La chanteuse de jazz : Cécile McLorin Salvant.
D’abord une pochette étrange de ce double album Mack Avenue, écrite à la main et au design inhabituel, création de la dame qui ne se contente pas de chanter. Original mais pas très lisible pour le lecteur que nous sommes. Mais il faut reconnaître le talent certain de se faire remarquer. N’est-ce pas l’essentiel dans les bacs des disquaires ? Là où les disquaires existent encore…
Cécile McLorin Salvant est ici enregistrée « live » au Village Vanguard et au DiMenna Center, sis à New York, qui lui permet de se démultiplier en compagnie d’un public complice. C’est sur scène, comme elle le dit dans une interview à DownBeat dont elle fait la couverture du numéro d’octobre, qu’elle est le plus elle-même. DownBeat ne craint pas de titrer : « Gets Surreal » pour bien indiquer la place prédominante qu’elle est en train de prendre. Et c’est mérité.
« Dreams and Daggers », Rêves poignardés me plait bien comme traduction pour décrire un monde, celui de Trump et de quelques autres, chargé des nuages gris du racisme et de la démagogie comme de la bêtise profonde. Cécile reprend des « standards » qu’elle s’approprie dont deux compositions de Bob Dorough – « Devil May care » et « Nothing Like You » (1) -, des compositions personnelles, un poème de Langston Hughes et une perle rare « You’ve Got to Give Me Some » en duo avec le pianiste Sullivan Fortner. Sur le reste des plages, elle est en compagnie de son trio : Aaron Diehl, pianiste qui possède une grande partie de la mémoire du jazz et sait s’en servir pour construire un ailleurs subtil, Paul Sikivie, contrebassiste ainsi que compositeur et Lawrence Leathers à la batterie. Un trio avec lequel elle a beaucoup tourné. La complicité s’entend qui permet toutes les envolées, tous les parcours. Pour certaines compositions, elle ne craint pas de faire appel à un quatuor à cordes, le « Catalyst Quartet » qu’elle utilise avec parcimonie.
Elle est obligée de gérer sa notoriété pour éviter qu’elle ne tombe dans la marchandise, dans la répétition sans âme juste pour vendre et engraisser ses producteurs. Pas facile mais elle sait qu’elle fait partie d’une communauté, d’une histoire, d’une mémoire qui devrait la protéger.
Un des grands albums de cette rentrée que ce « Dreams and Daggers » !
Nicolas Béniès
« Dreams and Daggers », Cécile McLorin Salvant, Mack Avenue/PIAS
(1) « Nothing like you », chanté par Bob Dorough, figurait sur un album de Miles Davis, « Sorcerer » par la grâce, semble-t-il, de Miles Davis, sans rapport avec le reste de l’album sinon la participation de Wayne Shorter pour cet enregistrement réalisé en 1962 – sans rapport non plus avec la date d’enregistrement de « Sorcerer », mai 1967.