>Retrouver la mémoire
la date d’anniversaire de la Libération est fêtée et agite souvent le passé pour le décomposer et le recomposer à la mode du présent. La forme des commémorations indique cette réécriture continuelle de l’Histoire qui permet l’oubli d’une partie de la réalité d’alors.
Notre mémoire collective est à trous. Il est souvent nécessaire de combler les failles. Les historien.ne.s sont essentiel.le.s mais pas seulement. La BD particulièrement est un outil qui permet de diffuser les émotions du moment et faire partager le quotidien de ceux et celles impliquées dans l’Histoire. Les dessins font œuvre de mémoire et nous avons souvent besoin de la retrouver. Elle facilite ce travail.
Revenir sur une partie oubliée de l’Histoire, celle que les manuels appellent la « Drôle de guerre », est d’autant plus intéressant qu’elle est la grande absente de tous les discours commémoratifs. La mobilisation générale s’est traduite par l’attente de l’autre côté de la ligne Maginot réputée imprenable. L’attente désorganise et la confusion règne jusqu’à l’attaque surprise des troupes allemandes passées par la Belgique en prenant les troupes françaises à revers.
Benjamin Schlevin avait aussi raconté, du côté des « Juifs de Belleville », cet affrontement aux allures disproportionnées, les seuls tentant de résister, ces troupes de Juifs pourchassés par les autorités françaises. La force des symboles et de la devise « Liberté, Egalité, Fraternité ».
Des tanks, des avions d’un côté, de l’autre un armement qui date de la guerre de 14 et un moral dans les chaussettes. La défaite semblait être inscrite dans l’attente, dans l’incapacité des chefs militaires et les responsables politiques de concevoir l’offensive face à Hitler. La gangrène du fascisme alimentée par la peur du bolchevisme représente sans doute une part de l’explication de cette absence de combativité.
Juin 1940, donc, il faisait chaud. Exil sur les routes des populations civiles, un État-major inexistant, une armée désorganisée, sous équipée, qui n’a pas le moral. P. Rabaté, tout en dessins, dans ce qu’il appelle « La déconfiture »,montre le désarroi des mobilisés qui ne peuvent que constater le nombre de morts sans avoir tiré un seul coup de fusil, devenant, en long cortèges, des prisonniers, désabusés.
Rabaté nous fait vivre la trajectoire d’un mobilisé, sa fuite, ses rencontres démonstratives de la composition de l’armée française, diverses catégories sociales, des ouvriers, des employés principalement – on peut se demander où sont les autres, le haut du panier – et, surtout, un tirailleur sénégalais.
Le racisme, l’antisémitisme sont très largement partagés. La solidarité est présente souvent entre « Blancs ». Les lâchetés s’expliquent par la le souci personnel de se sauver au prix vraisemblable de cauchemars futurs.
Rabaté ne juge pas, il dessine. Les dialogues sont réduits tout en disant l’essentiel des relations entre les êtres humains dénudés de leur humanité dans cet environnement mortifère.
Un livre qui permet d’appréhender notre histoire tout en posant des questions redoutables sur la capacité de résister face à l’adversité.
Nicolas Béniès
« La déconfiture », Pascal Rabaté, Futuropolis
