Pour faire attendre cette parution, un article que j’avais publié le 9 novembre 1998, ça ne rajeunit pas…
Pour une mémoire vivante…
Frémeaux et associés est un label indépendant qui fait volontiers dans la conservation du patrimoine. Il vient de publier un curieux coffret de 4 CD, Anthologie sonore du socialisme, 1789-1939, avec des documents inédits. Il débute par l’Internationale chantée par Marc Ogeret enregistrée en 1968. Une une version intégrale, au moins tous les couplets connus, écho de mai 68 qui se souvenait des révolutions précédentes. Le coffret se termine par la Marche socialiste de 1932, joué par l’orchestre Parlophone. Les voix de Léon Blum, de Paul Faure, d’Oscar Louis Frossard, de Vincent Auriol, les chants de la Commune en différentes périodes, des chansons du mouvement ouvrier, de la Révolution française, les chansons de Montéhus… Tout un pan de notre histoire, de notre mémoire, celle que nous voulons conserver. Du passé il faut savoir ne pas faire table rase. Un livret de 200 pages, illustré de photos, commençant par une chronologie de l’histoire de ce mouvement ouvrier français remontant à la Révolution française, dû à Jean-Yves Patte qui a utilisé abondamment le fonds de L’Ours, Office Universitaire de Recherche sur le Socialisme. Fallait-il publier ces voix ? Les retrouver c’est comme renouer avec nos fantômes, retrouver des proches, des amis-ennemis, des échecs, des joies mais aussi toutes les peines, celle de nos pères, de nos mères toutes nationalités confondues. La France voudrait oublier qu’elle a été terre d’asile, terre d’accueil, qu’elle s’est faite par l’agglomération de tous ces immigrés pour construire une nation, une formation sociale en même temps qu’un mouvement ouvrier. Les entendre, c’est leur laisser, une nouvelle fois, la chance de nous atteindre, la chance de nous retrouver.
Elle se complète admirablement avec les chansons de ces temps qui apparaissent anciens. Joséphine Baker (une compilation qui regroupe les chansons de 1927 0 1939) tout d’abord qui a joué un rôle énorme dans les fantasmes de cette génération des années 20-40. Elle était venue avec La Revue Nègre – une idée de Cocteau ? – où se remarquait un jeune saxophoniste soprano, Sydney Bechet qui n’avait pas commencé son histoire d’amour avec la France. Joséphine si. Elle fera scandale. Qui s’en souvient ? Elle dansait nue ! Et Simenon écrira qu’elle a «une croupe qui rit »… Elle chantera J’ai deux amours, mon pays et Paris… et elle restera en France pour créer un centre pour tous les enfants du monde. Joséphine ne chantait pas bien, ne dansait pas bien, mais elle était possédée par le démon – il s’agit d’un ami ici – du jazz qui lui a permis de chambouler tous les esprits, tous les interdits. Sans Joséphine, Paris n’aurait pas été tout à fait le même.
Et Charles Trenet ? Le fou chantant n’est plus, en ces années de guerre et de fin de la guerre (1943-1947), plus tout à fait fou et s’arrêtera de chanter, en France en tout cas, en 1947. Autant que ce volume 5 de l’intégrale Charles Trenet (titré, La Mer) risque d’être le dernier d’ici longtemps, sauf si des enregistrements pour la radio sont retrouvés, comme le demande dans son livret, toujours remarquable, Daniel Nevers. Ce volume résume les chefs d’œuvre de ce poète apolitique, cherchant une voie individuelle dans ce monde qu’il n’arrivait pas à comprendre. Il fut ami de Max Jacob qui se comparait au crapaud, jugeant qu’il avait de la chance de ne pas porter l’étoile jaune… Il a trop longtemps vécu de ces petites compromissions qui nuisent à une réputation. Son homosexualité ne lui a pas, non plus, facilité la vie. Pour tout dire, Maurice Chevalier qui fût peut-être celui qui s’est le plus compromis avec le pétainisme ne fut pas inquiété. On peut se demander pourquoi. Quelque chose en rapport avec son sourire, pour faire référence à un film dans lequel il tenait le rôle principal, d’un salaud qui fait tout passer «Avec le sourire ». Il lui allait à merveille…
Pour en revenir à Charles, peut-on passer à côté de « Que reste-t-il de nos amours ? », « Débit de l’eau, débit de lait », « La Mer », « Revoir Paris », « Le retour des saisons »… ? Non, vous ne pouvez pas.
Enfin, toujours chez Frémeaux et associés, une compilation des Big Bands – les grands orchestres -, Swing Era Big Bands, sur lesquels ils ont dansé, ces grands orchestres blancs le plus souvent qui restent aujourd’hui dans l’ombre. Quelques-uns uns méritent d’être écoutés, les autres sont symptomatiques de cette époque, 1934-1947. Et une compilation des grands airs de Samba, 1917-1947, avec la grande Carmen Miranda… De quoi revivre plusieurs époques, de les connaître de l’intérieur.
Nicolas BENIES.
Albums sous revue (chez Frémeaux et associés) :
Anthologie sonore du socialisme
Joséphine Baker, 1927-1939
Intégrale Charles Trenet, volume 5, «La Mer », 1943-1947
Swing Era Big Bands
Samba, 1917-1947.