Un printemps, des printemps ? les jazz en fête et en concurrence…
Il n’est pas sur – l’incertitude, on le sait, domine notre monde agonisant – que le soleil soit de la fête du printemps inscrit dans le calendrier. L’été ou l’hiver, le choix sera fait. Il ne dépend ni de nous, ni, pour cette fois, du gouvernement mais de cette crise climatique qui n’en finit pas de se décliner.
Ce printemps 2013 offre un pont, celui qui va du 8 au 11 mai, mercredi, jeudi sont fériés. Un doublé qui provoque des changements dans l’organisation de l’Europa Jazz Festival qui bloque ses concerts à l’Abbaye de l’Epau – si vous ne connaissez pas, il faut en profiter – pendant ce laps de temps, pour faire de sa 34e édition, une édition qui s’étend du 12 mars au 12 mai. Le Mans, ville de départ de ce festival, marque, en général, l’apothéose de ce festival qui sillonne la plupart des départements des Pays de Loire mais aussi l’Orne pour faire vivre toutes les villes au rythme du jazz. Les organisateurs – Jean-Marie Rivier, le président et Armand Meignan, le directeur – vont jusqu’à perturber la vie des lycées et collèges pour faire entendre les sons du jazz.
Du coup, il entre en concurrence avec Jazz Sous les Pommiers à Coutances (Manche) devenu, en 32 ans d’existence, un grand festival parmi ceux qui comptent. Traditionnellement, il tourne autour du jeudi de l’Ascension pour faire monter encore plus haut les amateurs de cette musique-art-de-vivre qui continue de susciter des passions même si elle n’a pas toujours pignon sur média. Il aura donc lieu du… 4 au 11 mai.
Le mercredi 8 mai, Le Mans proposera Moutin Reunion quartet, avec Louis, batteur et François, bassiste en compagnie – comme d’habitude – de Pierre de Bethmann au piano et de Rick Margitza, saxophoniste américain désormais installé en France, un quartet soudé capable de prouesses. En deuxième partie, Joshua Redman quartet, le saxophoniste est de retour et en tournée en France. (Voir Jazz Magazine d’avril 2013, « Le retour de Joshua Redman », on l’avait, c’est vrai, un peu perdu de vue.)
Il fut et il sera de Jazz Sous les Pommiers. Pour cette édition, il passera, en un jour, du Mans à Coutances, de la Sarthe à la Manche, d’Eglises en Cathédrale. Le jeudi 9 mai, il se produira dans cette salle Marcel Hélie, salle de sport reconvertie qui permet d’accueillir un nombre important de spectateurs, d’ordre de 1500. La dernière fois qu’il était venu, il fêtait ses 30 ans – il est né en mai je crois bien – dans la salle du théâtre, le dernier samedi du festival et ce fut un grand concert. Il nous en reste quelques souvenirs émus. Il sera, s’ils ne se perdent pas en route – ça arrive très souvent, pour des raisons indéterminées, il faudrait raconter ces péripéties qui mettent le cœur des organisateurs dans un état proche de la crise -, avec les mêmes musiciens qu’au Mans, Aaron Goldberg (piano), Reuben Rogers (contrebasse) et Gregory Hutchinson (batteur), des musiciens qu’il connaît bien, de sa génération avec qui il a déjà joué. Il ne faudra pas le rater. Vous avez deux chances…
Ce mercredi 8 mai, ce sera la « fête à Boby » du côté de Coutances, pour débuter la soirée (à 17h !) avec Jean-Marie Machado et André Minvielle qui rendront un hommage vivant, loin des commémorations, à Boby Lapointe, poète étonnant et détonnant, capable de tous les jeux sur ces mots de la langue française qu’il aimait, tout Belge qu’il était. Ils donnent envie de le réécouter pour apprécier le travail de réécriture. Il faut écouter leur album Bee Jazz, « La fête à Boby » (voir ma chronique publiée sur ce même support).
Louis Sclavis viendra avec son « Atlas trio » – Benjamin Moussay, pianiste, Gilles Coronado, guitariste – pour de nouvelles aventures, pour épaissir son mystère créatif.
Une soirée Cap Vert est prévue ensuite pour rendre hommage à Césaria Evora…
Suivie d’une création du pianiste italien devenu français Giovanni Mirabassi, en espérant que ce sera plus enthousiasmant que son « Viva V.E.R.D.I. » (voir ma chronique). Ces concerts auront lieu au Théâtre. Si vous êtes intéressés, il faudra très vite réserver.
A la salle Marcel Hélie, Stéfano di Battista, saxophoniste alto et un peu soprano, invite un autre saxophoniste, Baptiste Herbin pour renouveler une vieille tradition, celle des « Chase » – titre d’une composition de Dexter Gordon et Wardell Gray qui, à la fin des années quarante, se produisaient ensemble -, une sorte de compétition fraternelle (je sais, c’est un oxymore, mais le jazz arrive à faire vivre ces contradictions) arbitrée une rythmique italienne. On ne sait jamais…
Au Mans, à midi, collégiale Saint-Pierre-La-Cour, le jeudi 9 mai, il faudra découvrir le guitariste Pierre Durand – un nom qui ne s’oublie pas ! – qui a déjà beaucoup voyagé aux côté d’Archie Shepp, de l’ONJ, avec son quartet… Il s’offre en solo pour un hommage à la Nouvelle-Orléans… Il faut entendre son premier album, « Chapter One, NOLA improvisations » enregistré à… la Nouvelle Orléans (NOLA pour les intimes) qui donne à entendre cette musique. Un album rugueux pas toujours facile mais qui fait la démonstration d’une grande rigueur au service d’une musique qui veut rendre compte de cette ville étrange après le passage de Katrina, chargée d’une Histoire étonnante, celle des jazz. (Disques de Lily, distribution Absilone/Socadisc).
A 17h, toujours au Mans mais cette fois à la Fonderie, Barre Phillips, contrebassiste qui fut de toutes les expériences – et est en résidence au Mans – bizarres d’un « free jazz » européen et étatsunien, différents dans leur approche et convergents dans leur volonté de rompre le coup au passé pour faire vive ce jazz qui commençait à se mourir. Il sera en compagnie d’un pianiste suisse – la Suisse est sous les feux de l’actualité pour de mauvaises et, quelque fois, de bonnes raisons -, Jacques Demierre. Une musique sans concession mais qui possède la mémoire de notre temps.
Une autre rencontre – en quartet cette fois – commencera la soirée proprement dite, Miguel Zénon saxophoniste, le plus souvent décevant marque qu’il se laisse débordé par sa technique sans pouvoir « se lâcher », il en devient ennuyeux par manque de swing, s’affrontera à un pianiste français, Laurent Coq qui aime dérouter et sais se servir de la tradition pour la bousculer. En deuxième partie, le trompettiste adoré de tous les publics, Ibrahim Maalouf jouant et se jouant de cette trompette à quart de tons que son père – ou son oncle – avait fabriqué pour Don Ellis. Il sait mêler toutes ses références, toutes les musiques. Il faudra qu’il fasse attention à ne pas trop se disperser…
Jazz sous les Pommiers ce jeudi de l’Ascension proposera « Ping Machine », à 15h30, un grand orchestre qui veut mêler acoustique et électronique – c’est un peu la mode, mais ils le font bien. Leurs albums laissent penser que ce sera un grand moment. Comme ce sera au Théâtre (à 15h30) espérons que l »ingénieur du son aura la bonne idée de ne pas pousser les décibels…
A 18h, salle Marcel Hélie, JSP accueille ce qu’il faut bien appeler – même si ça fait cliché – une légende : le vibraphoniste Gary Burton, un de ceux qui ont transformé l’instrument marqué par Lionel Hampton et Mitt Jackson, pour en faire autre chose à force de technique. Il a marqué les années 60 et 70. On se souvient d’un concert où il a jeté la cymbale du batteur pour exprimer sa colère. Il a privilégié, chez ECM, les duos notamment avec Chick Corea. Il est compagnie du batteur Antonio Sanchez – dont le dernier album « New Life », CamJazz distribué par Harmonia Mundi doit beaucoup à John Coltrane et donc à Elvin Jones – et du bassiste Scott Colley, lui aussi un habitué du même label, CamJazz. Parler de Gary Burton, c’est parler de tout le jazz des cinquante années passées. Il a joué avec Stan Getz en 1963, Roy Haynes, Carla Bley… Il faut aller le voir et l’écouter, avec sa manière d’être entre passé du jazz – il a rendu hommage à Benny Goodman – et présent.
Le vendredi 10 mai, Le Mans accueillera une grande pianiste qui a, elle aussi, tout connu de la « nouvelle chose » – elle a notamment joué avec Anthony Braxton -, Marilyn Crispell (elle enregistre pour ECM) en duo avec le batteur/compositeur Gerry Hemingway. Selon toute probabilité un de ces concerts que le souvenir conserve et embellit.
Le soir, ce sera le guitariste – un peu perdu de vue ces derniers temps – David Chevallier, en trio – Sébastien Boisseau, contrebassiste, peintre, promoteur de spectacles mêlant arts plastiques et musique, Christophe Lavergne, batteur – pour une revisite des standards du jazz. En deuxième partie, le trublion de la scène du jazz – qui s’était aussi produit à Coutances -, le trompettiste/crieur Médéric Collignon, un caractère capable de grandes colères mais aussi de grandes envolées. Avec son groupe, « Jus de Bocse », il « joue King Crimson », autant dire qu’il va mêler reggae et jazz, la Jamaïque, la Nouvelle Orléans et Le Mans…
A JSP, ce sera le retour du contrebassiste israélien – la scène du jazz en Israël commence à se remplir de musicien(ne)s qui comptent -, Avishai Cohen, avec un nouveau trio. Une musique dansante quelque fois un peu trop simple pour plaire au public mais une performance remarquable.
Thomas de Pourquery, saxophoniste, musicien en résidence à Coutances proposera une création « Viking » qu’il faudra découvrir. Il a des idées, un enthousiasme communicatif. Un meneur d’hommes – et de femmes.
Et la soirée se terminera avec Seun Kuti, le fils de son père – Fela -, capable de mettre le feu même si la pluie fait son apparition.
Le samedi 11 mai, Le Mans ouvrira nos oreille à un autre trio, saxophone/piano, Marty Ehrlich et Myra Melford. La pianiste est originaire de Chicago. Elle sait ce que Blues veut dire et a fait partie de l’AACM – une association créée notamment par Muhal Richard Abrams pour faire avancer la musique créative, association dont ont fait partie, Braxton, Art Ensemble Of Chicago et don une récente présidente, Nicole Mitchell enregistre sur un label français, Rogue Art. Ces deux là ont déjà enregistré ensemble notamment pour le label suisse HatOlogy et leurs échanges est toujours un grand moment de musique.
Il fallait bien un batteur français – qui était présent à Coutances l’an dernier -, Aldo Romano et son « New Blood », ce sang neuf dont il a besoin pour rejouer sa jeunesse à travers les thèmes – composés par Freddie Redd, un grand pianiste hard bop un peu oublié aujourd’hui – de la pièce The Connection qui raconte l’attente de 5 musiciens de leur « dealer ». L’album Dreyfus Jazz est un peu décevant mais les jeunes musiciens n’ont aucune nostalgie, même si Baptiste Herbin rend hommage à Jackie McLean. (voir ma chronique sur ce même support de l’album en question).
La deuxième partie sera celle de Henri Treadgill, saxophoniste qui a laissé son empreinte dans les mondes du free jazz. Qu’il faut entendre aujourd’hui pour sa façon de se situer dans les mondes d’aujourd’hui.
A Coutances, ce sera le dernier jour, samedi 11 mai. Un feu d’artifice. Qui commencera avec la batteure Anne Paceo, avec notamment Stéphane Kerecki à la contrebasse qui devient un habitué de JSP, à 12h30 – je ne vous ai pas dit qu’il ne faut pas rater le concerts de 12h30, ils permettent de découvrir des talents, même à cette heure pas très catholique quoiqu’en pense le nouveau pape et sa mise en scène de la simplicité. Son album, Laborie Jazz, qui porte le même nom, « Yokaï », permet de se rendre compte de son talent. Elle se situe entre Tony Williams et Elvin Jones sans compter les autres. Elle donne l’impression de tout savoir de la batterie. Ce sera un grand moment. A ne rater sous aucun prétexte.
John Surman, saxophoniste surtout baryton – et britannique -, renoue avec les concerts à la Cathédrale. Cette fois, en solo. Il jouera sur les sons qui se répercutent, ces échos de mondes anciens qu’il sait si bien évoquer pour parler de notre temps. (à 15h, pas le temps de chômer)
A 17h, Ladysmith Black Mambazo, les chœurs de l’Afrique du Sud qui s’étaient déjà produits à Coutances, pour des gospels, salle Marcel Hélie et, au même moment, au théâtre, le pianiste Vijay Iyer et son trio qu’il faut absolument découvrir, un des grands pianistes modernes.
A 21h, le vocaliste dont tout le monde – dans le petit monde du jazz – parle, Gregory Porter qu’il faut aller entendre ;
A 22h30, au théâtre le bassiste électrique chanteur Richard Bona. Ceux et celles qui ont aimé l’an dernier Marcus Miller apprécieront cette performance.
JSP aura commencé le samedi 4 mai avec un orchestre « normand » de jazz, « Bibendum » – en hommage à PSA qui ferme et licencie ? – qui comble un vide. Le bassiste Thibault Renou a mis toute son énergie pour construire cet orchestre, pour lui trouver des engagements.
La scène du jazz en Basse-Normandie manquait de grandes formations, il en fallait un, c’est celui-là. Il déménage, fait la part belle au Anciens, Basie Ellington, met en scène ses solistes – écouter Nicolas Leneveu, Yann Letort aux saxophones, le jeu des trombones, les compostions de Victor Michaud et vous serez vite conquis… (à 14h15 pour l’ouverture)
Éric Harland, grand batteur d’aujourd’hui sera avec son quintet – à découvrir – au théâtre, 16h15 et la soirée verra le duo Élise Caron (voix)/Edward Perraud (batteur) dialoguer pour faire du bizarre un élément de leur monde et nous y entraîner. Qu’on se le dise, Perraud fait partie des grands musiciens.
Faut-il présenter Charles Lloyd qui conclura cette première journée ? Il fait partie des saxophonistes mythiques. Une sonorité qui doit beaucoup, à Coltrane, une présence et un batteur Eric Harland entendu un peu plus tôt en compagnie d’un percussionniste indien… De quoi susciter l’intérêt. (Tous ses albums récents ont été publiés chez ECM).
Le dimanche est réservé aux fanfares et à une création de Thomas de Pourquery, « Crooners » pour faire chanter les festivaliers.. Et le lundi au « concert lycéen » tandis que le mardi, le festival commencera à retrouver son rythme – difficilement, c’est une journée un peu de transition – avec la soirée « Blues » à la salle Marcel Hélie, au théâtre ce sera le groupe de Sylvain Beuf et son « Electric excentric quartet »… suivi de Ravi Coltrane, le fils e John élevé par Elvin se cherche encore…
Les concerts du soir permettent, là aussi, de découvrir des nouveaux groupes, d’assister à des jam sessions aux Unelles et de participer aux spectacles de rue sans oublier la « scène aux amateurs » qui offrent gratuitement la possibilité d’écouter des formations locales dont quelques-unes pourraient mériter une autre scène. Cette scène permet aussi de se rendre compte du travail des écoles de musiques de la région.
Enfin, le vendredi 9 mai, à 15h30, salle des Unelles, je donnerai une conférence sur le thème « Quand une chanson française devient standard du jazz », cette année ce sera au tour de « Que reste-t-il de nos amours » devenue « I wish you love », une trahison au niveau des paroles qui change la manière de jouer ce standard… Une expérience à suivre…
Pour montrer que le festivalier à des choix à faire. Qui ne sont pas faciles…
Nicolas Béniès.
Europa jazz, rens. 02 43 23 78 99, www.europajazz.fr
Jazz Sous les Pommiers, www.jazzsouslespommiers.com