UP Jazz du 21 février 2018, Café Mancel 18 heures

Bonjour,

Quitter la Côte Ouest n’est pas aussi facile. Laisser de côté des musicien-ne-s que les critiques de jazz ont laissé-e-s trop souvent de côté représente un dilemme. On pourrait en faire un thème « Nicolas’ dilemma » – sur le mode de la composition de John Lewis, « Delaunay’s dilemma » – pour souligner la difficulté de quitter la Côte Ouest.

Du coup, pour les deux précédentes, nous avons visité les thèmes de films via notamment les compositions de Henri Mancini : « Moon River » pour « Breakfast at Tiffany’s », « Diamants sur Canapé » pour le titre français, évocation de la silhouette nuageuse de Audrey Hepburn, « Peter Gunn » pour cette série inconnue en France mais dont le thème, l’indicatif se retrouve au début des « Blue Brothers » et ce magnifique « Days of Wine and Roses » -Les jours de vin et de roses en français, titre aussi d’un recueil de nouvelles de Alain Gerber) pour le film au titre éponyme de Blake Edwards (1962) avec Jack Lemmon et Lee Remick.

Une version de « Moon River » par Sarah Vaughan dans un album sorti en 1998, « Trav’lin’ light »

Une version de « Days of wine and roses » par Dexter Gordon, sur Steeple Chase

Le 7 février – voir sur ce site l’annonce de séminaire jazz-, sans quitter l’univers du cinéma, nous sommes partis pour Monterey, lieu d’un festival de jazz qui commence en 1958. Sans quitter le cinéma disais-je en référence au film de Clint Eastwood « Play Misty for me » qui se passe à Monterey.
Avant, chronologiquement, j’ai fait référence au producteur Gene Norman qui, à la suite de Norman Granz, organisait des jam sessions dans des endroits réservés à la musique dite classique.
Le chef d’œuvre de ces rencontres pas totalement impromptues – contrairement à une idée communément admise – a été enregistré en 1947 sur un thème de Hoagy Carmichael – dont nous allons reparler -, « Stardust ». Lionel Hampton conclut la série des solos sur une inoubliable improvisation bien préparée.
Sur « Stardust » donc, Lionel conclut après, dans l’ordre Willie Smith (as), Charlie Shavers (tp), Corky Corcoran (ts), Slam Stewart, bassiste fredonnant un octave au-dessus ce qu’il joue à l’archet, Tommy Todd (p) et Lee Young (dr) :

« Further Definitions est un album Impulse que signe Benny Carter en novembre 1961 en compagnie de Phil Woods et de Coleman Hawkins. Le CD repren d aussi « Additions to Further Definitions » qui réunit Bud Shank, Buddy Collette, Teddy Edwards…

Voilà pour le rappel, aujourd’hui nous allons nous tourner vers les exilés de la Côte Est, sans quitter totalement les studios.
Benny Carter, saxophoniste alto, trompette, arrangeur, chef d’orchestre, travaillera pour la télé. Il composera des scores, des indicatifs, des thèmes pour les séries télés. Un métier lucratif. Il ne quittera pas pour autant la scène du jazz. Jusqu’à sa mort, à 95 ans, il sillonnera les routes. Il avait été l’un des inventeurs du saxophone alto, avec Johnny Hodges – chez Duke Ellington, le seul élève de Sidney Bechet – et Willie Smith – chez Lunceford – et il tiendra longtemps le haut du pavé du jazz. Son influence est multiple surtout sur les West-coasters. En se référant à lui, ou à Johnny Hodges, il est possible de trouver sa propre voie sans trop copier Charlie Parker
Il rencontrera des west-coasters très au fait de son œuvre, de son apport. Ils s’en inspirent. Comme de la légèreté de l’orchestre de Count Basie et du saxophone de Lester Young en particulier.

Le 11 juin 1957, Benny Carter enregistre « Jazz Giant », en compagnie de Shelly Manne (dr), Frank Rosolino (tb)Ben Webster (ts)Andre Previn (p) Barney Kessel (g)Leroy Vinegar (b) sur « Old Fashioned Love » :

Un des piliers de l’orchestre Basie trouvera refuge sur la Côte Ouest, Harry « Sweets » Edison, trompettiste capable de se sentir à l’aise dans tous les idiomes du jazz. Il participera à des rencontres tous azimuts. Comme Ben Webster, saxophoniste ténor, avec qui il fera équipe. Ben, dans les années cinquante, est un des maîtres du souffle. Il est reconnaissable à la première note. Il a fait ses classes du côté de la Nouvelle-Orléans bé&néficiant des leçons du père de Lester Young. Il a commencé au piano pour émigrer vers le saxophone ténor. Il sera influencé par Louis Armstrong – comme tout le monde – et pas Coleman Hawkins. A la différence de ce dernier, il ne joue pas légato, il découpe le temps en le laissant flotter par des notes soufflées comme fantômes. Le malheur c’est qu’un fois ivre, ce colosse peut se battre avec tout le monde. Seul, raconte la légende – peut-être vraie, les témoignages concordent – Benny Carter est capable de l’arrêter. Les deux Ben sont liés. Étrange n’est-il pas ?
Tous ces musiciens nous permettront plus facilement de faire le voyage vers la côte Est, New York.

Hoagy Carmichael en 1947, Né le 22 Novembre 1899 à Bloomington, Indiana, mort le 27 décembre 1981 à Rancho Mirage, California,

Il me reste à citer un dernier exilé, venu mourir sur cette côte ouest. Compositeur de « Stardust », acteur à ses heures, Hoagy Carmichael enregistrera avec les west-coasters pour Pacific Jazz, le label fondé par Richard Bock, en 1955 avec, à ses côtés, Art Pepper notamment pour des versions de ses compositions ironiques comme si Hoagy se moquait de lui-même tandis que les autres faisaient semblant de le prendre au sérieux.Le goût de la dérision, de cette violence douce qui est la marque de la West Coast souvent, ne met pas en cause la place essentielle de ce compositeur qui, dans sa jeunesse tumultueuse, a participé au son de Chicago en participant aux groupes de Bix Beiderbecke et de Frank Trumbauer comme à l’orchestre de Paul Whiteman. Il est un grand pourvoyeur de standards. Quand il enregistre pour Pacific, il a 56 ans, un âge où il est temps de se moquer de soi-même et, surtout, de son image.
Manière de se mettre dans l’ambiance.
Nicolas (à suivre)