Voyage immobile dans notre mémoire.
Django ? Le surnom suffit. Possible d’ajouter Reinhardt si vous voulez. Guitariste manouche lit-on de temps en temps comme si cette dénomination suffisait à épuiser le génie d’un musicien accompli qui a su révolutionner les mondes du jazz et se révolutionner en permanence. Son surnom, « J’éveille » en français, lui a fourni une feuille de route. Jusqu’à sa mort en 1953, il a montré plusieurs figures n’ignorant en rien la révolution bebop. Un de ses derniers thèmes, « Deccaphonie », est d’une puissance tellurique. Elle laisse sur le carreau un Martial Solal dont c’est la première entrée en studio.
Pourquoi rappeler ces données ? Pourquoi redire une fois encore que Django est un génie qui a su renouveler continuellement son langage, qu’il a même devancé Miles Davis sur le chemin du modal en enregistrant « Flèche d’or » ? Qu’il ne s’est pas contenté de créer le « Jazz Manouche » qu’il faudrait appeler « le jazz Django du quintet du Hot Club de France » ?
Pour présenter un album signé par Dominic Cravic et ses amis qui nous invitent à un voyage dans nos souvenirs, souvenirs de ce 20e siècle, souvenirs aussi des Paris disparus.
Django a commencé en jouant de la guitare-banjo dans les orchestres musette dés les années 20, jusqu’à l’incendie de sa roulotte en 1929 qui l’obligea à adopter la guitare. La découverte du jazz via Louis Armstrong changea la donne, la sienne et celles de beaucoup d’autres. A commencer par les guitaristes américains qui ont, touts, reconnus leur dette vis-à-vis de Django. Jusqu’à BB King !
Ce voyage commence par « Amour de gitane » ; évoque la collaboration de Django avec Jean et Germaine Sablon, permet une halte par cette bluette due à la plume de Charles Trenet « Rendez-vous sous la pluie » pour aller vers les « swing » 39 et 42 permettant de se faire une idée des transformations que le guitariste effectue. Il quitte les rivages du quintet avec Stéphane Grappelli pour se rapprocher de la musique en train de se faire dans ce Paris occupé. Les musiciens de jazz français prennent leur autonomie, créent une musique originale.
Dernière étape, une deuxième version de « Nuages » – la première date de 1941 – issu des sessions de Django pour Barclay et son premier label, « Blue Star » – « Mieux vaut Blue Star que jamais » avait dit Boris Vian. Il était passé à la guitare électrique…
Un voyage évocateur sans jamais copier Django et sans jamais céder aux sirènes d’un jazz trop souvent entendu.
Il faut prévenir les esprits chagrins – ceux et celles qui n’aiment pas l’accordéon -, c’est un disque de musique française qui fait la part belle à toutes nos amours, la valse musette, la chanson réaliste et, last but not least le jazz. Un disque honnête, qui ne triche jamais avec la musique et se situe, je parle aux connaisseurs, dans la lignée des « Primitifs du futur que Frémeaux et associés rééditent aussi. Les deux premiers albums sont disponibles.
Nicolas Béniès.
« Le voyage de Django », Dominique Cravic & Friends, Frémeaux et associés.