Les Bourses du monde entier ont brutalement chuté le 5 février 2018.
Surprise de tous les journaux économiques (et des autres un peu plus tard) : le lundi 5 février 2018 Wall Street a chuté et à la suite les Bourses du monde entier. Les niveaux atteints par les indices boursiers flirtaient avec des records. Le « Dow Jones » – indice phare de la Bourse de New York qui contient les 30 valeurs industrielles les plus importants – avait crevé les plafonds en dépassant les niveaux atteints avant la crise d’août 2007. L’euphorie emportait toutes les réticences et mises en garde de certains économistes et même celles des traders conscients que « ça ne pouvait pas durer ».
Tant que ça dure, l’ensemble des opérateurs financiers suit le mouvement de hausse. Mouvement favorisé par la politique monétaire de toutes les banques centrales adeptes de la création monétaire et des faibles taux d’intérêt. Les grandes entreprises se sont mises à s’endetter pour…spéculer sur les marchés financiers. Elles sont dépendantes de la « santé » des marchés financiers.
Désormais, l’état d’esprit a changé. La spéculation devient plus risquée et le retournement devrait être marqué. Des soubresauts sont à prévoir mais la tendance est nettement à la baisse.
Pourquoi ce retournement ?
Depuis août 2015, la chute brutale des Bourses chinoises, la crise financière est latente. Logiquement, cette crise aurait dû intervenir à partir de cette secousse. Conscientes des enchaînements – le scénario d’août 2007 reste présent -, les banques centrales sont immédiatement intervenues. La Banque centrale chinoise a commencé à émettre de la monnaie pour soutenir les marchés financiers en achetant massivement des titres et en ouvrant les vannes du crédit en baissant les taux d’intérêt. La FED – Banque de réserve fédérale américaine sous la conduite de Janet Yellen, l’avait précédée en rachetant massivement les obligations, des emprunts, émises par le gouvernement américain. La BCE s’est lancée dans des opérations similaires pratiquant le « Quantitative Easing » pour répondre à la crise de l’euro de 2011.
2015 et 2016 seront des années pour le moins étrange au regard du fonctionnement habituel du capitalisme. La BCE créera 60 milliards d’euro par mois dans un premier temps puis 80 milliards pour en revenir actuellement (12 février) à 30 alors que Mario Draghi avait prévu la fin de cette opération exceptionnelle en décembre 2017. Pour indiquer qu’aucune institution ne sait les conséquences d’un arrêt d’une telle politique qualifiée souvent d’argent facile.
Cerise sur le gâteau d’une telle politique monétaire de lutte contre la crise financière, la baisse des taux de l’intérêt commencé après août 2007 pour aboutir, une grande première dans l’histoire du capitalisme, à des taux d’intérêt négatifs. Le service de la dette n’était plus un problème pour la dette publique comme pour la dette privée des grandes entreprises. Le crédit immobilier a baissé au-delà de toutes les espérances ouvrant la voie à la constitution d’une « bulle immobilière » qui, bientôt, explosera renforçant la panique financière.
La chute de Wall Street marque la fin des effets de cette drogue. Les taux d’intérêt ne peuvent que remporter via l’incertitude. Pour employer les termes des opérateurs financiers, la « volatilité » fait son retour, autre manière de dire que demain est devenu imprévisible. Jusque là, les interventions des banques centrales permettaient à la fois une visibilité et une assurance que les marchés ne sombreraient pas. Les effets de cette drogue dure s’estompent. Une dose plus importante se traduirait par une « overdose » et la mort du sujet. Que faire ?
Les explications.
L’idéologie libérale – plus exactement les théories néo-classiques – n’est jamais à court d’explications. Elle part de la surchauffe économique aux Etats-Unis. La croissance est relativement faible, il faut le souligner : 2,4% mais elle a suffit pour que les machines soient saturées faute d’investissements productifs. Il n’est pas possible de satisfaire à la fois les actionnaires avides de dividendes et l’investissement, l’accumulation du capital.
Surchauffe économique donc allié à la baisse du chômage – en oubliant les travailleurs sans papiers et la précarité – provoque ipso facto la hausse des salaires et par-là même l’inflation qui, à son tour, agit à la hausse des taux de l’intérêt. Aux Etats-Unis d’abord, dans le monde entier ensuite.
Ces hypothèses sont purement métaphysiques. Elles ne correspondent au monde réel. Les salaires augmentent peu aux Etats-Unis, la reprise est faible après une récession de cette importance et l’inflation ne pointe pas encore son nez. C’est même une des zones d’ombre de cette politique monétaire. La création monétaire massive, mondiale ne s’est pas traduite par un regain de l’inflation, de la hausse du niveau général des prix. Pourquoi ? La création monétaire a servi à acheter, dans la zone euro, des obligations déjà émises. La BCE rachète les emprunts des Etats – et de grandes entreprises – sur le marché secondaire, marché de l’occasion de la dette ancienne. Les traités lui interdisent d’acheter de la dette nouvelle qui permettrait de financer les besoins de financement des États. Cette création monétaire ne s’est pas traduite par un soutien à l’économie. La deuxième raison tient à la persistance de la tendance à la surproduction avec comme résultat la déflation. Cette faible reprise est un facteur supplémentaire de diffusion de la crise financière. Le danger de la récession était déjà présent malgré tous les cris de joie de cette reprise de… 1,9% pour la France et pas beaucoup plus pour la zone euro. La faible inflation, de l’ordre de 1,1% pour la France comme pour la zone euro, bien loin des 2% – objectif de Mario Draghi – indique la persistance des tendances déflationnistes. Logiquement la sortie de la profonde récession aura due créer les conditions d’une reprise élevée.
L’explication tient dans le report de la crise grâce à la création monétaire et au crédit. Les causes de la crise financière n’ont pas été traitées.
Les politiques des gouvernements n’ont pas pris la mesure. 10 ans après le krach, les États non seulement ont peu réglementé la finance mais ils sont revenus, avec un bel ensemble, sur toutes les petites mesures qui avaient été prises après la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008. Trump a déréglementé davantage comme l’Union européenne comme si les marchés financiers allaient s’autoréguler. Le libéralisme, avec Trump, se fait protectionniste…
La politique monétaire a fait son temps. Elle a réussi à différer l’entrée dans la crise. Mais la crise sera profonde. Plus profonde que si elle avait eu lieu en août 2015. La croissance, faible, qui marquait la fin de la séquence – pour les pays d’Europe – ouverte en 2010-2011 fera long feu.
Les « fintech » comme les monnaies virtuelles – le bitcoin chute depuis le début de l’année 2018 – accentuent, approfondissent la crise. Elles ont été, pourtant, autant de réponses à la crise financière de 2007.
La crise financière, comme le montre une fois encore le krach de août 2007, enflamme l’ensemble de l’économie. Le mode d’accumulation est à dominante financière donc les crises financières sont des crises économiques en puissance. Les Etats devraient réglementer la finance, promouvoir une politique d’investissements publics massifs pour créer les conditions d’une nouvelle accumulation. Un capitalisme se meurt. Il serait temps de prendre conscience de ce basculement du monde.
Nicolas Béniès.