La crise sanitaire et les autres

La pandémie révèle l’état du monde

Qui aurait pu prévoir qu’un virus allait dévoiler l’état du monde et les crises sous-jacentes ? Il révèle d’abord la forme de la mondialisation. Elle reposait sur les stratégies des firmes multinationales, siège du pouvoir, au détriment des États. Le seul critère de cette internationalisation, la baisse du coût du travail en maximisant le profit. La chaîne de valeur s’en trouvait déstructurée sans vision de moyen terme. L’impératif de la rentabilité à court terme a été renforcé par la financiarisation de l’économie.

Le virus met en évidence l’échec de la construction. Les filiales d’atelier installées notamment en Chine déterminent une dépendance et une interdépendance qui diffusent rapidement la crise économique. Les effets « boule de neige » sont visibles. La fermeture des usines en Chine, au début de l’épidémie, a eu des répercussions immédiates sur tous les autres pays d’Asie.
L’accélération de la désindustrialisation de la plupart des économies nationales a été le prix à payer. Le virus révèle la place centrale des secteurs stratégiques, comme celui de la pharmacie, pour répondre aux besoins des populations et à l’incertitude. Les relocalisations apparaissent comme vitales. La révolution technologique de l’intelligence artificielle pourrait se traduire par une baisse des coûts suffisante pour rendre compétitives ce retour industriel. La Chine pourrait en subir les conséquences néfastes pour son économie si elle n’est pas capable d’accélérer la transformation de son modèle de développement. L’Allemagne, qui sert de référence dans la gestion de la crise sanitaire, est une exception. L’un des seuls pays à ne pas avoir connu le processus de désindustrialisation. L’unification, après la chute du Mur de Berlin, des deux Allemagne a permis le développement de ses industries et une place prépondérante sur le marché mondial comme la conservation de ses secteurs stratégiques. La gît l’explication fondamentale de sa réponse rapide à l’épidémie. Tous les autres pays de l’Union Européenne sont dépendants des pays d’Asie et de la Chine en particulier.
La mondialisation a construit des sociétés profondément inégalitaires que le virus révèle tout en les creusant. Ce n’est plus seulement une question statistique et un peu abstraite – en gros de 1 à 150 pour l’échelle des revenus – mais aussi concrète. La révolution technologique elle-même est, pour le moment, un facteur d’accroissement de ces inégalités. Les pauvres sont les premières victimes du virus., qui rend visible des poches de misère jusque là laissées dans l’ombre. Les personnes âgées, un problème démographique sous estimé, ont été les laissées pour compte de l’épidémie.

La crise économique
La pandémie, là encore, révèle et accentue la crise économique. Tous les secteurs sont touchés et une grande partie va mourir. Les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – tirent leur épingle du jeu, pour le moment. Elles subiront la concurrence des nouvelles entreprises de cette branche en extension, qui ont pris place sur des « niches » ou des segments spécifiques de ces marchés. La croissance rapide du télétravail et la nécessité de créer de nouvelles manières de communiquer sont des facteurs essentiels à la création d’opportunités. Les « vieilles » entreprises pourraient avoir du mal à résister à cette concurrence. On le voit avec « Zoom » qui s’est bien installé sur le marché de la visioconférence.

Les faillites seront nombreuses. Le secteur pétrolier subit le contrecoup de la baisse du cours du baril de pétrole et enregistre des pertes. En dépit du contexte, Total verse des dividendes tout en planifiant des licenciements. Plus globalement, les cours de l’ensemble des matières premières sont orientés à la baisse, aggravant la crise – qui est aussi celle de la dette – des pays dits du tiers-monde. La crise sanitaire dans ces pays se double de la menace de la famine et de la disette alors que la surproduction agricole mondiale est une réalité. Il est attendu une intervention des gouvernements pour résoudre ce paradoxe.
La bombe à retardement de la dette des entreprises explosera aggravant les faillites et menaçant les banques. Les grandes entreprises ont bénéficié des faibles taux d’intérêt ou négatifs pour s’endetter massivement pour spéculer sur les marchés financiers, sans augmenter l’investissement productif. Les banques, parties prenantes, sont menacées elles aussi. Le remboursement de la dette sera difficile pour des entreprises touchées de plein fouet par l’effondrement de leur marché. La Société Générale a annoncé début mai des pertes et les autres banques suivront. La bulle immobilière éclatera sous les coups de la hausse des taux d’intérêt. Les faillites se répercuteront sur les banques.
Pour l’Union Européenne qui cherche les moyens de lutter contre la dépression, les contraintes financières des traités ont volé en éclat. Le déficit ne fait plus peur, l’augmentation de la dette publique non plus. La BCE intervient massivement en créant de la monnaie, à l’instar de ses homologues de tous les pays. Elle outrepasse allégrement ses frontières. Mario Draghi avait commencé en 2015 après la chute des banques chinoises pour éviter la propagation de la crise financière et de la déflation. Sa politique monétaire a retardé l’éclatement de la crise financière.
La décision de la Cour constitutionnelle allemande de demander des comptes à la BCE sur sa politique de Quantitative Easing, de création monétaire depuis cette date, pose la question, pour Christine Lagarde, de pouvoir quasiment annuler la dette en la rendant éternelle. Elle vise, sous prétexte de faire appliquer des traités inapplicable dans le contexte de la crise sanitaire et de la dépression, à interdire à la BCE de « monétiser » la dette publique, autrement dit de créer de la monnaie pour faire face aux besoins de financements des États. La construction européenne connaît sa deuxième grande crise depuis celle de l’euro. Elle joue sa survie.
La Commission Européenne l’a bien compris en multipliant les déclarations et propositions comme celles de la création d’ »eurobonds » – des obligations européennes -, une grande premières ou des interventions concertées pour lutter contre la crise économique.
Chaque État de l’UE a décidé une intervention massive de l’ordre de plus de 100 milliards d’euros pour la France, du jamais vu depuis les années 1980, financée par l’appel aux marchés financiers. Pour l’instant, mai 2020, les taux d’intérêt restent négatifs. Ce montant sera vraisemblablement dépassé en fonction de la profondeur de la récession. Tous les secteurs sont touchés, à commencer par l’aéronautique, même si tous ne mourront pas L’intervention de l’État vient au secours du privé pour socialiser les pertes. La restructuration des économies sera globale et devrait durer quelques années. L’intervention de l’État sera centrale pour organiser la transformation du capitalisme.
A son tour la commission européenne a proposé de dégager 400 à 1000 milliards d’euros pour financer la reprise. Cette intervention aurait pour objectif d’éviter la répétition de la crise grecque de 2010-2011 qui avait failli emporter l’euro et la construction européenne en même temps. Depuis, cette construction souffre d’un manque criant de légitimité faute de politique commune. Pourrait-elle la trouver dans cette crise ?
La commission européenne prévoit une destruction de richesses, mesurée par le PIB, de l’ordre de 7,4 % pour cette année (2020). Il faudrait deux ans, estime-t-elle, pour revenir au niveau d’avant crise sanitaire. Un objectif étrange. La récession était déjà présente, avant le virus, dans les grands pays de l’Union Européenne à commencer par l’Allemagne. Toutes les économies connaissent la même chute de leur création de richesses. La dépression est immédiatement mondiale. Revenir à la situation ex ante ne permettra pas de restructurer les sociétés. Il faut penser, imaginer des objectifs sur le très log terme.

La crise financière
Elle se déploie moins vite que la crise économique. Après une chute vertigineuse dans les premiers temps de la crise sanitaire, les Bourses, Wall Street d’abord, ont connu une augmentation au mois d’avril. Ainsi le CAC40, l’indice de la Bourse de Paris, est tombé de 6400 points à moins de 4000, pour remonter ensuite dans les 4500. Les opérateurs sur les marchés financiers font preuve d’optimisme en tablant sur les interventions des banques centrales pour échapper aux conséquences de la dépression. Tous les scenarii du passé montrent l’irréalisme d’une telle position. Pour l’heur, la résistance s’explique par l’intervention des petits porteurs qui pensent faire de bonnes affaire en rachetant les titres à bas prix faisant temporairement remonter les cours. Les banques centrales interviennent massivement sur le marché secondaire pour stabiliser les cours. Cette situation ne durera pas. Le monde connaîtra la synchronisation de toutes les crises.
Devant la profondeur de ces crises destructrices de ce type de capitalisme né dans années 1980, la crise sociale menace mais aussi la montée de tous les intégrismes. Les gouvernements seront-ils capables de proposer une restructuration globale du capitalisme qui prendrait un visage plus social ? Le gouvernement français sans doute prévenu par la mobilisation des gilets jaunes a indemnisé les salarié-e-s confiné-e-s à hauteur de 84 % pour le mois d’avril. Du jamais vu. Dans le même temps, il est toujours prévu de diminuer ou d’exonérer les patrons des cotisations sociales. De laisser les patrons licencier…
Si les États décident de reconstruire le système à l’identique, la régression sociale, économique, culturelle sera profonde.
Il faudrait prendre le chemin de la planification, des nationalisations pour conduire une nouvelle industrialisation. Ces crises pourraient aussi se traduire par la montée d’un repli sur soi, par la montée des populismes. Nous sommes à la croisée des chemins. Tout est possible !
Nicolas Béniès