Django Reinhardt, créateur d’un pan de la culture française.
Notre époque est paradoxale et notre monde moderne pétri de contradictions. Cette année 2010 l’a montré une fois encore et sous des couleurs cruelles. Janvier a été marqué par le centenaire de Django Reinhardt, guitariste manouche, génie de la musique en général et du jazz en particulier, juillet a vu s’ouvrir la chasse aux Roms, aux Tsiganes dont fait partie intégrante les Manouches. Comme si Sarkozy voulait détruire une partie de la culture française comme mondiale. C’est d’autant plus réel que le « jazz manouche » est désormais joué, rejoué, interprété par une grande partie des jeunes gens et jeunes filles qui font ou écoutent de la musique. Regardez autour de vous. Sanseverino, Thomas Dutronc et beaucoup d’autres utilisent les compositions de Django et sa formule, le quintet du Hot Club de France – une trouvaille de Charles Delaunay, le premier discographe du jazz – pour convaincre les foules de son actualité, de sa présence continue.
Django son surnom est tout un programme. « J’éveille » pourrait en être la traduction et il tenait. Ce programme tracé dés son enfance, il l’a respecté à la lettre. Il commence, comme tous les autres manouches de ce temps, de ces années 20, à jouer de la guitare-banjo – un instrument étrange que les discographes ont du mal à noter – dans les bals musettes. Instrument nécessaire pour se faire entendre. Le microphone n’a pas encore inventé. Django commencera à se faire remarquer mais sans créer le trouble. Après l’incendie de sa roulotte en 1928, il se fera guitariste. Sa main gauche est brûlée, il ne pourra plus jamais se servir de deux de ses doigts. Sur son lit d’hôpital, il réapprend – apprend ? – à jouer. La guitare est un instrument qui fait moins de bruit que le banjo. Sa rééducation durera trois ans. En 1931, alors qu’il recommence à se produire, il est remarqué par le peintre Emile Savitry – là encore le hasard, Django se lancera plus tard dans la peinture – qui lui fait écouter les disques de Armstrong, Ellington mais aussi de Joe Venuti et d’Eddie Lang, un duo qui influencera le futur quintet du Hot Club de France, deux italo-américain. Et c’est le choc ! Louis Armstrong lui fait découvrir les vertes prairies dans lesquelles il s’engouffre. L’écoute de « West End Blues » enregistré par le Hot Seven en juin 1928 lui tire des larmes. Et Django sera le seul génie européen du jazz ! Podium partagé par Michel Warlop.
Par de ces hasards nécessaires, il rencontrera Stéphane Grappelli, issu lui de l’émigration italienne – et la chasse aux Italiens est un sport très couru dans ces années-là -, et le couple se formera donnant à l’un et à l’autre ce qui lui manquait, le petit quelque chose qui fait toute la différence et qui est indéfinissable. Avec son frère, « Nin-Nin » et Louis Vola à la contrebasse (le plus souvent) et une deuxième guitare, il créera ce nouveau son qui allait révolutionner tout le monde du jazz et au-delà. Partout dans le monde, des quintets de ce style allaient naître, en Norvège comme aux Etats-Unis. Ces quintets n’ont pas disparu. Tous les ans – je ne sais si les rencontres existent encore – un club abritait, aux Etats-Unis, les rencontres de ces quintets.
Les grands guitaristes du bebop – comme ceux du blues, BB King en particulier – diront tout ce qu’ils doivent à Django. A son tour, en 1953, avant de mourir brutalement cette année-là, il s’abreuvera au bebop retrouvant une nouvelle jeunesse à la guitare électrique, avec des jeunes turcs de la scène du jazz. Des faces un peu trop oubliées, « Deccaphonie » en particulier » ou « La flèche d’or », un des premiers thèmes en modal avant même Miles Davis. Cette partie de sa carrière est souvent laissée de côté. Dommage, elle permettrait peut-être de sortir de la répétition actuelle appelée « Jazz Manouche ». Le concours de « qui jouera plus vite que son ombre », plus exactement l’ombre de Django est toujours ouvert. Parce que, comme le fait remarquer l’anthropologue Patrick Williams,1 Django a laissé un héritage mais pas de patrimoine à faire fructifier. Se situer dans le dit « jazz manouche » – en fait il faudrait écrire le jazz Django – c’est reprendre la manière de phraser de Django et ses compositions. Rien avant lui ne permet de distinguer cette tradition. Il en est le seul initiateur.
Pendant la guerre, la deuxième, il créera une nouvelle dimension en rupture avec le jazz manouche qui restera latente. Cette période fait partie de la mémoire oubliée.
S’attaquer aux Roms, c’est s’attaquer à cette tradition considérée dans le monde entier comme française !
Nicolas BENIES.
(1) Voir son dernier ouvrage paru, écrit en collaboration avec Jean Jamin, « Une anthropologie du jazz », éditions du CNRS, Paris, 2010.