Chic, c’est la rentrée. (2)

Comme chaque année, et malgré tous les prophètes – qui ne savent prévoir que le passé disait Canetti – de la fin du papier, les sorties sont au-delà des forces d’un être humain raisonnable. Pour choisir, il faudrait lire toute la production, soit plus de 500 romans sans compter les essais et autres récits… Moins de publications, pourtant, que l’an dernier suivant les comptables. Les présentations ci-après n’ont pas d’autre but que faire la preuve de la diversité des imaginations.

Les imaginaires peuvent se bousculer, se heurter. Eric Chauvier, anthropologue spécialiste des villes qui enseigne à l’école d’architecture de Versailles, ressuscite Baudelaire dans le Paris d’aujourd’hui. « Le Revenant », texte aussi brillant qu’inclassable de 80 pages, rend vivantes les visions baudelairiennes prémonitoires, « le premier voyant » affirmait Rimbaud. Des tableaux parisiens où les fleurs du mal continuent de croître.
« Ça raconte Sarah », histoire simple d’une femme, la narratrice, jeune professeure séparée du père de son enfant, qui vit avec son « compagnon bulgare ». Un jour elle rencontre Sarah, violoniste, qui parle fort et se maquille trop. Sarah aux yeux de serpent à la beauté bizarre. Sa force de vie vampirise la narratrice et contamine l’écriture. Un magnifique roman de la passion amoureuse qui subjugue dès les premières pages.
La littérature israélienne est l’une des plus vivaces, obligée de s’interroger sur le drame palestinien, sorte de synthèse de tous les autres. Comment vivre les conflits divers qui agitent cette société éclatée qui dérivent vers la haute mer et un possible naufrage ? Eshkol Nevo, roman après roman, dessine les contours de cette société. « Trois étages » décrit des habitant-e-s de cet espace clos. Georges Pérec est passé par là, entre sociologie et fiction. Plus encore que chez Pérec, les personnages se débattent dans des contradictions insolubles qui sapent leur identité.
Zadie Smith, britannique, dresse le portrait d’une mère, femme forte qui a décidé de faire sa place dans cette société blanche, via sa fille – la narratrice – et l’une de ses amies, Tracey faite pour la danse. Métisses toutes les deux, vivants dans un quartier indo-pakistanais – pour ne pas dire « Noir » – de Londres, elles s’acharnent à résister et à exister. L’une en acceptant les conditions qui lui sont faites, l’autre en se révoltant violemment. Elles se retrouvent dans l’amour des comédies musicales, des danseurs de claquettes, Bill « Bojangles »Robinson et Fred Astaire ainsi que Jeni LeGon moins connue mais qui a inspiré Michael Jackson. « Swing Time », titre aussi d’un « musical » avec Fred Astaire, devient une sorte d’histoire de la danse, de la mémoire des opprimés, des oubliées.
« Rivière tremblante » est un roman sensible sur le sentiment de culpabilité comme sur la place des morts grignotant peu à peu les vivants. Andrée Michaud, canadienne, décrit des paysages sauvages qui savent parler du passé et arrivent à surmonter toutes les tentations de l’enfermement. Une ode à la liberté même si le prix à payer est très élevé.
« Helena » dresse deux portrait de mère. L’une castratrice, l’autre amoureuse sans se préoccuper de sa fille. La rencontre de ces deux mondes – un huis-clos étrange dans un coin reculé des Etats-Unis – sera un drame supplémentaire dans le contexte de violences sexuelles d’un père sur son fils. Jérémy Fel sait décrire les comportements expliqués par la petite enfance. Comme un écho des thèses de Freud pour un Thriller psychologique.
Nicolas Béniès
Cécile Exbrayat
« Le revenant », Eric Chauvier, Allia ; « ça raconte Sarah », Pauline Delabroy-Allard, Editions de Minuit ; « Trois étages », Eshkol Nevo traduit par Jean-Luc Allouche, Gallimard : « Swing Time », Zadie Smith, traduit par Emmanuelle et Philippe Aronson, Gallimard ; « Rivière Tremblante », Andrée Michaud, Rivages/Noir ; « Helena », Jérémy Fel, Rivages.

Du côté Des polars.
« L’homme plongeon » est une quasi enquête sociologique sur la difficulté de se réinsérer et de laisser le passé de côté. Dannie M. Martin, l’auteur, est aussi comme son personnage Bill Malone, un ancien taulard. Comment vivre dans une société qui marque au fer rouge les anciens délinquants ? La prison ne permet pas de se trouver une place ni de pouvoir se défendre et défendre les siens. Un réquisitoire transcendé par l’amour, le sexe et l’amitié.
« Hong Kong Noir », composé de 6 nouvelles, met en scène le même personnage Kwan Chun-dok, un cadre de la police de Hong Kong. Chan Ho-kei, l’auteur, a choisi de mêler des intrigues connues de tous les mordus du polar et la description de la ville, Hong Kong, de 1967 à nos jours, mais à l’envers, comme une rétrospective pour décrire la permanence de certains quartiers et les changements. Le passage de la cité britannique à la Chine Populaire est aussi évoqué. Le procédé de flash back, de la mort à l’apprentissage, permet de faire passer les situations classiques du roman policier et transformer même l’écriture. Découverte d’un auteur, d’une Cité et de ses habitants. Ironie, humour sont au rendez-vous.
Nicolas Béniès
« L’homme plongeon », Dannie M. Martin, traduit par Jean-François Le Ruyet, 10/18 ; « Hong Kong Noir », Chan Ho-kei, traduit par Alexis Brossollet, Folio/Policier.