Errances dans le jazz d’aujourd’hui.
L’été, malgré tout, est le temps des festivals de jazz, de ce temps élastique qui fait, souvent, entrer 2 dans 3 ou 4 dans 3. Un temps élégiaque qui permet de flâner, d’errer en des endroits bizarres que le jazz fait découvrir dans le même temps qu’il se découvre. C’est un bon guide, que le jazz, musique sans nom qui a scandé les espoirs et la barbarie de ce 20e siècle.
Je vous propose quelques endroits, en France, des musicien-nes à découvrir pour finir sur deux ou trois enregistrements récents.
Un, deux… 800 festivals.
J’ai une affection particulière pour Junas pour deux raisons. La première est que je l’ai vu naître et se construire via une association de jeunes gens et jeunes filles qui voulaient faire vivre leur village, une carrière de pierres, la pierre qui se retrouve à Nîmes notamment dans la construction de la Maison Carrée. Junas se trouve dans le Gard faut-il préciser ? A la frontière de l’Hérault. Ils et elles ont vieilli mais ont conservé cette passion du jazz qui se diffuse dans les écoles pour faire connaître cette musique et les musicien-nes.
Cette année, le jazz prend une majuscule en envahissant les Arènes de Vauvert – le diable doit bien se cacher dans les gradins… – dites Jean Brunel, dédiées habituellement à la tauromachie, pour la soirée inaugurale, le 15 juillet, de cette 32e édition. Un lieu étonnant pour des concerts et des rendus d’atelier par les enfants de Vauvert. Une sorte de pédagogie Freinet revue et corrigée par le jazz… Le reste des concerts, comme à l’accoutumée, dans les carrières. Les pierres ont tellement absorbé de musique, qu’elles en sont toutes chamboulées, presque noires. Une double nouveauté : l’affiche a été confiée à un artiste de Montpellier, SUNRA – un pseudo bien sur – et a été abandonné l’invitation faite à un pays. Désormais, la programmation est éclectique. Paolo Fresu, trompettiste, sera comme presque tous les ans, présent en duo avec Daniele di Bonaventura, joueur de bandonéon et les vedettes en seront Jacques Schwarz-Bart, saxophoniste ténor qui avait un peu disparu de nos écrans radars, Emile Parisien, Eric Séva, Omar Sosa et le pianiste cubain Gonzalo Rubalcaba…
Crest, vous connaissez ? Vous ne passez jamais par la Drôme ? C’est une erreur. Pour deux raisons. Les paysages sont superbes, les touristes peu nombreux – à l’exception des Bataves mais ils ont partout…- et les festivals de jazz. Le « Crest Jazz Vocal » fête son 41e anniversaire, un bail. L’association de bénévoles essaient de faire vivre cette musique du 29 juillet au 6 août en commençant par l’électronique avec, en particulier, le quartet de Eric Truffaz. Le clou sera la rencontre entre Emilie Parisien – décidément incontournable – et Michel Portal, 81 ans aux prunes, le jeudi 4 août, une manière de fêter l’abolition des privilèges en 1789 ou la naissance de Louis Armstrong en 1901. Cerise sur la gâteau, Michael Wollny sera le pianiste de ce groupe. A découvrir si ce n’est déjà fait.
Des stages de jazz vocal et un concours seront, comme d’habitude, organisés. A Crest, le festival en lien avec la médiathèque, organise une série de conférences du mardi 2 août jusqu’au samedi 6 sur les « Villes du jazz » par… Nicolas Béniès et ce pour la 13e année consécutive. Cette année Philadelphie et Pittsburgh.
Pour rester dans la Drôme, à Buis les Baronnies et à Tricastin – connu pour sa Centrale… – « Parfums de jazz » prendra la suite du 15 au 27 août avec comme invités d’honneur Michel Portal et Daniel Humair, des hommages à Louis Armstrong, Chet Baker – c’est la mode, un CD en son honneur a déjà été publié, pas désagréable -, Bessie Smith, un idée originale, on ne parle pas suffisamment de l’Impératrice du Blues ainsi qu’elle était surnommée et Frank Sinatra.
Le grand festival du mois d’août reste Marciac avec son programme démentiel. Si vous êtes dans le coin, arrêtez-vous un midi, installez-vous à une terrasse sur la Place de l’Hôtel de Ville et écoutez. Les groupes qui se produisent vous donneront un panorama du jazz d’aujourd’hui et ces concerts sont gratuits…
Des musiciens à découvrir
Le nouveau venu sur la scène, celui sur lequel la presse américaine ne tarît pas déloges pour des raisons qui me sont totalement étrangères, celui qui a joué avec tous les grands rappers eu partisans du hip-hop, Kamasi Washington. Il a publié un album de trois CD, « The Epic », qui fait la démonstration qu’il n’a pas encore trouvé sa voie mais qu’il est capable de tout jouer. Le voir sur scène permettra de se rendre compte de sa capacité à réinventer le jazz.
Michael Wollny, pianiste et Allemand, rempli les salles dans son pays. Il n’est pas assez reconnu en France. A « Jazz sous les Pommiers », au concert de midi et demi, il a montré toutes ses facettes. Il n’a rien oublié du jazz tout en sachant renouveler l’art du trio – piano/contrebasse/batterie – durablement marqué par Bill Evans. Sa virtuosité est mise au service de sa création.
Un trompettiste curieux qui « bénéficie » d’un nom connu, Avishai Cohen. A ma connaissance sans lien de parenté avec le bassiste sinon qu’ils sont tous les deux Israéliens. Une musique sans concession à la mode pour un jazz épuré tout en étant swinguant.
Grégory Porter1 est le vocaliste qu’il faut entendre. Une vois profonde issue du Gospel, du blues, une voix déchirante qui en elle-même décrit les déchirures de la société américaine, la survie du racisme et du « Mâle Blanc » dominateur incarné par Donald Trump. Tous ses albums disent quelque chose d’important sur notre monde même si le dernier, « Take Me To The Alley » (Blue Note/Universal) à force de ballades dans les arcanes de l’amour, est un peu décevant.
La chanteuse Leïla Martial ne se refuse à aucune aventure que la musique soit électronique ou acoustique. Elle invente un langage, s’évertue à casser les codes, manière de se servir aussi de la mémoire du jazz pour créer un nouvel environnement. Un paysage aux couleurs inédites se forme, passé le premier choc…
Un ensemble, un grand orchestre, le « Brotherhood Heritage » conduit conjointement par le pianiste François Raulin et le contrebassiste Didier Levallet pour un hommage vivant à Chris Mc Gregor dont la biographie, écrite par sa compagne, devrait bientôt être traduite en français… Il faut aller les entendre. Une énergie à désintégrer ce monde de morts vivants. A Jazz sous les pommiers, au début de ce mois de mai qui n’est beau que dans les chansons, cet orchestre a fait un tabac. Un des meilleurs concerts de l’édition 2016.
Le jazz permet de se sentir bien, ensemble, contre le monde tel qu’il est.
Le troisième aspect annoncé, les enregistrements, sera pour la rentrée…
A suivre…
Nicolas Béniès.
Note : j’emprunte cette notion de « champ jazzistique » à Alexandre Pierrepont.
Les festivals sont nécessaires pour entreprendre d’autres voyages tout en s’arrêtant pour prendre le temps de regarder autour de soi.
Arrêt sur Rêves.
Le temps des vacances, c’est le temps du lapin. On regarde à droite, à gauche tout en restant assis pour un voyage immobile aux itinéraires d’une inquiétante familiarité remplis de surprises, de réflexions étranges qui permettent de mettre ce monde à distance pour le voir tel qu’il est. Un arrêt nécessaire pour se ressourcer, se penser et se projeter ailleurs, dans la musique, la littérature, le polar, le théâtre, le cinéma sans craindre la déception partie prenante des découvertes. Le choix est ouvert. Pour rêver aux possibles, pour sortir du travail contraint et respirer le grand air de la liberté.
Temps de festivals pour s’inonder d’idées nouvelles et les faire resplendire au soleil des créations. Temps de l’émoi, de l’éveil de nos consciences, de rencontres, de celles qui sont inoubliables…
Mettre l’imagination au pouvoir pour repousser toutes les limites de ce monde en train de basculer sans que les politiques n’en prennent la dimension, engoncés qu’ils sont dans le passé décomposé et recomposé sans vision de l’avenir. Tous les arts vivants, même privés de subventions, invitent à entrer dans d’autres univers pour redécouvrir le sens de notre commune humanité, loin des divisions factices. L’apport d’autres cultures est nécessaire pour permettre à la culture française de vivre et de prospérer. L’enfermement dans une identité fantasmée ne peut servir qu’à l’extrême droite.
Rêvons collectivement d’un monde fraternel fermenté par le souffle puissant et irrépressible de la démocratie pour vaincre cette barbarie qui monte…
Nicolas Béniès.