A propos de virus…

Derrière le virus…

Le coronavirus est un révélateur – au sens photographique – implacable.
D’abord du néolibéralisme dans ses caractéristiques fondamentales : privatisation comme modalité de fonctionnement de la société avec comme conséquences la déstructuration des services publics et un développement anarchique faisant éclater les secteurs stratégiques tout autant que les fonctions régaliennes à l’exception des forces de répression. C’est le double aspect du néolibéralisme : la volonté de détruire la forme sociale de l’État – i.e. « le welfare state », État-providence – et s’orienter vers la forme répressive de l’État, une tendance qui trouve des résistances sociales importantes.
Ce constat est manifeste. La crise sanitaire est une crise du service public de santé. Tous les gens qui applaudissent à 20 heures devraient d’abord tirer ce constat des effets du néolibéralisme et se battre pour l’augmentation des crédits, revendications portées par les personnels de santé depuis plus d’un an par des grèves à répétition.

Révélations
Le virus ne dévoile pas seulement cette évidence. Plus profondément, il rend lisible la forme de la mondialisation actuelle. Les entreprises transnationales, dans cette atmosphère de déréglementation – qui se poursuit dans l’urgence sanitaire – ont conçu une stratégie courtermiste minimum. Investir au niveau mondial avec comme seul critère le coût de production – particulièrement le coût du travail – le plus faible, le plus bas. La chaîne de valeurs mondiale repose sur la seule compétitivité-prix. Le gouvernement chinois a beaucoup joué sur cette corde au moins jusqu’à la crise systémique de 2007-2008. Le résultat est visible. La chaîne de valeurs est incohérente et remet en cause les fondements de la souveraineté des Etats qui dépendent d’autres États. Dans un contexte d’inégalités croissantes.
Le virus, c’est encore moins analysé, révèle aussi toutes les crises latentes depuis l’entrée dans la crise systémique de 2007-2008. Après avoir dit vouloir lutter contre le capitalisme financier, Sarkozy parlait même de « moraliser la finance », les gouvernants ont poursuivi « comme avant » se confinant dans l’idéologie libérale sans analyse de la crise systémique elle-même. Ces gouvernements ont démissionné laissant les banques centrales gérer les répliques de la crise. Relancer était un gros mot. La politique budgétaire est restée dans l’orbite de la baisse des déficits et de celle de la dette publique laissant agir les forces de destruction de ce capitalisme désormais mort-vivant.
Seule restait la politique monétaire pour enrayer momentanément le processus des crises. Ainsi la BCE – comme ses homologues y compris l’institut d’émission chinois – ont mis en pratique le Quantitative Easing (E/Q), création monétaire jamais vu pour racheter sur le marché secondaire la dette publique et une partie de la dette privée des grandes entreprises. Cette création monétaire a permis aussi la baisse jamais vue non plus des taux d’intérêt allant jusqu’à des taux d’intérêt négatifs. Le résultat : une croissance énorme des dettes privées qui auront un effet boomerang si les taux d’intérêt renoue – ce qui est vraisemblable – avec la hausse.

La crise financière
La crise financière est désormais une réalité tangible. Le CAC40 est passé de plus de 6000 points à 4000 suivant la descente du Dow Jones à la Bourse de New York. Les crises de la dette des pays latino américains comme la dépression économique étaient des réalités avant même le virus. L’Inde était dans la même situation et la Chine connaissait une baisse remarquable de sont taux de croissance et les bourses chinoises étaient orientées à la baisse.
Crise économique et crise financière s’inscrivaient déjà dans le contexte. Le virus a précipité – dans tous les sens du terme – les explosions et implosions en cours.
La chute brutale des cours du pétrole, résultat non pas du virus mais de la géopolitique, l’affrontement entre l’Arabie Saoudite et la Russie, est venue accentuer la chute des Bourses qui devrait se poursuivre et s’approfondir. Par l’intermédiaire des ETF, « exchange traded funds », en français « fonds coté en Bourse ». Ces produits financiers ont connu une très forte progression après l’entrée dans la crise systémique. Ils reposent sur une spéculation non pas sur le physique – par exemple le pétrole ou les actions – mais sur les indices. Il est possible de spéculer sur un panier d’indices, de matières premières par exemple. Si la spéculation est à la hausse, le panier d’indices monte, les indices aussi et les matières premières sur lesquelles reposent ces indices. Même processus pour la baisse. Lorsque le cours du pétrole chute, l’indice chute et les ETF qui incluent l’indice chutent aussi. Les ETF deviennent ainsi un diffuseur de baisse. Il est aussi des ETF sur le CAC 40 et le mécanisme est le même lorsque l’indice de la Bourse de Paris baisse.
La résistance relative des Bourses actuellement – mi-avril – ne s’explique que par la politique monétaire des banques centrales renouant avec le Q/E et des taux d’intérêt très faible sinon négatifs. Ce soutien n’aura qu’un temps.
Le monde est à la veille d’une récession économique profonde. Une dépression qui suppose autre chose qu’un timide plan de relance. Celui décidé par l’UE est un placebo auquel personne ne peut croire. 500 milliards d’euros, c’est peu et surtout cette somme ne permet pas de répondre à la profondeur des crises qui suppose d’orienter l’investissement dans les secteurs stratégiques, prioritaires tout en luttant contre les mutations climatiques et la crise écologique. Il y faut d’énormes investissements et une planification pour construire une autre société.

La deuxième grande crise de l’Union Européenne
Il faut préciser que ces 500 milliards sont en trompe l’œil. Ils se répartissent en 240 milliards pour le MES, mécanisme européen de stabilité, une société privée dont le siège est au Luxembourg composée de tous les États de la zone euro. Le MES date de la crise de l’euro et du « soutien » apporté à la Grèce face aux vautours de la finance. La première grande crise de la construction européenne. La deuxième est en train de commencer. Ces 240 milliards permettront aux États de se prêter – avec un taux d’intérêt – mutuellement des capitaux. Ce sera un jeu étrange dans lequel on ne saura plus qui gagne les billes et qui les remet en circulation. La Grèce a montré que ce n’était pas une solution.
200 milliards pour l’aide aux entreprises. Il reste à définir les contreparties et suppose de discuter de l’avenir de la construction européenne et de son actualité.
Enfin 100 milliards pour soutenir le chômage partiel, soit une nouvelle aide aux entreprises.
Où est la stratégie ? Quel avenir ? Comment construire et non pas reconstruire à l’identique. Les gouvernants de l’UE semble,t incapables de se sortir de l’idéologie néo-libérale. Vicktor Orban pousse cette logique folle vers la dictature pour imposer la poursuite de ce capitalisme dépassé et nous raconte un avenir possible pour tous les autres gouvernants tentés par la régression non seulement sociale – pendant les crises les remises en cause du droit du travail se poursuivent – mais aussi économiques. Aucune entreprise ne pourra s’en sortir sans l’aide de l’Etat. Il est temps de construire un environnement différent.
Ce modèle, ce régime d’accumulation est fini. La finance a obéré le taux d’accumulation, provoqué l’accélération de la désindustrialisation et a créé des riches et des très riches assis sur cette sphère financière.
Nous entrons dans un moment révolutionnaire (1)… ou de régression si la prise de conscience n’est pas au rendez-vous.
D’autant que la crise politique se poursuit qui accentue la remise en cause des libertés démocratiques comme solution à cette crise fondamentale.
Qui aurait parié sur un virus pour faire apparaître au grand jour la réalité d’un capitalisme !
Nicolas Béniès.

Note
(1) il faut prendre de « révolution » dans le sens de changement global, de basculement d’un monde en fin de course. Voir « Le basculement du monde » aux éditions du Croquant qui, bien datant de 2016, n’a pas vieilli.