Autour de deux « premier album » de deux saxophonistes.
« Dreisam » est, évidemment, un trio. Qui veut mêler les musiques, les cultures du monde. Le titre même l’indique, « Source » et ce singulier interroge.
La saxophoniste, Nora Kamm, est allemande avec des racines culturelles du côté des Balkans si j’en crois ses compositions, le batteur, Zaza Desiderio, est de Rio de Janeiro – la ville brésilienne transporte plus d’influences, d’effluves que dire simplement Brésil – et le pianiste, Camille Thouvenot, vient de Nîmes, un mélange détonnant, un trio étrange.
La fusion proposée est sympathique, provoque l’empathie. Cette musique pourrait décoller. Il faudrait que la saxophoniste oublie ses leçons de Conservatoire pour l’énergie « sale » (dirty plutôt) qui fait la beauté des grands saxophonistes de jazz. Comme Sidney Bechet ! Tel que, les musiques tournent, les climats essaient de changer, les rythmes différents sont conviés, invités pour faire de la place à chacune des références, de ces références à plusieurs entrées qui marquent les cultures d’aujourd’hui.
Il faudrait travailler à une dialectique de tous ces affluents pour construire une musique de notre temps, pour dépasser toutes les influences notamment, pour la saxophoniste, celles des musiciens de l’Europe du Nord.
Alexis Avakian, le deuxième saxophoniste d’origine arménienne, s’est entouré d’un trio : Ludovic Allainmat, piano, Mauro Gargano, contrebasse et Fabrice Moreau, un des grands batteurs (et peintre) actuels pour un album, « Digging Chami » soit un hommage à son arrière-grand-mère réchappé du génocide arménien de 1915. La traduction qu’il donne : madame Chami – diminutif de Chamira – vient de l’Arménien. On sait aussi que « digging » signifie, en anglais, « approfondir, apprécier ». La multiplicité des significations appelle plusieurs lectures. Les influences sont revendiquées, le jazz et les musiques arméniennes, pour essayer de construire un périmètre personnel. C’est difficile dans le contexte actuel. Il fait face aux même questions que le trio précédent. Comment être soi-même ? Comment construire une musique du temps sans répéter les ancêtres qu’il soit des mondes du jazz ou de l’Arménie ? Les réponses ne sont pas encore construites. Les essais sont nombreux. Quelque chose est en train de bouger qui reste, pour le moment, dans les limbes.
Pour parfaire ces influences, il a adjoint au quatuor, pour deux morceaux – deux réussites, il faut le dire – Artyom Minassian au doudouk et Zadig Panossian au dhol, manière d’installer sa musique aux confins de l’Arménie et du jazz coltranien, pour « Digging Chami », sans doute la composition la plus émotionnellement juste de Alexis Avakian et un standard, « Spring is here » revu et corrigé par cette instrumentation étrange. Irrésistiblement le traitement de ce thème fait penser au « Love Supreme » de Coltrane. Cette prière au printemps s’inscrit dans celui du « printemps arabe », cette révolte des populations contre des politiques corrompus, un grand appel d’air, de liberté, de fraternité et de solidarité.
Pour le reste, le saxophoniste navigue entre toutes les musiques appelées « actuelles » faute de terme plus approprié, sans véritablement se trouver. Mais, au moins pour ces deux thèmes, cet album vaut la peine d’être entendu.
Nicolas Béniès.
« Source », Dreisam, Diapason/Absilone distribué par Socadisc ; « Digging Chami », Alexis Avakian, Paris jazz Underground/Absilone distribué par Socadisc.