Le blues dans tous ses états…
Quelle place occupe le blues – il faudrait utiliser le pluriel – dans l’histoire de la communauté africaine-américaine ? Quelles fonctions a-t-il joué ? Robert Springer, poursuivant ses analyses sociologiques commencées avec Le blues authentique (1985, Filipacchi) se penche sur Les fonctions sociales du blues, aux éditions Parenthèses dans la collection Eupalinos. Il part des fonctions les plus évidentes, les plus visibles pour arriver aux fonctions essentielles et cachées. Pour conclure sur la fonction unificatrice de la communauté que le bluesman suscite simplement en racontant ses histoires qui donne l’impression d’être individuelles. Par l’intermédiaire des relations hommes/femmes, il diffuse l’image des relations Blancs/Noirs. Sans sous estimer le «machisme » des mondes du blues, une réalité par trop présente. Comme le disait Zora Neale Hurston dont l’autobiographie, Des pas dans la poussière (Éditions de l’Aube) vient de paraître en français, la femme noire est la «mule » de l’homme noir…
Ce monde du blues tend à s’estomper aujourd’hui de par le processus d’intégration apparemment réalisé. Le blues, folklore des populations africaines-américaines, ne correspond plus à des habitants des Inner City victimes du chômage, de la drogue et connaissant une distanciation par rapport à leurs racines africaines. Le bluesman avait beaucoup de points communs avec le griot africain, et Springer n’est ni le seul ni le premier à insister sur cet aspect, et le «double entendre » – comme disent les Américains – comme l’ironie sont des composantes fondamentales de ces poésies, qui lui donnent leur force tout en dissimulant leur message. C’est aussi une musique pour le divertissement.1
Tous ces éléments se retrouvent dans le «roman » – le «récit », le blues tout simplement – de Walter Mosley, « La musique du diable » (réédité dans la collection Points, au Seuil). Le titre américain RL Dream fait référence au nom véritable de Robert Johnson, le premier unificateur des blues qui, en 1936 et 37 a enregistré des blues qui sont devenus des « classiques ». Tout le monde a joué « Dust my Broom » ou « Sweet Home Chicago »2… La traduction française est intelligente. Devil’s music est l’appellation des ligues bien pensantes pour cette musique sexuée, libre et poussant au rire collectif contre l’oppression. Une histoire de rencontres, comme souvent dans les blues entre un homme et une femme. Mais l’homme est vieux, il a terminé sa vie et il veut témoigner d’une époque et d’une culture, celle du blues. Le femme est jeune et blanche et a été opprimée. Ils viennent du Sud et vivent à New York. Soupspoon – référence à la cuillère du diable vraisemblablement – fait l’amour avec une jeune femme démontrant la force renouvelée du blues et ses diableries. Mosley rejoint ici le témoignage de JJ Phillips qui dans Mojo Hand 3– intraduisible, ce titre fait référence au vaudou dont le blues se rapproche – fait part de son expérience, de sa rencontre à sa sortie de prison avec le bluesman Lightnin’ Hopkins, un des grands magiciens/poète de cette musique-art-de-vivre. Il synthétise toute une époque qui, au fur et à mesure que l’action ne progresse pas, semble dépassée.
C’est sans doute la raison pour laquelle ses «polars » se situent dans le passé, et à Watts le ghetto noir de Los Angeles. Dans Un petit chien jaune4, Easy Rawlins – son «détective privé » qui ne l’est officiellement pas, encore un coup du blues – mène une enquête peu claire aux débuts des années 60 se terminant par l’annonce de l’assassinat de Kennedy. Une autre façon de faire de l’Histoire à travers ces histoires. On y prend plaisir, de par l’écriture et les sous-entendus musicaux et tout simplement par l’histoire racontée.
Ces livres montrent que le blues à un passé et un présent mais pas forcément d’avenir. Ils permettent de comprendre l’impression de répétition que donne cette musique…
Nicolas BENIES.