Personne ne savait à quel point la musique de François Tusques nous manquait. Ce double CD dû pour l’essentiel au travail à la fois de restauration – un concert resté inédit au Déjazet en 1984 – et de recréation – en quartet qui s’étend au quintet pour certaines performances – de Fabien Robbe, pianiste et arrangeur qui a bénéficié de l’aide indispensable du bassiste – de François Tusques – Tanguy Le Doré. La moitié du quartet était ainsi constitué. Le batteur, Jérôme Gloaguen, est le compagnon traditionnel des groupes du pianiste, il restait à trouver un souffleur. Ce fut Eric Leroux qui, aux saxophones, s’est volontiers intégré dans le souffle des compositions du pianiste. Un vent frais qui provient de toutes ces mémoires qu’il ne faut surtout pas oublier. Celle des airs des provinces – peu importe qu’elles soient françaises ou non – pour réapprendre à danser, à écouter, à mélanger les sources de toute musique populaire.
Paradoxe ? Français Tusques a fait partie des créateurs du free-jazz en France allié à un engagement politique dont il ne faisait pas mystère. C’était le temps de mai 68 et de ses secousses sismiques. Le free jazz, il faut le rappeler, dans sa volonté d’émancipation, de libération permettait à chaque musicien-ne de revenir à ses propres racines. Imaginaires et réelles mêlées.
Le quartet rappelle toutes les périodes du passé de Tusques, mélangées comme il se doit pour dégager l’originalité des arrangements. Il se raconte que les bandes retrouvées du « Intercommunal Free Dance Music Orchestra », nom de l’orchestre réuni par Tusques dans les années 1980, étaient, pour les 10 compositions jouées par le quartet/quintet, inutilisables. Possible. Une bonne excuse pour permettre de donner une nouvelle vie, présente, à des thèmes qui le méritent amplement. Commencer par « Je peux jouer ça » et terminer par « Mon cœur est comme un bol de lait qui frisonne » est réellement tout un programme qu’il faut découvrir de toute urgence.
Le concert de 1984 mêle, entremêle, démêle toutes les révoltes du monde. Un mélange de musiques bretonnes, catalanes, Monk bien sur, arabes mâtinées de flamenco et, superbe, celles de l’Afrique du Sud et pas seulement les groupes de Abdullah Ibrahim – Dollar Brand – ou Chris McGregor et son « Brotherhood of Breath » mais tout autant Myriam Makeba et beaucoup d’autres. Un concert d’une force étonnante qu’il faut entendre fort avec – si possible – ses voisins, ses amis pour se perdre tout en gardant son sang froid. « Gardez son sang froid » est le titre de ce double album en des « temps qui sont graves » pour citer François Tusques en 1984, et ces temps nous obligent à retrouver le sens de la danse, de la transe !
Nicolas Béniès
« Gardez votre sang froid », Robbe/Gloaguen quartet, suivi de « Live au théâtre Déjazet 1984 », Mazeto Square.