UIA Caen le 2 décembre 2019

Bonjour,

La semaine dernière nous avons distingué souvenir et mémoire. Le souvenir est ce qui reste dans la mémoire individuelle et collective comme flash, comme image pour qualifier une situation. Ainsi en est-il de « In The Mood » de l’orchestre de Glenn Miller. Ce thème, composé par Joe Garland (saxophoniste ténor, ts) est le résultat de « riffs » de grands orchestres, est la référence musicale clé de la Libération, « fête folle ».
Le souvenir occulte la mémoire qui suppose un travail pour retrouver le mouvement du jazz pendant les années de l’Occupation et avant. Le paradoxe de la flèche de Zénon se retrouve. Si l’on photographie la flèche à différents moments de sa trajectoire, la flèche est semblable à elle-même. Le mouvement, le processus de sa trajectoire permet de se rendre compte des contraintes qu’elle subit. la force du vent, la traction du tireur… vont changer notre vision de la flèche.
Pour la mémoire, pour ce travail nécessaire, le mouvement est essentiel. Pour la remettre dans l’Histoire, dans le contexte général de la période considérée. Il faut retrouver les documents, les textes, les enregistrements (pour ce qui concerne le jazz) pour rendre compte de la réalité d’une époque.

« In The Mood » est le souvenir français de la Libération, les Américains ont une autre référence : « I’ll Be Seeing You » chanté notamment par Bing Crosby en 1944 et qui entre dans les charts. Ce « je vous verrai » est un signe de la disparition de l’être aimé et beaucoup de familles vivent cette absence. Beaucoup de jeunes gens, des G.I, sont morts lors du Débarquement. La mer était rouge. « I’ll Be Seeing you »…
« In The Mood », aux Etats-Unis est un thème, un « hit », de 1939, de cette période dite « Swing ».
Le souvenir donc occulte la mémoire en ne laissant subsister que des images. In The Mood laisse croire que le jazz débarque avec l’orchestre américain et qu’il ne s’est rien passé avant. La croyance que les nazis avaient interdit le jazz vient renforcer ce sentiment. Or, non seulement le jazz n’est pas interdit mais les concerts sont pleins. Il est interdit de danser, « Swing Tanzen Verboten » est-il indiquer à l’entrée de tous les concerts.

Aujourd’hui, nous poursuivons ce travail de mémoire commencé la semaine dernière en abordant à la fois les chanteurs et ce génie intrinsèque que fut Michel Warlop.

Nicolas.

PS Je raconte cette période dans « Le souffle de la liberté », C&F éditions.