Du côté des États-Unis et des années 1920.
F. Scott Fitzgerald (24 septembre 1896 – 21 décembre 1940) s’est voulu l’écrivain de ces « roaring twenties », avec son lot de « Party » et d’alcool frelaté. Mais aussi de jazz. Le jazz qui rythme ces débuts du 20e siècle, de ce jazz qui envahit les grandes villes. Les danses sont toutes issues de cette musique syncopée que ce soit le one-step, le two-step ou le fox-trot qui servira de concept générique pour toute danse « jazzée ». Les comédies musicales tiennent le haut du pavé. Tous les grands compositeurs sont influencés par le jazz.
Les grandes fortunes rapides des gangsters venus des ghettos juifs ou italiens des grandes villes américaines ont changé la physionomie de cette société. L’intégration pour Américains à trait d’union passait soit par le sport, la musique – le jazz – ou le gangstérisme. Une soif de respectabilité habitait ces nouveaux riches. Ils voulaient copier la « bonne » société américaine, ces WASP, pour White, Anglo Saxon, Protestant qui occupaient le devant de la scène.
Cette aspiration fait la trame de Gatsby le magnifique », « The Great Gatsby », et le rêve ou le cauchemar de Scott Fitzgerald lui-même.
Fitzgerald fut, sans conteste, un des maîtres de la nouvelle – « short story » – qu’il rédigeait pour trouver de quoi vivre. Cette déchéance qui fut la sienne entraîna Zelda dans les méandres d’une folie qui la détachera du monde. Elle racontera cette vie dans « Accordez-moi cette valse » (10/18).
Folio reprend, « Contes de l’âge du jazz », des nouvelles présentées par Fitzgerald lui-même extraites du tome 1 des « Romans, récits et nouvelles » paru dans la Pléiade. Cette nouvelle traduction, de Véronique Béghain, permet de faire connaissance avec l’écriture singulière de ce grand observateur de la société du Sud des États-Unis. Né dans une famille modeste, il a la distance nécessaire pour les observer tout en les enviant.
Une nostalgie mélancolique nage dans toutes ces histoires, histoires souvent du sud de ces Etats-Unis jamais tout à fait remis de la défaite de la guerre de sécession.
« Tous les jeunes gens tristes », dans la collection « L’imaginaire » (Gallimard), reprend des nouvelles écrites en 1922-26, au même moment que « Gatsby » (1925) et servira de scénario pour « Tendre est la nuit » (1934). Des histoires tirées de sa propre vie. Pour appréhender le climat de ces nouvelles, il faut entendre – avant, après, pendant et même beaucoup plus tôt ou plus tard – Anita O’Day chanter « The Ballad Of The Sad Young Men » (1961, un album Verve, avec des arrangements de Gary McFarland).
Trois des nouvelles réunies dans ce recueil ont fait l’objet d’un Folio bilingue, présenté par le traducteur Philippe Jaworski, « The Rich Boy and other stories ». Un double intérêt. Se rendre compte de la musique de l’écriture de Fitzgerald et appréhender son œuvre par le biais de la préface du traducteur.
Nicolas Béniès.
« Contes de l’âge du jazz », Folio ; « Tous les jeunes gens tristes », L’imaginaire ; « The Rich Boy and Other Stories », Folio bilingue ; Francis Scott Fitzgerald. « Accordez-moi cette valse », Zelda Fitzgerald, traduit par Jacqueline Rémillet, 10/18 (2001).
Du côté de la Vienne de l’avant-guerre.
Stefan Zweig nous fait le plaisir de revenir de temps à autre dans l’actualité éditoriale. Ce grand écrivain lié par toutes les fibres de son corps et de son esprit à la Vienne de l’entre deux guerres fut le contemporain de toutes les créations à commencer par celles de la psychanalyse. Ses œuvres ont fait l’objet d’une édition dans La Pléiade sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre et dans une traduction de Bernard Lortholary. Folio Classique nous permet d’avoir accès à quelques extraits sous la forme de nouvelles qui sont autant de courts romans. « Amok », histoire d’un médecin colonial qui se morfond dans un village de Malaisie trouve sur son chemin une femme hautaine dont il croit tomber amoureux. Une manière de rompre sa solitude.
« Vingt quatre heures de la vie d’une femme » traite le même sujet, mais avec d’autres yeux et d’autres préoccupations. Une veuve anglaise a le coup de foudre pour un jeune homme perdu par la fièvre du jeu. Un tissu de relations étranges fait de passions dont la moindre n’est pas la pitié dangereuse qui enchaîne les individus les unes aux autres. Comment s’en débarrasser ? Une leçon de psychanalyse qui a, paraît-il, beaucoup impressionné Freud lors de sa parution en 1925.
« Angoisses » – « La peur » a été longtemps la traduction de « Angst » – d’une femme qui trompe son mari par désœuvrement et se retrouve enfermé dans la toile d’araignée des conventions sociales, des préjugés et des pulsions refoulées. Le roman policier naissant a vraisemblablement influencé Zweig pour ce roman paru en 1913. Le frisson – « Thriller » – n’est pas absent. A son tour le dénouement a dû marquer plus d’un futur auteur de « polar ».
Le dernier mais pas le moindre est un chef d’œuvre incontestable, de ces romans qui font partie des trésors de la littérature. « Nouvelles du jeu d’échec » – ou « Le joueur d’échec » – a été achevé à la veille du suicide de l’auteur en 1942. Les passions qui détruisent, l’intelligence au service du néant mais surtout la description moderne du basculement du monde en train de s’opérer dans ces années de guerre. Zweig a la prescience des déstructurations/restructurations en train de s’opérer. Il sait que « son » monde est en train de sombrer, celui de la Vienne intellectuelle et ouverte à toutes les créations, à toutes les rencontres.
Une autre traduction de ce même texte est proposée dans la collection Folio bilingue, « Le joueur d’échec, Schachnovelle » par Olivier Mannoni pour se rendre compte de la richesse de ce roman de Zweig.
Nicolas Béniès.
« Amok », « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme », « Angoisses », « Nouvelle du jeu d’échec », Stefan Zweig, traduit par Bernard Lortholary ; « Le joueur d’échec, Schachnovelle », traduit pat Olivier Mannoni, Folio bilingue.