Loi El Khomri, un projet réactionnaire.
La loi dite sur le travail s’intitule en fait « loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs », un intitulé étrange au regard de l’enjeu : remettre en cause le droit du travail, les acquis sociaux des luttes des salarié-es compilés dans le code du travail. Ces avancées sociales représentent, du point de vue des économistes libéraux – comme Philippe Alghion qui se dit de gauche et a été conseiller de Hollande ou Jean Tirole, ci-devant Prix Nobel -, des rigidités qu’il faut combattre pour permettre la fluidité des marchés même si ces marchés ne sont qu’une invention sans lien avec la réalité, comme le marché du travail.
Pour des salariés agiles…
Pour permettre aux entreprises, plus exactement aux employeurs, d’embaucher, il faut lever toutes les contraintes légales. Les laisser « libres » comme le veut l’intitulé de cette loi. Libres de licencier, libre de ne pas respecter la loi, libres de précariser le CDI pour éviter le recours massif aux CDD et autres intérim ou contrat de courte durée. Précariser tous les salarié-es permettra de combattre la précarité. Une logique imparable, héritée des Jésuites.
La question posée par tous les responsables politiques et patronaux à commencer par Manuel Valls ou Pierre Gattaz : « Comment créer de l’emploi, comment lutter contre le chômage de masse ? », question clé, ne fait pas partie du projet de loi. En fait, à y regarder, il s’agit de sécuriser les patrons. Que ce soit sur le terrain des licenciements abusifs – rappelons que le patron se trouve dans l’illégalité – ou sur la durée du travail, chaque article donne de nouveaux droits aux employeurs. Plus encore, en inversant la hiérarchie des normes – qui s’est mis en place dans les lois précédentes, la loi sur la flexibilité de 1985 amorçait le mouvement -, l’accord d’entreprise prime sur la loi et les conventions collectives dans un sens défavorable aux salariés. C’est la porte ouverte à tous les reculs sociaux. C’est une attaque directe contre la possibilité même d’un réduction globale du temps de travail, seule à même, dans le contexte actuel de crise, de créer des emplois et de combattre la plaie du chômage de masse, cause principale de faiblesse des salarié-es face aux patrons.
Ce projet de loi ne permettra pas, c’est une évidence, de créer des emplois. Elle créera, comme c’est le cas en Grande-Bretagne, en Espagne un approfondissement des inégalités et de la pauvreté. Les défenseurs de la loi mettent en avant le cas de l’Italie. Renzi, le Premier ministre, a fait voter un CDI sans garantie pendant 3 ans : les patrons ont le droit de licencier sans indemnité et, prétendent ces bons apôtres, l’emploi est reparti à la hausse. Ils oublient de voir que la croissance est repartie et explique la hausse, faible par ailleurs, des emplois.
Pour « inverser la courbe du chômage », il faudrait la croissance. La dernière note de conjoncture de l’INSEE qui table sur une croissance trimestrielle de 0,4% pour les 6 premiers mois de cette année – une prévision osée dans ce monde incertain en train de vivre une crise financière – en déduit que le chômage baissera de 0,1%. L’inanité de cette prévision est inscrite dans la réalité présente, le chômage a augmenté ! Pour commencer à faire reculer le chômage, il y faudrait un « choc de la demande », une augmentations des salaires, des cotisations sociales et des allocations chômage sans parler des minima sociaux.
… en remettant en cause les garanties collectives
Donner plus de pouvoir aux employeurs est d’abord une profonde blessure faite au droit du travail qui reposait sur la défense du « faible », le ou la salarié-e, face au « fort », l’employeur, ainsi qu’une absence totale de vision d’avenir. Ce projet de loi ne sait que regarder vers le passé, en revenant au 19e siècle. Le Medef représente un poids mort pour l’avenir de nos sociétés. Il ne sait que considérer ses intérêts à court terme. Répondre favorablement à ses demandes, c’est s’enfoncer dans les crises, qu’elle soit financière, économique, sociale, culturelle et surtout politique. C’est une erreur d’autant plus énorme que le monde est en train de connaître un « grand basculement ». Le capitalisme a besoin de détruire sa forme précédente pour faire naître une nouvelle manière de créer des richesses, de la valeur. Le contenu du travail lui-même se transforme et devrait forcer à une réflexion sur un nouveau droit du travail. C’est à l’aune de cette révolution inscrite dans la crise systémique actuelle qu’il faudrait penser la réglementation, les lois.
Le patronat ne pense qu’à faire « travailler plus » pour baisser le coût du travail et augmenter ses profits sans s’interroger sur les conséquences néfastes pour la santé des salarié-es qu’ils et elles aient un emploi ou pas et… sur la productivité du travail.
Ce projet de loi renvient donc à transférer sur les salarié-es le risque inhérent à toute entreprise. Se protéger, pour les employeurs, est contraire à la possibilité même de construire un avenir. Un patronat frileux qui veut des salarié-es agiles pour les exploiter davantage en se servant de la peur du chômage – qu’il cherche à augmenter par cette politique de baisse du coût du travail – est en train de provoquer une énorme catastrophe. Une récession plus profonde que celle de 2008… Un risque grandiose que prend le gouvernement avec ce projet de loi décidément bien réactionnaire et gros d’une surproduction et d’une crise financière qu’il n’aura pas les moyens de juguler. Le mouvement social actuel représente au-delà du retrait de la loi, un espoir de changer totalement de politique, de reconstruire un projet de transformation sociale pour l’ensemble de la société.
Nicolas Béniès.