Retour de l’État-nation ?

Bonjour,

C’était avant la pandémie, avant que le monde change, avant les bouleversements de notre vie quotidienne, avant le retrait sur soi et s’extraire des échanges entre nous par le port du masque. Les visages parlent et, par le masque, ils deviennent muets.
C’était donc avant… que Attac14 décide d’une formation sur les concepts essentiels de l’économie. Était proposé un cycle de 5 thèmes à commencer par le contenu du néo libéralisme et de la place de l’État dans ce contexte idéologique.
Pour en tirer la conséquence la plus importante, qui devait débuter la deuxième partie du cycle, l’État avait construit toute sa politique dans la construction de « champions nationaux », de firmes multinationales « françaises » qui s’émancipaient de son contrôle. il en avait résulté une perte de souveraineté et un transfert du pouvoir réel vers les firmes multinationales. Cette analyse pouvait sembler abstraite. Elle devient évidente avec la pandémie.
L’article ci-après ne remplit pas totalement le thème de la deuxième partie du cycle proposé (pour rappel « Les formes de l’État) mais éclaire l’analyse théorique. La pandémie rend visible l’invisible sur tous les terrains. les derniers de cordée deviennent les premiers pour la bonne marche de la société, les services publics prennent un nouvelle légitimité, les inégalités éclatent au grand jour…
Assisterait-on à la mort de l’idéologie néolibérale ? Au retour de l’Etat/Nation, un retour spécifique ? La Nation, le concept, refait surface. Les interrogations sont multiples et grosses à la fois de possibilités de construction d’un monde différent ou de régressions. Entre les deux, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

Interrogations sur l’État dans la pandémie.
Retour de l’État-Nation ?

Lors de la première séance du cycle de formation « Comprendre le néolibéralisme » du 5 février dernier, nous avons abordé « Les fondements du néolibéralisme ». Nous devions ensuite nous arrêter aux formes de l’État. La pandémie nous oblige à mettre en lumière toutes les révélations – au sens photographique – que permet le virus et les réponses gouvernementales pas seulement sur le terrain de la crise sanitaire mais aussi sur ceux de la crise économique et financière.

Échec de la forme actuelle de la mondialisation
La privatisation de toutes les activités marque toutes les politiques économiques des gouvernements depuis les années 1980. L’idée clé : le privé est plus efficace et efficient – ce dernier terme fait référence aux coûts – que le public. La déstructuration des services publics – le non-marchand – en résulte comme l’attaque répétée contre la sécurité sociale. Les mobilisations sociales ont bloqué, en partie, toutes ces tentatives. Services publics et sécurité sociale, les dépenses sociales restent très importantes mesurées par rapport au PIB. Elles sont plus élevées que dans la plupart des pays avancés, sans parler des autres pays.

La pandémie révèle la nécessité de rompre avec les privatisations et d’une politique économique qui se résout dans la baisse des dépenses publiques sous prétexte de répondre aux critères des traités européens. Un coup de virus et il apparaît nettement, pour tout le monde, que les services publics sont vitaux pour satisfaire les besoins de bien-être des populations. Qu’il faut investir massivement dans la santé, l’éducation nationale, la culture… Dans la sécurité sociale, ensemble de garanties collectives. Ces dépenses publiques sont essentielles autant pour le bien-être des populations que pour combattre les effets de la récession profonde.

Le virus révèle aussi la forme de la mondialisation comme des politiques gouvernementales qui ont participé à la forger. Le pouvoir réel est passé des États aux firmes multinationales. Les économies nationales en sont sorties transformées. Le critère quasi unique a reposé sur la baisse du coût du travail pour orienter la chaîne de valeurs internationale. Les « filiales d’atelier » ont fleuri dans les pays où le coût du travail était le plus faible, se traduisant par la perte des secteurs stratégiques – comme la pharmacie – dans toutes les économies nationales. Ainsi la Chine est devenue l’atelier du monde, lui donnant une place clé dans le processus mondial de production.

Toutes les économies développées ont connu un processus de désindustrialisation accéléré par la stratégie des multinationales et la financiarisation de l’économie. Les marchés financiers sont les seuls à être totalement internationalisés. Une exception : l’Allemagne a connu une industrialisation liée à l’unification dès après la chute du Mur de Berlin, dans les années 1990. C’est la cause fondamentale de sa capacité de réaction face à la pandémie. Elle a, sur son sol, les industries nécessaires pour faire face à l’épidémie, dans un premier temps du moins.

Le retour des services publics et du non-marchand
Les politiques des gouvernements ont appuyé la stratégie des multinationales en voulant créer des géants mondiaux « nationaux ». Politiques qui ont bousculé la fonction fondamentale de l’État : exprimer la stratégie de la classe des capitalistes y compris en s’opposant aux intérêts à court terme de chacun d’entre euxs. L’absence de vision d’avenir des États en est la conséquence la plus importante aggravant l’incertitude.
L’épidémie fait la démonstration que la dépendance des économies nationales aux pays d’ateliers provoque des difficultés dans la mise en œuvre de mesures nécessaires pour limiter la propagation du virus. C’est meurtrier.

La prise de conscience est générale pour lutter pour le développement des services publics et peut-être pour en créer d’autres.

Cette mondialisation a eu aussi pour conséquence de diminuer la place de l’État en même temps que le non-marchand. Avant même l’épidémie, l’utilisation du terme de démondialisation indiquait que les interrogations étaient nombreuses. Le retour de l’État s’effectuait sous le double indicatif de la Nation – un concept qu’il faut interroger – et d’une forme « illibérale »de l’État , pour citer Vicktor Orban (premier ministre de Hongrie), par la remise en cause des libertés démocratiques et un pouvoir dictatorial. Cette tendance, qui existait avant la pandémie, reste présente. Les lois d’urgence – sanitaires en ce moment – ont tendance à être prolongées et à être inscrites dans les lois ordinaires. La manière de gérer l’épidémie à coups d’ordonnances s’inscrit dans le quotidien. Les gouvernements pensent que les citoyen-ne-s ne sont pas suffisamment intelligent-e-s pour comprendre les enjeux. L’origine du mépris macronien.

Retour de l ‘État sous quelle forme ?
Dans tous les pays du monde, avec plus ou moins de lenteur, s’effectue le retour de l’État contre la prédominance du marché, de la marchandise pour s’orienter vers le non marchand, pour échapper à la logique du profit. En France, le gouvernement est intervenu comme jamais sans craindre d’augmenter les déficits publics ou la dette. Le virus fait éclater les dogmes et fait voler en éclats les traités européens. La BCE, à son tour, crée de la monnaie pour permettre aux banques de ne pas sombrer. A l’instar de la FED (la banque centrale américaine), la BCE, vient au secours des marchés financiers pour éviter l’écroulement des cours et retarder l’entrée dans la crise financière : la politique dite de Quantitative Easing se poursuit sur une échelle plus importante encore que par le passé récent (depuis 2015). Elle consiste, là encore, à créer de la monnaie pour racheter la dette des États – et de grandes entreprises – , c’est-à-dire la dette passée sur le marché secondaire. Cette politique monétaire, critiquée par la cour constitutionnelle allemande, stabilise les cours sur le marché obligataire et permet aux grands pays de la zone euro d’emprunter (en avril 2020) à des taux d’intérêt négatifs.

La « start-up France » chère à Macron montre sa nocivité. Un problème théorique fondamental apparaît  : l’État n’est pas un agent économique et ne peut pas fonctionner comme une entreprise. Les critères du profit ne peuvent s’appliquer à ses domaines de compétence. Dans le capitalisme, il est porteur du non-marchand. Le fonctionnement des services publics doit sortir de la baisse du coût du travail et de la rentabilité. Il ne peut reposer que sur l’efficacité sociale au service du bien-être des populations.

Le capitalisme a connu bien des existences de même que l’État. La forme des « 30 Glorieuses », d’État-providence – Welfare State est plus juste, « État du bien-être » – a été spécifique. Elle était à la fois nationale et sociale. Elle appartient au passé.

« Le monde d’après » se prépare aujourd’hui. Une nouvelle forme de l’État est en train de naître en faisant mourir le capitalisme débridé et mondialisé comme financiarisé qui a provoqué une baisse générale du taux d’accumulation et a généré une caste de « rentiers financiarisés » improductive sur le terrain économique.

L’État doit conduire la restructuration de l’économie. Les relocalisations y sont incluses : les secteurs stratégiques – dont il reste à définir le périmètre au-delà des évidences comme la pharmacie – et d’autres pour permettre la réindustrialisation, une nouvelle industrialisation qui prendra en compte les impératifs de la lutte contre les mutations climatiques et la crise écologique. Pour ce faire, il n’est pas exclu de nationaliser certains secteurs comme lors de la fin de la deuxième guerre mondiale pour construire les fondements d’une nouvelle société qui devrait être plus sociale.

Le retour de l’État prendra quelle forme nouvelle ? L’Histoire n’est jamais écrite, les possibilités sont multiples. Les tendances actuelles orientent cette construction vers la Nation et la répression. Mais ces tendances appellent des contre-tendances liées à l’intervention citoyenne. Rien n’est écrit d’avance.
Nicolas Béniès