une forme sociale – nommée « État Providence » – à une forme répressive, dictatoriale se justifie par la lutte contre le terrorisme et l’immigration, illégale bien sûr ajoutent les gouvernements bien-pensants, sans que personne ne soit capable de tracer une nette frontière, sur ce terrain, entre légale et illégale.
Interrogation subsidiaire : quelle est la définition macronienne de l’État providence lorsque tous les acquis sociaux, la sécurité sociale sont remis en cause ? Parle-t-il de cette forme répressive de l’État ? Dans ce cas il tourne le dos à la construction même de cette forme de l’État qui a marqué les « 30 glorieuses » !
La question des migrants est bien une question vitale, décisive parce qu’elle cristallise toutes les politiques.
Nicolas Béniès

Crise de légitimité de l’Union Européenne
Le projet même de la construction européenne – au-delà de l’Union Européenne actuelle – est considéré comme n’ayant plus de légitimité aux yeux d’une grande partie des populations européennes. Cette absence de légitimité est visible dans la victoire de partis qui se terrent dans le nationalisme comme ceux qui constituent actuellement le gouvernement italien. Le Mouvement 5 étoiles s’est rallié à La Ligue (ex du Nord) pour faire du refus de l’entrée des migrants le nec plus ultra de sa politique. Il rejoint la cohorte des gouvernements d’extrême droite qui fleurissent en Europe, à commencer par celui de l’Autriche et des pays de l’ancienne Europe de l’Est.
Devant ce refus d’accueillir les migrants, les pays de l’Union Européenne se sont réuni en urgence le jeudi 28 juin 2018. Les divisions sont profondes. Macron avait fait la leçon au gouvernement italien, sans en avoir le droit faute d’une politique migratoire accueillante, solidaire. Le débat portait ni plus ni moins sur l’application des traités. Le groupe de pays mené par Salvini, le ministre de l’Intérieur du gouvernement italien, mettait en cause directement les traités constitutifs de l’UE. La gauche, pour son plus grand désarroi, ne l’a jamais réalisé. Un grand coup de couteau de cuisine. La rupture semblait proche. Elle n’a pas eu lieu. Le 29 juin, à quatre heures du matin, un texte de compromis a été trouvé. Compromis ? Malgré le flou de cette déclaration a été acté que ces pays – l’Italie en premier lieu – pouvaient bafouer les traités. Une fois encore, à l’instar des années 30, les démocraties ont cédé devant la barbarie.
Pour le gouvernement grec, en 2011 lors de la crise de l’euro, cette possibilité ne lui avait pas été offerte. L’austérité, encore l’austérité, toujours l’austérité sous prétexte de… respect des traités. Les conséquences, pour ce pays terre de migrations, ont été catastrophiques. Le PIB a diminué de 25%, la pauvreté, la misère ont progressé.
L’Union Européenne n’a pas éclaté mais elle subit une nouvelle dimension de sa propre crise, une crise de légitimité.
La question des migrants – cf. article précédent – sera au centre de la campagne des Européennes.
La nécessaire refondation de la construction européenne est ressentie comme nécessaire par les élites dirigeantes comme pour les populations. L’attente est grande de propositions viables dans un contexte de poursuite de la crise systémique du capitalisme et des injonctions comme des menaces de Donald Trump en train de faire éclater toutes les solidarités et de permettre aux extrêmes droites de conquérir des avancées idéologiques. L’UE est incapable de construire des politiques communes seul moyen de résister en construisant un nouvel espace. Ce niveau européen est nécessaire pour répondre, par une planification d’investissements publics, aux mutations climatiques et à la crise écologique.
La révolution scientifique et technique en cours, qui risque d’aggraver les inégalités en polarisant les emplois : d’un côté les emplois hautement qualifiés et bien payés, de l’autre des emplois de bas gamme et mal payés, suppose une politique de formation permettant de dominer ce nouvel outil.
Last but not least, la crise financière n’est pas terminée et suppose une politique de réglementation des marchés financiers pour orienter les profits vers l’investissement productif et non vers la spéculation ou la distribution massive de dividendes. La prochaine crise financière et la récession profonde qui s’ensuivra seront plus difficile à combattre, à résorber et appellera des révolutions des politiques mises en place jusqu’à présent. Après 2008, les classes dirigeantes ont raté le coche d’un changement de paradigmes pourtant absolument nécessaire. Elles n’ont pas d’outils théoriques, pour le moment, permettant de comprendre le monde.
Ouvrir des discussions à gauche sur la construction européenne permet de développer les axes d’un programme de transformations sociales, d’un projet de société apte à combattre les tendances dictatoriales en œuvre en même temps que d’ouvrir des voies de solution aux crises actuelles de ce qu’il faut bien appeler une crise de civilisation.
La refondation de la gauche est l’objectif premier pour construire l’espoir. Une nécessité vitale pour l’ensemble des populations. La préparation des élections européennes, au-delà de la construction des listes, doit s’inscrire dans cet objectif.
Nicolas Béniès